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Ces pensées qui abîment, Agence cybernétique de songerie adulte

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Comme un drôle de goût

--> extrait (suite chronologique du dernier extrait en date)

_ Non, en fait la colère s’est tassée. Tu avais déménagé ; et une rumeur a couru que ton père avait perdu la boule ; ça les a refroidi un peu.
J’observe. En effet, la rumeur a pas tort, papa a pas l’air d’avoir " tout " récupéré.
_ Il y a du progrès, non maman ?
Maman jette un coup d’œil à son homme. Mais c’est plus vraiment un homme. La bouche de maman se cambre vers le bas, et s’abstient de tout commentaire. Gaby lui fait un sourire, mais la vieille y croit pas. Moi non plus j’y crois pas. Mais au moins les retrouvailles se seront déroulées simplement, comme si ton départ datait de la veille au soir, comme si t’avais pas dit à ta mère que tu veux plus jamais entendre parler d’elle, cette nuit lorsqu’elle avait appelé le pleur en bouche, pour dire j’en peux plus reviens à la maison mon chéri. Non mère. Trop tard. Crève avec. Toi comme lui. Et je te préviens t’auras pas un rond.
Oui, les paroles ça devient facilement moche ; on ne sait jamais ce sera le tour de quelle émotion.
_ Sinon quoi de neuf ?
Deux grognements en signe de réponse.
T’es con ou quoi, depuis quand y a du neuf ici ? Tout au plus on change les ampoules chaque décade.
_ Vous avez de magnifiques cheveux madame !
Gaby était sincère. Et c’est vrai, maman conservait impeccable dans ses quarante-sept ans, mieux qu’au Musée Grévin ; la force des Écrits ! Non, pas en quoi que ce soit belle ou tout juste désirable, loin s’en faut, non, elle porte sa carcasse avec fermeté, et ça en jette. La foi sait convaincre les rides. Je la retrouvais toujours aussi droite, tendue, terrible. Avec elle on savait jamais à quoi s’attendre, son visage vous recevait placidement, un brin mystique, la colère de Dieu en bagage, prêt à dégainer. J’avais mis Gaby au parfum, et tu pourras pas dire que je t’avais pas prévenue. Oh tu exagères toujours !
_ Mes cheveux dites-vous. Quelle importance ?
Un ton si glacial.
Alors Miss Gaby, j’exagère toujours ? La voix maternelle, cette voix maternelle !… L’ambiance venait de se faire gifler. La phrase anodine qui met à mort. Le silence faisait son retour en force. Le silence préféré de maman. Le silence prêt à exploser.
Qui premier frappera ?
_ Vous avez raison mère. Aucune importance. Viens Gaby, c’est assez.
_ Billy...
Chérie implorait des yeux non Billy fais pas ça, sa moue déplorait du fond du cœur, maman de son côté avait tressailli à l’annonce fracassante, tout son corps comme pris à la gorge, coup de tournevis dans le flanc, elle s’était figée pour retenir l’immense désastre, comme un abîme ouvert depuis trop longtemps, pas vrai maman ?... alors t’étais pas si sèche sous tes milles apparences sans-cœur, hein ? Ah mais je savais ! Je l’ai toujours su, toujours... ça fait vingt-six piges qu’on se fait semblant... notre petit couple, toi moi... papa comptait pour du beurre, mais nous... le vrai petit couple... chaque jour on a divorcé, chaque heure utile pour mieux rompre, mais on savait, oui tout au fond on savait. C’est la surface qui toujours nous a eu, trop fière, trop terrible, trop inavouable, qui toujours a mené le bal, notre bal, et le bal de bien des masqués... Les hommes ne s’avouent que la haine. Le reste est bien trop obscène.
Bonjour maman, il y a beaucoup à dire, comme on pourrait tout aussi bien ne rien se dire, mais sache que la finalité de cette visite est de vous annoncer ma relation durable, très strictement durable, avec cette jeune fille ici présente. Maman : Gaby. Gaby : maman. Gaby Gallois a fait vœu de vous rencontrer et même qui sait, vous chérir. Elle n’est pas comme moi. Je dis bien : elle n’est pas comme moi. Elle est pure elle ; je pense que tu apprécieras tout particulièrement ce dernier point. Je compte si tu le permets, mieux développer l’état des lieux. Je sais que j’ai filé à la sauvette mais comme on dit : reculer pour mieux sauter. Mère voici ton fils. Il est accompagné. Il est heureux. Elle est inouïe. Je t’embrasse maman, oui je t’embrasse, et je t’aime, tu sais. Oui, même toi, oui ! toi aussi papa... ah... à ma santé alors ? Ma foi, santé !
Lors du trajet aller j’avais anticipé mon rendez-vous avec le destin, mimant dans ma tête chaque personnage chaque rôle chaque réplique. L’imagination plongeait loin dans ces cas-là, et Je était le centre de chaque attention. Parce que Moi était le patient principal de mes événements. Comme un ballet de contingences autour de ton être. On imaginait, on imaginait... on imaginait ! Orchestration ! Agencements... dénouements... surprise !... reprise en main, etc. J’avais chorégraphié le bonheur. J’avais mis en scène le futur. La réalité avait senti l’odeur du festin, elle s’était invitée à la table des matières. Le livre s’était ouvert sur une autre page.
Y avait même pas besoin de lire entre les lignes. Papa accusait trois coups de vieux supplémentaires. Pourtant il n’avait que soixante-cinq ans, c’est-à-dire, il avait soixante-cinq ans comme on a quatre-vingt-cinq ans. Quatre-vingt-cinq ans avec une maladie grave.
Non, papa était pas malade. Il était simplement alcoolique à soixante-cinq ans ; et c’était déjà en soi un prodige. Non seulement il ne paraissait que quatre-vingt-cinq ans, mais il était par-dessus le marché encore en vie ! Oui... plus trop vivace. On ne peut pas tout avoir Billy ! le vieux a fait son temps, il a eu sa veine.
Papa n’était pas encore raide. C’est normal on sait bien qu’il ingurgite progressivement ; jusque vers les vingt-deux heures comme ça ; après quoi la soirée se met à chanter... rougir... et s’alourdit dans un recoin quelque part ; souvent mollement affalé dans le canapé une place, l’écran prend le relais, les numériques se chargent de l’histoire. Une histoire pour faire de beaux rêves. Une histoire digitale pour endormir l’animal.
Pas encore raide mais déjà entamé. Un air de ravissement, le nez plein de rouge, yeux vitreux, le sourire ouvert. Un visage au bien-être qui se répandait d’heure en heure, de verre en verre.
_ Gaby que fais-tu ?
Gaby s’était levée d’un bond, d’une démarche assurée s’en était allée... embrasser le bonhomme!  Sans ambages, embrasser! Sa bouche à elle! sa joue à lui! Maman en restait bouche bée, un pied dans le choc de tantôt, un pied dans la stupeur de maintenant. François Godefroy Leskens amplifia son sourire d’au moins quinze centimètres de périmètre. Ah ! Pas encore mort le vieux briscard.
Gaby l’enveloppait des bras, mon père, comme ça ! Puis, réalisant l’injuste situation, elle avait équilibré l’affection. Une douceur pour vous aussi madame. Maman savait plus où se mettre ! Et voilà, en deux gestes, bisou père bisou mère, Gaby triomphait là où j’échouais depuis vingt-six ans.
C’était trop beau pour être vrai. Trop facile pour pas mentir. Trop doucet pour ne pas chanter faux. D’accord. Mais t’aurais échangé le naïf coup de cœur pour un vrai coup de chien ?
_ J’ai des sucreries mes enfants ! avait scandé une survoltée maman.
_ J’ai de la bière !... Le vieux mercenaire s’éveillait ! Vous m’en direz des nouvelles.
_ Ah oui p’pa, quel genre de bière ?
_ De la bière qu’on boit sans s’arrêter !
_ Je te fais confiance !
Gaby quiète. Maman revenant des bonbons plein les poches mais servez-vous dont ! Papa requinquée jeunesse on se rince la gueule comme il faut ! Billy il en croit pas mes yeux.
La table se garnissait à vue d’œil à croire que maman a braqué le Champion. Papa à fond du biberon. Gaby qui riait du visage. Maman qu’en remettait une couche allez mangez sucez buvez léchez ! Papa à votre santé ! Gaby non merci ! Mais si demoiselle mais si ! Bon d’accord monsieur... Appelle-moi François ! François nique-les-Arabes pour les intimes, ajoute-t-il, le fou ! Non mon ange, non, fais pas attention, le chef dit ça pour rire, tique pas, je te jure ! je le connais... l’étranger ? l’exotique ? toute sa vie ! Tous ses potes ! Marrakech ligne directe ! Les histoires que je pourrais te raconter ! Ah oui Billy, c’est vrai ? c’est un genre d’humour alors ? Oui Gaby !... exactement un genre, question d’habitude ma chérie, question d’habitude... Et toi m’garçon ? C’est temps d’apprendre à lever le coude ! Allez chéri, fais plaisir à ton père. Sûr m’man ? Puisque je te le dis ! va mon enfant, il n’y a pas de mal à se faire du bien !
Même la serviteur de Dieu s’y mettait ! Bon, dans ce cas...
On a bu.
On a sucré notre gosier.
On a raconté nos péripéties.
C’était bien.
Féerique disons.
Oui, comme un goût de merveilleux.

Je matais attentivement Gaby. J’avais un léger coup dans le nez. J’ai alors reçu un message de la part de mon cerveau.
Gaby représente l’espoir de cette famille.
Tout l’espoir.
Le dernier espoir.
Mais c’est effrayant !
Oui mais t’as pas le choix.
Regarde ta mère. Elle, elle a vite capté l’affaire. Elle sait repérer l’espoir elle !
Maman était branchée sur 300.000 volts ; ça se comprenait, la perspective d’une telle belle-fille... elle allait redorer le blason familial. Le lustre qu’on allait se prendre ! En plus, cette jeune fille va sauver le salut de mon Billy. Son âme !... Dieu soit loué. Je voyais bien, maman, je lisais ses pensées au long de ses rictus. Maman, son visage shooté à l’adrénaline. Ça faisait trois heures qu’elle redescendait plus. J’aimerais pas être là à l’atterrissage. Alors magne-toi le train trouve une excuse et débine-toi illico. Attends je réfléchis, faut masquer un peu, paraître naturel.
Mais y a rien de naturel ici ! Ça fait trois heures que vous êtes connectés à un logiciel de tarés. Débranche-toi de là !
_ Bon, je vais m’en foutre un litre d’H2O dans le réservoir.
Mon père avait interrompu mes calculs. Il était pas dupe, il savait tout au fond de lui-même son esclavage à la boisson. Pour l’heure, il allait diluer sa flotte. Ok mais toi tire-toi ! Attends, attends...
Il savait mais jamais il avouerait. Ni à qui ni à lui. Sans le biberon il devient quoi François ? C’était toute sa vie ; chaque chagrin, chaque regret, chaque impasse, résumé enfoui dans chaque fond de bouteille. Il enfouissait tout. Hectolitres et hectolitres... tout au fond, comme un cimetière. Parfois il avait un tilt ; que le fond de la bouteille aussi c’est une impasse ! Oui François, une impasse, une bien belle d’impasse, mais une impasse qui n’en finit plus, une impasse sans fin, on se prolonge ! Et puis y a tous mes potes qui trinquent avec ! Santé ! On se prolonge l’un l’autre ; comme à la guerre, le courage en groupe ! On est une famille, on boit, on trinque, on s’en paye une tranche. La bière parle à notre place. Elle remplit la conversation. Elle remplit nos âmes. C’est la vie ! C’est l’eau-de-vie ! Elle empêche qu’on y voit clair. Et si ! si jamais on se prend un coup de réalité, on remet ça plutôt deux fois qu’une. C’est vraiment sans fin. Jamais on manque l’occasion ! Jamais ! Toujours le pousse, l’apéro, la tournée générale, le mariage, la fête, le repas, la dégustation, la compagnie, la convivialité, toujours ! aucune occasion rate. En retour les Amis sont toujours disposés ! Toujours !... festifs, joyeux, amènes ! C’est ça l’amitié ! Camarades !... surtout au quatrième verre. Notre figure de vieux soiffard est souvent grasse, couperosée, lâche, avec un gros nez, de préférence écarlate, double ou triple menton, nos chairs pendent, notre regard dilaté est ouvert à tous ! Allez, à la tienne ! Oh... on a bien un poteau un peu trop malingre, blafard, mais c’est un faiblard lui, il tient pas l’alcool ! Il sait pas ! Aucune descente ! Ah oui, ça se travaille. Mais après je te jure, tu seras incollable ! Incoulable ! Tu seras comme ton propre alter ego ! Je te jure, d’ailleurs tu seras dans ton état normal si et seulement si imbibé. L’emprise ou la crise ! Vois la différence, combien tu perds au change quand, les matins et jours de disette, c’est maussade et irascible. Vois ! Non, on ne t’y trompera pas. Boire ou jamais.
J’avais choisi jamais.
Le petit père, lui, semblait peu ou prou s’en sortir ; il y avait pire n’est-ce pas.
Il y avait toujours pire.

Les sentiments s’étaient à présent calmés. On s’était posés sur une aire de décantation, le temps que l’émotion retombe. Billy et Gaby d’une part, main dans la main, François et sa Ginette d’autre part, celle-ci bien droite bien digne sur une chaise rigide et peu confortable, celui-là dans son fauteuil une place fétiche. Un silence prit naissance. Je n’aimais pas ça, moi, les silences ; ils rendaient les intentions d’autrui terribles, imprenables, comme des épées de Damoclès, des condamnations imminentes. On les disait la ponctuation élégante et subtile d’échanges entre personnes qui se comprennent. Oui, on n’avait pas tort. On avait même peut-être raison.
On n’avait pas tort ; sauf que nous n’étions pas des personnes qui se comprennent. L’hospitalité de la situation ne devait pas être surestimée. Ni sous-estimée Billy, ni sous-estimée...
C’était le moment ou jamais de prendre la parole.
_ Moi et Gaby on est très liés.
Pause.
_ En venant ici on souhaitait s’entretenir avec vous, s’entretenir de, mm, des relations qu’on aimerait tant... c’est-à-dire...
_ Oui.
Intervention de Miss Gaby.
_ On est des jeunes gens... des enfants affectifs, on ne sait peut-être pas toujours l’exprimer comme on l’a sur le cœur, Miss m’avait brièvement passé la douceur de son regard, mais on en a besoin, c’est en nous, on vous aime vous savez, moi je vous aime déjà, et Billy... Billy aussi... et même beaucoup, et tellement en fait. Madame, pardonnez-moi, mais j’ai l’impression de vous connaître depuis toujours.
Purée Gaby y allait pas avec le dos de la cuillère !
Maman disait rien. Son visage n’exprimait pas les sentiments. C’était un visage en stand-by.
Gaby venait de mettre les pieds dans un monde où on te coupe la gorge pour moins que ça.
_ Je ne vais pas tricher avec vous. Billy m’a beaucoup raconté.
J’avais rien moufté ! Si seulement je lui avais confessé le quart ! Fais gaffe ma biche, t’avances en terrain miné.
_ Je sais les moments plus difficiles, les mauvaises passes, les traversées du désert, mais justement vous êtes des voyageurs ! Courageux, fatigués, éreintés, mais faisant face ! Même de biais si il faut, mais toujours là et vaillants, et nous on aimerait être un vaisseau ami, qui accoste parfois, qui rapporte les nouvelles de la terre, des îles qu’on a découvertes, que l’on vit, et enfin, oh je me perds parfois, mais je voulais que vous sachiez combien ça compte pour nous, mais que, aussi, Billy tient la barre à sa sauce à lui, et, oh, tous en fait, mais lui c’est vraiment...
_ Un vaisseau pirate !
Papa venait de lancer sa meilleure réplique depuis sa feinte " la face de Yasser Arafat ". On s’était tous bidonnés d’un coup comme un seul homme. C’était surprenant, papa il avait toujours des cartouches de réserve. Tue pas la peau de l’ours avant de l’avoir vendu ! il disait quand j’étais petit, non papa, on dit : " vends pas la... " schla ! et tais-toi quand un plus gros ours que toi prend la parole.
Pour peu je me serais mis à croire en sa rédemption. Pour peu...
Je voyais bien, ce qu’on appelait la misère humaine, là, tout était face à nous, à quelques pas et, et, et c’était mon père ! Toute ma vie dès la fin d’enfance j’avais puni cet homme de mes plus profondes pensées, là-bas d’où les sentiments reviennent jamais plus, je l’avais conspué, raillé ses maladresses, il était si navrant, ses grosses manières, rage Billy ! rage... Son patriarcat et ses points de vue non négociables que je m’étais mangés dans les dents, et leur loi, leur tyrannique loi... à s’en désespérer des régiments, et lui le tyran, en bon tyran, qui cirait les pompes ! le pire du comble ! Comble du pire ! Il cirait les pompes... les pompes des pompeux! Il était faible comme une pucelle ! Fort c’était pour nous ! La famille avait le privilège de sa vindicte. Dès que la société dégainait il levait les mains et écartait les fesses... allez-y tous, je suis votre homme ! soumission et en sourire mon caporal, j’aurai droit à la médaille ? Lui le héros déchu ! Comment il perdait toute contenance face aux grands de ce monde, et deux secondes plus tard baston générale au bar du coin le plus malfamé, ha ! moi j’obéis ! En haut c’est oui chef, en bas c’est mes godasses ! Moi et maman on habitait le sous-sol dans la hiérarchie. Mais attention, voilà un homme en costume ! Garde-à-vous !... Comment il s’aplatissait le plus heureux du monde devant les titrés, renommés, diplômés, comment il courbait l’échine aux mondains habiles et réputations de chocolat, comment j’avais eu tort et j’aurais toujours tort de pas avoir marché droit, hein, marche droit y a que ça de vrai ! Rectiligne tête de con ! Une deux / une deux / une deux ! Mais p’pa tu sais... schla !... schla schla ! ! T’as tout raté espèce de trou de bal ! Merde j’ai pas fait la guerre pour nourrir une saucisse pareille ! Pas études pas gonzesse pas sport ? Où tu vas toquard ! Mou du genou ! Mes couilles si j’avais su ! Et moi Billy Godefroy Leskens, Billy the kid !... j’avais mille fois viré fou viré rouge viré viré viré viré viré !... sinistre, corrosif, incisif, mauvais ! et virulent à plus s’en respirer, impitoyable envers cet homme contre qui chaque jour était venue buter ma colère, ma conscience, mon sensible... mon ontologie ! Tout mon être ! Le Soi pas discutable. Moi non plus je négocie pas ! J’ai de qui tenir ! Chaque jour comme une tragédie de plus à tirer. J’ai raison il a raison. On avait raison à deux ! Notre cohabitation ne pouvait qu’avoir tort. Son existence était l’attentat à la mienne. Et j’étais son plus grand désastre. J’étais la fin des haricots. La descendance salopée à jamais. Le fruit pourri de l’arbre généalogique. Oui père j’ai été votre fils. Oui père vous ne sauriez comprendre. Oui père s’était d’abord usé au travail, ensuite aux spiritueux ; abruti par l’impérative besogne, rendement ! labeur ! devoir ! honneur ! et après on s’achève, la bouteille ou le canon en bouche. François Godefroy Leskens avait opté pour la drogue sous forme liquide. Mais ça ! encore... le problème à lui. Mais moi, n’est-ce pas, moi, les milles bâtons dans les roues, les jamais tu réussiras, les tu rêves gamin ! les c’est quoi c’te connerie de, comment il dit déjà ? projet artistique ? Ha ! Ce que j’ai fait pour une bourrique pareille !
Colère ! Conard ! Mes tripes ! Billy irait jusqu’au bout, à la corde ! à la corde de moelle ! J’irai exsangue !
Combien de fois n’avais-je pas bousculé cet homme, cet homme limité ! dans ses derniers retranchements ? Ne lui avais-je pas soumis toute sa bassesse ? Prouvé toute sa médiocrité ? Nargué ! brisé ! remis à sa place ! leçons d’esprit ! verve ! intellection ! j’avais commis tout cela et bien plus mais celui-là était un homme en bout de course qui se démenait sous mes yeux engouffrés, vertige de la vie, LA vie, celle de l’homme qu’il y a en chacun de nous, celui qui m’avait donné vie transmettant la moitié de ses gènes et quels gènes ! les meilleurs avec cela ! Comment il avait fait ! Mystère ! Un sacré coup de bite ! Et sa récompense avait été mon dégoût, mon malheur, notre tragédie, car oui ! ô oui que ne fussé-je malheureux ! abattu à l’extrême, à l’insoutenable, toutes ces mascarades auxquelles il donnait spectacle... C’était marre ! plus jamais ça ! je fous le camp ! adios ! pas amigo ! du tout !
Â... mais les racines de notre existence tôt ou tard tirent sur les branches de notre destin. Rappel à l’ordre. Ce n’est pas comme tu crois cow-boy. À la fin c’est l’addition. Rien sera lâché. Pas de cadeau ! Aucune ristourne. À la lie...
C’était le mieux qu’il pouvait offrir et sa chemise il l’aurait donné, mais quoi ! j’en ferais quoi d’une chemise, moi ! Et ainsi s’achevait la vie de François le mercenaire Leskens, je voyais bien, question d’années, grand maximum... De mois peut-être, de jours qui sait ! J’en savais ! Tout le brisé, le malade, toute la fin en cet homme qui partait peu à peu, inéluctable !... sans les honneurs... ni le bonheur. C’était la misère humaine. C’était mon père.
Tristesse...
Chagrin...
C’est bon.

Ecrit par Jokeromega, le Samedi 11 Novembre 2006, 21:35 dans la rubrique "Chantier fermé".