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Ces pensées qui abîment, Agence cybernétique de songerie adulte

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Vendredi (16/02/07)
Ce n'est pas prêt de s'éteindre

--> extrait (suite à "Un havre de paix")

La mémoire m’avait rattrapé sans pitié. J’étais pris de court. On prévoit toujours tout un tas de choses. Elles s’évanouissent dès que le présent s’allume. Ça sert à rien de chorégraphier l’avenir. J’étais frais et disposé, comme si hier on s’était quittés. D’un coup subit mon humeur prise dans le flot se laissait entraîner dans l’imprévu, parce que la surprise a le don de te modifier les intentions : les préméditations volent en éclats. Que se passe-t-il ? Eh bien, en bon pantin ton corps se corrige. Pourquoi ? Car ta mémoire sait que l’autre se souvient. L’autre a forcément gardé en mémoire ton image. Tu ne vas quand même pas le décevoir ? Voilà, ça y est, tu es prisonnier. Par courtoisie un gentilhomme se sent toujours obligé de confirmer le cliché dans lequel on l’a enfermé. Le passé en commun est le pire des esclavagistes, on courbe l’échine de peur de froisser le présent. J’étais son nègre. Son nègre malgré tout. Elle possédait notre passé, l’avantage stratégiquement insurmontable. Mais d’un autre côté, je possédais son passé à elle. On se fracassait l’un dans l’autre. Des sentiments contradictoires me déchiquetaient, je n’oubliais rien mais une immense tendresse surgissait de la nostalgie. Les entrailles profondes... Parfois on désire aimer envers et contre tout ; oublier le mal, ne voir que les promesses de bonheur, laisser sa veste d’épines au vestiaire, inviter les arcs-en-ciel à sa table, danser d’insouciance et appétence, s’éprendre et se prendre, se voler les secrets et conjurer les chagrins... célébrer la mansuétude des cœurs. Parfois... C’était un de ces moments tyranniques. Un chantier s’édifiait dans mon estomac et Shirine avait des frissons. Nous étions tous deux en état de choc. Deux sinistrés.
– Oh, Billy... chéri, tu m’as tant manqué.
Sa figure était montée à la barre, ce n’était pas un faux témoignage, on pouvait lire dans ses traits qu’elle était pure de toutes manigances. On pouvait le voir mais le croire est une autre paire de manches. Après toutes ces années à me tarauder j’étais mal préparé au coup de théâtre. Je voyais double et si j’avais pas été assis je serais tombé. Comment, ces années en enfer, tout ça, c’était pour rien ? Un malentendu ? C’est possible ça ! Ça l’est ? Seigneur ! Le serait-ce ! C’est permis une telle fortune ? On a beau dire, chaque détail compte. Ça se joue à peu de choses. D’accord, mais mon fric dans tout ça ? Mon visage se durcit selon ses pensées.
– Billy... J’ignore ce qu’on t’a raconté, murmura-t-elle. Sache que j’ai tout fait pour te joindre. Tout.
Je voulais pardonner, ignorant jusqu’à quel point. Ok, je veux bien, mais alors, qu’allait-elle me servir ? Une fois qu’on se met à table elles nous remplissent. Je disposais de peu de moyens afin de séparer le vrai du faux. Tout en moi avait envie de jeter l’éponge. Quels efforts encore ? Où cela nous mènerait-il ? Quelque part... entre l’absurde et l’apocalypse. C’était le genre de moment à se faire une raison ou céder à la déraison. Et donc ? Ressasse pas ! Laisse les mots couler tout seul... Vois. Ses lèvres exquises se déforment avec sensualité, souviens-toi les douceurs... sincère ou pas ça devait compter, oui, ça devait compter, sinon que reste-t-il de sensible ? Pas grand chose, et t’en fais sûrement pas partie. T’occupe ! Vois. Et concentre-toi. Je m’exécutai et me concentrai sur sa bouche. Je m’agrippais. C’était un point de repère. Moment privilégié, le hasard avait lâché une faveur, j’eusse donné cher pour connaître l’état quantique de nos corps, l’environnement nous lovait sans contrepartie... pour combien de temps encore ?... le temps, le temps... il ne s’arrête jamais. La poursuite écrasante de l’univers est sans appel. Shirine m’entretenait sur tous les épisodes loupés, ma vie ainsi que le monde étaient concernés par son speech pourtant mon esprit s’évadait. Comme ils disent : trop de tout – entre les canonisés du système et les éternels mécontents, peu de place pour une lueur de poésie, et quand elle est, elle est souvent fadasse. Tout cela manque cruellement d’intérêt véritable, il faut cesser toute forme de pensée trop impliquée, laisser les hommes aux hommes et prendre la femme au plus profond, la prendre à jamais, le temps d’un miracle mirage. Le temps sera furtif pour tous ; dès lors, exploitons-en les moindres incandescences. Elle parlait, oui, sa lippe si exquise... oui elle m’avait beaucoup donné l’amour, ou quelque chose qui approchait, oui, oui... je m’évanouissais enfumé de nos souvenirs, tristes et lointains, je savais qu’il fallait fuir, je savais que j’allais fuir, le temps se comptait, point de doute, c’est lui qui prend nos vies en otages.
– [...] tu comprends, elle pouvait pas savoir. " Shirine évoquait Kim Bogaert. " Elle voulait bien faire, elle voulait réparer, se réhabiliter... honneur... amour ! ô Billy ! Billy chéri... si tu savais ce qu’elle a souffert, je l’ai vue larmer jour et nuit, elle ne mangeait plus, ne dormait plus, et... non, c’est trop cruel, Billy... Kim voulait bien faire, " j’ai compromis, disait-elle, j’ai tué Billy deux fois, je suis qu’une idiote, je vaux rien, je suis vide, je mérite pas de vivre. " Billy... Elle pouvait pas savoir, elle a cru te sauver, la presse s’ameutait... la rumeur comme une traînée de poudre... les médias en quête... une tempête médiatique... La Kim pourfendit leurs certitudes, déballa tout, au fifrelin, les a culpabilisés... le rebondissement ! Ils n’auraient pas pu espérer plus grand final. "
J’avais tant désespéré de raisons. Pourtant tout cela ne revêtait plus d’importance, à chaque parole je me rendais compte que la réalité révélée point par point est une réalité qui s’éloigne pas à pas. Les excuses ne font que mettre des battons dans les roues de votre refuge. La fuite s’impose peu à peu comme l’évidence à atteindre.
– [...] mais voilà, la presse a démenti... des pressions inouïes... la peur que j’eus, tu sais, ce n’est plus possible de raisonner, ça harasse, tout s’emmêle, menaces, reproches, opprobres, injures, tourmentes... Billy, Billy... Billy... ô chéri... Une fois que la meute... ce n’est pas la peine... Et dire qu’ils étaient sur le point de te libérer. Comment Kim eût pu deviner ? Rien ne le laissait présager. Un jour maître Dufour nous a contacté : " malheureuses ! qu’avez-vous commis ! La relaxe était sur le point, on attendait le moment opportun, le mieux discret ! Maintenant, c’est foutu. " L’affaire avait été portée à connaissance d’un trop grand nombre. " Pendant que Shirine s’essuyait les yeux je songeai que ce con de Dufour n’aura décidément servi qu’à pomper.  " Cette confidence d’initié fut la goutte, reprit-elle, qui fit déborder le vase de Kim. Elle avait désiré bien faire... comme quelqu’un qui passe sa main sous un château de carte pour le soutenir... c’est la rançon du pire. Bien faire. Bien faire ô Billy ! " s’écria-t-elle. On commençait à se retourner sur nous. Mon dos coulait peu à peu des sueurs. " Des bêtes fauves, le sang en bouche, ils nous ont rayé. Un bouc émissaire ! Voilà ! Voilà... " Bientôt plus personne ne regarderait ailleurs. Notre coin devenait un repère. Je prenais un air anodin afin de masquer l’affaire. " Ils enrageaient ! Une adolescente ! Une adolescente ! Ils étaient exposés !... démontrés pour ce qu’ils étaient... ils n’ont jamais pardonné, et elle n’a jamais reculé, pourtant elle s’emmurait chaque jour un peu plus. L’injustice subie lui donnait des ailes, elle était furie malgré ses atomes moribonds, Billy... Ce fut triste, si triste, si terrible, si... si...
– Si grotesque.
– Exactement Billy ! Elle a tout supporté, mais elle ne supportait pas ton calvaire, ce calvaire par sa faute et sa conviction, elle acceptait tout, tout sur elle mais rien sur toi, elle m’a dit, tu sais un jour elle m’a dit " toute ma vie, je suis jeune Shirine, n’est-ce pas ? eh bien toute ma jeune vie j’ai été égoïste : le mal à mes yeux ne frappait jamais que ma personne. J’étais incapable d’empathie sauf si ça me rappelait une douceur qui me manquait. Voilà que j’avais trouvé chez Gaby. Mais comment ! son Billy... enfin... oh, il avait ses raisons... " Kim s’enfonçait, elle disait, elle disait... " je n’ai vu, compris, admis que ma souffrance, ma solitude. Quand tu m’as raconté le procès j’ai reçu la révélation de ma vie, ce sentiment, là-bas, lorsque tous criaient silencieusement à mort, lorsqu’il t’a souri, j’ai été révélée, comme si de mes yeux vu de ma chair connu, j’ai été révélée et j’ai su combien nous étions tant méprisables que misérables, Shirine... c’est infernal, j’en cherche le bout, il se dérobe chaque fois que j’en perçois la lueur, comme si toute créature n’était que recommencement et fantaisie, comme si, comme si... je ne sais pas ! Je ne sais pas ! Je ne sais rien ! RIEN, RIEN, RIEN, tu entends, je ne sais je ne suis RIEN, NÉANT, MISÈRE. Tous nous nous ressemblons, là où je me croyais à part, j’ai vu combien j’étais dedans, oui dedans, parfaitement dedans, parfaitement à l’image de nos espaces d’inexpression. "
La réalité était pire qu’une relique, elle était un fantôme. J’avais la hantise pour compagne. Shirine remuait le couteau malgré elle, mille plaies répondaient à l’appel. La réalité n’était plus acceptable, plus du tout, il fallait la remplacer, la remplacer, remplacer.
– Écoute Shirine, je vais être honnête, il faut que je parte.
Voilà ce que j’aurais dû déclarer si j’avais entrepris de réduire la casse. Pensez dont... Les mots détalaient, ils s’exclamaient avec un silencieux au bout des lèvres, incapables d’avouer. Courage : fuyons ! Demi-sourire de circonstance, visage pour ainsi dire figé et pour tout dire foiré. Je fuyais sur place. Soyons aimable, affable, prévenant... Elle ne pouvait pas soupçonner. Oui mais voilà, qui trop embrasse mal étreint, on finit par trop en faire, moi qui savais combien n’est que mascarade. Elle découvrit le pot aux roses. Je souriais autant que possible, elle souriait autant que disponible. En d’autres temps on se serait réjouis. À présent le ciel s’obscurcit à mesure du terrain parcouru et je ne suis plus le seul avisé. Il faut fuir au plus vite ; bientôt nul abri ne permettra plus refuge, il faut lever l’âme, relever le passé de ses fonctions, le noyer dans le placenta, couper court aux intentions, elles dégénèrent... trop loin là-bas un jour qui n’est plus – qui n’est plus...
La vie ailleurs, ailleurs, la vie ailleurs, oui... ailleurs, oui…
– J’ai terminé mon service.
Voilà ce qu’ai déclaré. Shirine Makti me prit sous le bras, l’âme dessus dessous, oui mon Billy, mettons nos mauvaises pensées une dernière fois en friche, nous observerons une dernière correspondance à la hâte. Je savais, elle savait, on profitait d’un ultime. Au diable ! La trahison réciproque est le plus beau des serments. J’avais envie maintenant, très envie. Elle aussi, ça crève les yeux...

Ce fut médiocre. J’aurais dû m’en douter : la culpabilité ne fait pas nécessairement jouir. La honte plutôt rôdait. Soit. L’essentiel de cette histoire : à l’aube tardive d’un matin d’octobre d’automne, je mis les voiles.
Loyer payé d’avance. Quinze jours de bon. Je lui laissais un deux pièces. Jetant mon baluchon par-dessus l’épaule je filais droit devant à travers la brume matinale et la grisaille des feuilles bientôt mortes, destination Roissy-Charles-de-Gaulle. L’envol de ma vie. L’envol enfin. L’envol parce qu’on est tous des Icare en puissance, notre génération se brûle les ailes qu’elle n’a pas, errant d’une phase à l’autre. Une phase jamais aboutie, une phase indéfiniment à l’œuvre. Ce n’est pas prêt de s’éteindre, nous sommes les éternels derniers Mohicans, notre but est la survie, notre espoir le prolongement. Nos rêves respectent les horaires de notre époque : connexion, gloriole, désenchantement, déclin. Ça arrivait, voilà tout, ça arrivait. Et ça repartirait comme c’était arrivé. La vie ce merveilleux processus de recyclage, suave mécanique si bien huilée si minutieuse, si parfaite d’indifférence, pur joyau de l’univers. À moins que l’univers ait d’autres projets ?... Billy se disait qu’en tout cas il tardait à les manifester. "  C’est pas fini là-haut ! " L’Airbus A380 dégagea les nuages à grands coups de réacteur Rolls-Royce, le ciel prit ses distances, le soleil surplombait, sage et silencieux. Le colosse aviaire double pont intégral surfait sur la Troposphère tandis que mes pensées plongeaient en les méandres. Je n’avais pas eu le cran d’interpeller.
– Et Kim alors, fin de compte elle se trouve en quel état ?
Comme on pouvait s’y attendre, Shirine ne répondit pas à ce que je ne demandai pas. J’avais opté pour le statut quo. D’aucuns qualifieront d’immobilisme. Que leur opposer ? Elle dormait belle comme la Vénus de Milo lorsque j’abandonnai, et ce sera tout avec ça.
Là-bas tout en bas c’était la terre, et la mer, et les êtres. Là-bas tout haut loin c’était Dubaï, tantôt nous entrerions de plein fouet dans le futur. Tout le monde en parlait, personne ne savait. Ne savait vraiment. Depuis le grand traité des grands groupes, le blockhaus était complet. On en parlait de plus en plus et on en disait de moins en moins. Puis, l’émirat instaura son cordon maximum security. L’herméticité intégrale garantissait le rejet de la menace terroriste hors des frontières. C’est ce qui se disait çà et là. Et à vrai dire ? Deux assertions à propos de la mégapole à tout le moins s’avéraient : primo, physiquement impénétrable, secundo, technologiquement élue. Il y avait Dubaï, il y avait le reste. Un Émirien accédait à tout, le reste accédait au reste. Tout le monde était tombé d’accord, surtout les Occidentaux de gauche, ils appelaient ça " le droit à la différence ". Mais n’allons pas figurer que les seuls Émiriens peuplaient Dubaï. " Bienvenue à tous, tentez la chance ! ", promettait la banderole flash du site gouvernemental de recrutement. Après la traditionnel mise à nu et la subséquente désinfection, les candidats seraient redirigés nous annonçait-on, en fonction du statut octroyé, grimperaient un à un les échelons, à moins de les dégringoler quatre à quatre. Des singes, des singes...
Mais tout cela, tout cela, c’était Dubaï, et cela mérite un éclairage supplémentaire.

Ecrit par Jokeromega, à 22:16 dans la rubrique "Chantier fermé".
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Mardi (13/02/07)
Un havre de paix

--> extrait

– Voilà, tu es libre.
Ces mots résonnèrent. Tu es libre. L’écho dans ma tête. Pouvais-je l’accréditer ? J’en doutais fort. Une erreur. Une plaisanterie peut-être. Il n’empêche, d’un point de vue physique la légère brise matinale venait chatouiller mon esprit incrédule. Contre toute attente, j’étais bel et bien civilement libre. À la campagne, aucun passant, pas même une vache. Certes un écureuil. Je restais là.
– Tu es libre.
Je restais là sans rien dire, l’air ventilait mes narines, le soleil se levait timidement sur ma peau blanche comme quelqu’un qui vient de passer dix ans à l’ombre, mes oreilles sifflaient un air d’euphorie, mais le reste de mes sens se méfiait, comme abasourdi, hébété, sceptique. Un tel retournement de situation ? Difficile à avaler. À force on finit par se persuader. Alors si jamais on a du mal. On ne se réjouit que du bout des lèvres. On préfère avoir le gigot dans le larynx avant de se remplir l’estomac. Il pourrait encore tomber du coin de la bouche.
– Héla ! Qu’attends-tu ? Allez, va, profite.
– Les vétérans ont perdu l’habitude.
– Ça fait que trois ans celui-là.
– Quatre.
– Comment quatre ?
– Il a tiré un an chez les vip.
– J’avais oublié. Hé ! Billy...
L’uniforme s’approcha, je fus saisi d’un brusque mouvement de répulsion : j’étais hébété, mais pas au point d’y vouloir retourner. Je comprenais. Il me fallait le temps, c’est tout. Vous comprenez, j’avais apprêté mon enterrement, ça prend du temps de changer de costume.
Je n’avais pas travaillé en prison alors j’avais droit au 150 euros de base. Prime de réinsertion. Le gardien m’appela un taxi de bonne grâce. " Merci, vous êtes un brave. " – " Y a pas de quoi Leskens, au plaisir de se revoir. " Le salaud... Le taxi fut interminable. Son GPS trouvait pas notre trou perdu ? L’air se faisait chanter par des oiseaux, lesquels je ne saurais dire, l’ornithologie me fait défaut. En tout cas c’était des oiseaux. Et le vent, oui, le vent aussi.
– Bonjour monsieur le taximan. On va où avec 150 euros ?
– Quelle direction ?
– Panam.
– Vous avez de la veine, on pratique justement un forfait sur Panam. Cent balles tout rond. Vous travaillez ici ? Mais, mais… mais ! Je vous connais ! Vous êtes Leskens, n’est-ce pas, vous êtes Leskens ?
– En effet.
– Votre barbe et les cheveux, longs comme ça... j’avais pas fait le rapprochement. J’adore votre livre. Onze relectures ! Comme vous aviez raison... Si vous saviez... Vous recevez les news, non ? En réseau restreint, c’est ça, on m’a dit... j’ai un ami incarcéré.
– Chez les vip on recevait. Ici je n’ai pas cherché à savoir.
Mon visage se lesta. Les couches s’étaient accumulées. Le contact après tout ce temps... Le taximan dut se dire que je n’avais pas tué mon père pour rien. Mais se le disait-il vraiment ? Ses yeux joyeux de me reconnaître avaient chanté autre chose. Lors des premiers temps j’avais ouï dire qu’un petit groupe d’irréductibles prêchaient mon innocence. Une bande de farfelus. Je rendis la politesse par un sourire. Le taximan n’en demandait pas tant pour s’animer.
– Ça vous change !
J’avais changé, en effet. Tant que ça ? Les pensées me traversaient, soldats inconnus d’une guerre perdue d’avance. Non, je ne capitulerais pas. Alors je dérive de spiritualité en spiritualité. Un lent filet de temps... Le temps dodelinait. Je faisais un effort de neutralité. Je restais logé dans mes pensées.
– Votre prophétie c’était pas des bêtises, pas du tout. Vous aviez vu juste !
– Prophétie ?
– La France a craqué de partout, la Chine est leader mondial avec pas mal d’Anglo-saxons à la tête des grands groupes. Ces derniers on fusionné. Ça se stabilise.
Je me tus. Je n’y étais plus. Je venais d’épuiser mes maigres velléités survivantes. On perd vraiment le contact. Mon interlocuteur ne sembla guère s’en contrarier, se lança dans un long récit.
– [...] À Dubaï le pacte fut scellé selon une jurisprudence particulière à Dubaï. Le monde se découpe dorénavant en tranches de consortiums et affinités.
Je percevais des sons.
– [...] La répartition est stabilisée. La France fait enfin partie du tiers-monde équitable.
Le soleil stigmatisait les peaux, che calor ! midi avait levé l’ancre, on entrait dans la fournaise de juillet.
– [...]
Le trajet sembla interminable, la vitesse aurait dû m’impressionner, " tu verras, c’est ce qui frappe le plus : comment que ça va vite une auto, tu verras ! tu te demanderas ce qui se passe ! " Les récidivistes m’avaient mis en garde. C’est comme ça pour les longues peines, on perd nos repères. Or l’effet se faisait toujours attendre, en toute franchise j’avais plutôt l’impression de voyager en escargot. Je passai un regard par dessus l’épaule du pilote, les luminescences indiquaient 85.
– Vous avez installé un compteur américain ?
– Pardon ?
– La vitesse, c’est en miles ?
La chauffeur eut un rictus. Il se bidonnait le plus discrètement possible.
– Non, non... Je vous confirme : c’est du kilomètre, Système international homologué. À votre service monsieur.
J’esquissai un sourire. Il vit sans doute une grimace.
– On est passé aux énergies alternatives depuis deux ans. Les mécaniques ne sont plus conçues pour l’explosivité. Endurance et propreté ! Vous savez, on fait surtout circuler les données. On évite les mouvements physiques. Des programmes de gestion des effectifs main-d’œuvre harmonisent à l’échelle globale. Ça y est presque, on entre en phase finale.
– Vous exprimez vos idées d’une façon qu’on ne vous devinerait pas au vu – pardonnez-moi de préjuger – de votre utilisation sociale. Vous faisiez partie de ce grand plan d’harmonisation ?
– Non, non. " Il pouffa pour de bon. Un rire franc et articulé. Presque métallique. " Non, je suis un dissident comme beaucoup ici... l’Occident pauvre. Le mauvais élève dit-on mais Paris remporte encore son petit succès : on vient visiter le site archéologique. "
Je pris la fuite mentale. Sa chanson me fatiguait. On sentait le rebelle. Par pitié arrêtez ça. Si seulement la rébellion pouvait se la foutre en veilleuse un instant. Rendez-moi Gaby et mes liards.
– [...] Vous savez, le combat fait rage en Afrique, poursuivait-il inlassablement, votre idée, vous vous rappelez, sur ce plateau, lorsque tant accablé par la critique et les suspicions vous aviez suggéré un partenariat privilégié intra-Francophonie. Les liens se tissent, le français était vraiment le symbole fort, vous aviez vu juste, tout à fait juste. Au début on était parti sur le multilinguisme... on s’est vite aperçu du manque de liant, la sauce prenait pas. Il nous manquait un socle commun. Or la révolte gronde. En souterrain, mais elle gronde. Elle gronde... On ne vous sera jamais assez reconnaissants.
Il s’interrompit à mi-idée, non par manque de suite mais parce qu’il avait la sagesse de tâter le terrain. Manifestement, ce monsieur espérait de moi. Faudra la jouer en douce Billy, en douce... Je n’étais pas sûr de sortir indemne de sa boîte de conserve équitable, je n’étais pas même sûr d’y être entré innocemment. Les gardes ne pouvaient pas être dans le coup. Si ? Et comment ! Ces cons ne sont plus à l’après de ça ! Trop démunis, les pauvres bougres sont aux aguets, prêts à vendre leur mère à plus offrant. Mais Billy, c’est bien toi et personne d’autre qui as eu l’idée du taxi, correct ? Correct. Comment dès lors un complot ? La prison rend paranoïaque, surveille ta boule !
– Porte de Bercy monsieur Leskens, désirez-vous...
– Notre-Dame. Allons à Notre-Dame – en l’honneur de Victor !
Nous arrivâmes promptement car les axes étaient dégagés comme si j’étais le président. Les véhicules motorisés raréfiaient par ici. De la parcimonie à la pénurie il n’y a bien souvent qu’une nuance de politesse, surtout lorsqu’on a pris le pli de la pleine consommation. Le monde avait laissé le marché français s’embourber tout seul. Huit milliards... il avait bien fallut partager le gâteau, redistribuer les cartes... La Chine avait damé le pion à tout le monde et le monde avait damé le pion à la France. Et la France avait damé le pion à ses ancêtres. Au moment où ces lignes sont numérisées Vercingétorix s’en retourne encore dans sa tombe. Le brave Gaulois n’en peut plus de révolutionner dans sa bière, il en est à son dix millième tour, là faut qu’on lui éclaire sa lanterne, comment ça a pu à ce point-là ? Eh bien cher ancêtre, sache que le raffinement a vulgarisé la France. Trop raffinée elle a manqué de tranchant, le tranchant de survie qui distingue le débat du brouhaha. En fin de compte, fort logiquement, ses politiques se sont vautrés dans des discours de plus en plus médiatico-démagogues et les votants se sont de moins en moins satisfaits d’une machine qui s’était ralentie. Le raffinement chaque Français peut désormais raisonnablement se le foutre à l’arrière. Je dirais comme ça, à vue d’œil, que l’idéal philosophique de la société procède d’un système évolutif, et non un de ces sempiternels systèmes à rupture révolutionnaire ponctuelle. Non, au XXIe siècle on peut se permettre la révolution en continu, en sorte que la révolution ne soit plus révolution mais évolution ; à l’image de la nature somme toute. Mais la nature n’aimait pas l’homme, et l’homme n’aimait pas la nature. L’homme tient à ses acquis comme à la prunelle de ses yeux. Ne jamais lui céder ! Une fois que l’homme a acquis, c’est pour toujours (se dit-il). De la stabilité – voilà ce que veulent nos cœurs fragiles. On a peur de la crise cardiaque, vite, mettez-nous une pile.
Les révolutionnaires d’aujourd’hui sont les conservateurs de demain. Les anarchistes ne sont qu’un cas particulier de la soif humaine de routines et habitudes. Les anarchistes tiennent plus que tout à leur anarchie. Leur anarchie suit un code établi – explicite ou implicite, conscient ou pas. Un code aisément identifiable, reconnaissable, familier et, bref, docile. En outre, la révolution n’est que la traduction d’une source d’insatisfactions communes à une masse qui lorsqu’elle devient critique fait péter la baraque. Notons que ça finit toujours par péter car il est humainement impossible de satisfaire l’humain. Ça doit péter, indépendamment du système en cause et des individus impliqués. Puis, chacun retournera à ses habitudes jusqu’au prochain bordel sanglant.
– Je vous accompagne ! avait scandé le taximan révolutionnaire, j’ai assez d’heures comme ça.
Le fils spirituel de Che Guevara manquait pas d’air et la Seine coulait paisiblement. Voici les tours jumelles. Des haies finement taillées, un pigeon passe, un chien pisse, une très belle jeune fille embrasse un beau jeune homme tendance tandis que le vent souffle dans les rameaux comme si c’était les jambes de Marilyn en 55. Les événements s’emboîtent. J’ai le sentiment d’être en surbrillance de la scène. Dans ma tête je bourdonne, tournoient les idées, je sens les suffocations battre ma carcasse... l’air lourd... jonché d’ultraviolets secoués par le vent de Paris. Mon esprit s’agite et ma volonté rechigne. Situation kif-kif !... rage mentale ou sourde langueur : les dés du hasard vacillent sans tomber. Or voici. Le monument me fait face. Pierres propres et soleil tapant, une ombre soudain généreusement s’abat, j’égraine le temps d’un air pensif, absent. Les flammes par-delà l’espace frappent à nouveau, la nature s’immobilise, je cours prendre refuge en l’égide catholique. J’espérais bientôt semer l’indésirable.
À l’intérieur, des choses. Vitraux tout ça. Égal. Je n’avais cure. Je voulais larguer mais l’autre collait – à la culotte. Je sortis, fus ébloui, rerentrai, sortis derechef, six mendiants faisaient mendiance, portaient des sports des années 2000, Nike, Adidas, Reebok. Les vieux modèles, délavés, on sentait qu’ils avaient vécu. La France crevait ; je ne pouvais pas dire que c’était bien fait mais c’était, comme souvent les décadences, prévisible.
– J’ai envie de prendre le métro, ça fait longtemps.
Je tenais un bon plan. L’autre suivrait comme un clebs et plus pour longtemps.
Le wagon ignominieusement bondé. Dès les couloirs et rampes d’accès la foule étouffante en sueur. Ça dégouline de partout. Des corps et des corps. Je compris que les corps se déplaçaient en commun dorénavant. Je sentis un sein stressé dans mon dos. L’indésirable était coincé à trois corps de moi. Les stations s’enchaînaient comme convenu... Concorde... les portes encore toujours s’ouvrirent... signal de fermeture, je m’extirpai in extremis, les coulisses se refermèrent sur le rebelle. Je prenais congé. Ligne 8 direction Créteil. Je salue de bon cœur Opéra, une pensée de dégoût pour Bastille. Bon, la journée s’annonçait chaotique, le soleil s’invitait de plus en plus férocement et ma peau blanche rougissait. J’ignorais le lieu de Shirine. Une journée ordinaire, seul, perdu, en manque. Le soleil brûlait pour tous.
Paris n’avait pas tant changé que les Parisiens. Les mines souvent défaites, parfois radieuses (des post hippies crasseux), et dans l’ensemble tout ceci ne me concernait qu’à titre anecdotique. Il fallait quitter cette ville au plus vite.
Trois mois. Je travaillai comme garçon de café, les filles dégageaient le parfum et l’alcool, les mâles l’alcool et l’alcool. J’étais peu payé, personne ne me (re)connaissait, les gens semblaient heureux bêtement et cela m’attristait profondément. À la vérité, dès le départ j’avais renoncé au passé. Enterrons tout ! Que voulez-vous... L’argent était perdu et j’étais sorti quoi qu’on en dise. Il faut le dire, le corps a la mémoire courte : il oublie rapidement le goût du calvaire. J’étais lancé en pleine routine espérant amasser un billet d’avion pour l’ailleurs, le mauvais souvenir de Shirine s’effaçait, Kim aujourd’hui serait une adulte, c’est-à-dire une adulte névrosée, non merci, et ma mère priait quelque part dont la localisation ne pourrait rien changer à ma vie. En outre j’étais un pécheur invétéré. Et Gaby... Non, elle aussi au passé. Elle était morte dans ma vie. C’était fou comme on tirait un trait avec aisance. Quelques années voire quelques mois suffisent à rendre ce qui fut nul et non avenu.
Après trois mois minables j’avais déjà de quoi m’envoler mais un peu plus ce serait pas mal. Mieux vaut assurer ses arrières. Un événement toutefois bouscula mon planning. J’étais à la plonge, la plupart des bars français avaient conservé le style artisanal. Par choix coutumier et contrainte économique. Par ailleurs les touristes y tenaient... Leur monument archéologique ! encore en activité. Force est de constater qu’ils en prenaient pour leur argent. On avait supprimé les écrans, les hologrammes et toute forme d’agression technologique si bien que les gens venaient boire et taper la conversation à la mode du XXe siècle années trente. Ainsi, en reculant d’un siècle, la France se persuadait maîtriser son sujet et posséder une vue d’ensemble. Soyons bons joueurs, elle n’avait pas entièrement faux. Son sujet était maîtrisé. Par contre sa vue d’ensemble se limitait à sa croupe fatiguée de vieille carne. Elle sentait la merde et plus personne en voulait. Trop myope et peureuse, elle avait pas à pas éludé la réalité contemporaine du monde extérieur. " Un havre de paix "... Indeed.
Je passais les verres sous l’eau en observant les gens s’animer. Parfois je recevais un salut auquel je rendais la politesse. Qu’est-ce que je fous là ? était ma pensée favorite. La vie en groupe ne correspondait pas à mon habitat naturel. Je frottais, rangeais, l’eau s’écoulait, un petit groupe prenait du bon temps, un couple en retrait se râpait la bouche, il lui passait une main sous le sein, elle lui passait une jambe sur le rein, plus loin ça pinaillait politique, Dubaï-ci, Dubaï-là, sujet de prédilection, ville phare d’une nouvelle ère, ville mère ville prototype, à la croisée des chemins des winners de toute la planète. Elle était le rêve et l’effroi, l’horizon de tous et le zénith de personne. Elle était haïe et convoitée mieux que le rêve américain. Pour preuve, un Américain qui avait réussi son rêve allait toujours le poursuivre aux Émirs.
J’avais trente-quatre ans, je savais que malgré mes apparentes forces mon corps se désagrégeait, la mort déjà en marche. Je continuais de lustrer la verrerie. Visiblement, certaines entités humaines parvenaient au bonheur, au moins de façon ponctuelle, voire par phase intermédiaire prolongée. J’étais impressionné et dégoûté. Je continuais de ranger les coupelles à zakouski. Ils polémiquaient littérature, j’affrontais les planètes. Ils invoquaient la philosophie, je guettais la mort. Ils se remémoraient les êtres chers disparus, j’étais incapable de compatir, me sentant concerné par ma seule vie – et encore, conviction faiblissant. Moi aussi pas mieux qu’un autre je vivais la routine. J’étais l’homme fier d’un cercle vicieux. Il était évident que seul un départ pouvait me prolonger de quelques années, sans quoi une maladie atroce m’emporterait demain ou après-demain si j’ai du pot.
Il fallait amasser au plus vite avant de déguerpir. Cependant une silhouette fendit le prisme de mes élucubrations. Corps taillé à la serpe, enrobé d’un halo de lumière, je n’en pouvais discerner que les courbes majeures, proportionnées, belles à damner un saint. Cette apparition restait là, sur le pas de la porte, commandait la pièce de sa grâce, pourtant j’étais seul à gratifier la créature de mon coup d’œil subjugué, ailleurs on papotait négligemment, on n’était pas en mesure de voir ce que je vis : à travers l’incandescence du visage, deux prunelles balayaient la plaine des âmes présentes, et ce jusqu’à ce que ces deux prunelles tombassent nez à nez avec deux autres prunelles. Alors les prunelles se firent l’amour une éternité de seconde. Ensuite, le créature s’avança ; les battants continuaient de battre lorsqu’un visage se détacha du flou originel, le buste allait entier à ma rencontre, porté haut par de longues jambes à l’allure ferme et souple, d’un élan qui semblait familier – la clarté se fit : Shirine.
Shirine Makti... Le monde est petit quand il a décidé.
Pétrifié sur place, ma première intention suggérait la fuite mais c’était trop tard, j’étais fait et refait. Et pourquoi diable se débiner ? À qui revenait la honte, le déshonneur ? N’était-ce pas moi la victime dans cette histoire ? J’avais une créance ! Juste ou pas ? Pas juste, seuls les esclaves revendiquent l’humiliation. Les princes quant à eux se rendent malades. Les âmes princières ne survivent qu’au sein des hautes sphères, ailleurs elles suffoquent. Les âmes vulgaires ont des milliers de mains qui se tendent pour inviter dans la fange. Voyez ! Ces milliers de petits monstres sans l’originalité des vrais monstres. Ne croyez pas que prince – un authentique prince – méprise les petits monstres. Que nenni ! C’est une souffrance rien que regarder en bas. Un prince dans l’âme a honte d’avoir pitié. Un prince dans l’âme ressent pour tous ceux qui ne ressentent pas ; il conçoit de la honte pour compenser le vide des autres.
En l’occurrence Billy Godefroy Leskens concevait de la honte pour deux. C’est déjà pas mal. C’est pourquoi notre prince aurait été incapable de se venger. À moins que la raison de l’amnistie soit moins glorieuse : serait-il par hasard vaguement amoureux ? En ce cas nous avons affaire à un prince mal barré. La mémoire m’avait rattrapé sans pitié.

Ecrit par Jokeromega, à 18:43 dans la rubrique "Chantier fermé".
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Mardi (06/02/07)
Nous approchons du but...

--> si je trouve éditeur je verrais volontiers ma 4e de couverture ainsi

Ça n’arrêtait pas d’empirer. Pour bien saisir la force cinétique du phénomène, il faut comprendre que souvent le lot des histoires qui se lèvent du mauvais pied est d’encourager la tendance. Boiter s’apprend très tôt. Alors l’engrenage se met en branle et c’est difficile de contredire la volonté de désastre. La volonté de désastre c’est quelque chose qui prend racine très au début. Après, l’un dans l’autre, on peut résumer en disant qu’on représente le spectateur de son propre naufrage. Tout au plus on compte les points. L’engrenage est une belle machine. Il prend racine très au début.

Ecrit par Jokeromega, à 12:20 dans la rubrique "Chantier fermé".
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Mardi (30/01/07)
Et le vent souffla

--> extrait

Lorsque tu es assailli de partout, ne pas s’extirper signifie la ruine.
La ruine... L’aurais-je cherchée ? Je l’ignore. Je demande simplement une pause. Je devrais dire : un moratoire.
Alors je pars. Avec les moyens du bord. Même somnolant. Même perclus de blanches nuits et jours noirs.
Je traçais, le soleil était doux, brûlait gentiment, le printemps levait la saison, l’automobile éventrait l’atmosphère, les mouches mouchetaient le pare-brise, un chat crevé flanquait le bas-côté. Fort dommage, j’aimais cet animal. Affirmatif, et j’avais d’autres chats à fouetter. Mon esprit épuisé n’était plus bon qu’à une poignée d’impressions chaotiques et actions simplifiées – la conduite assistée, par exemple. Des impressions... Il m’était pénible de réfléchir aux choses. Réfléchir c’est bousculer son ontologie. Les idées s’empressent, assaillent, gémissent. Je les avais conçues et en retour elles m’assiégeaient, m’assignant au for intérieur.
La pratique mentale n’a d’intérêt que lorsqu’elle a pour but de se retourner contre son créateur.
La pratique mentale inflige des sévices imaginaires très concrets dans la chair. Le corps dysfonctionne avec harmonie. Jusqu’où en supportera – disons, de manière digne – une créature après tout humaine ?
J’échoue, quelque part, en un lieu encore à définir, mais j’échoue, dans le prolongement de jadis, j’accomplis ma dérive, j’incarne ma dérivée à l’extrême limite. Je représente une étape majeure – laquelle je l’ignore mais majeure, probablement irréversible, et précurseur. Comme une terrible promesse.
Je suis le fil de mon abîme.
Je suis mon abîme.
Le soleil jouait avec les nuages, leur mettait des coups de soleil, il trichait, on le croyait parti... puis soudain les jets d’or pur, la céleste incandescence de toute sa superbe, sommation de dégager le trafic, allez les nuages ! Les nuées de coton devaient rester à l’écart, la mettre en veilleuse le temps que le chef d’orchestre se défoulât, et le vent souffla une pluie légère, la siffla comme une mignonne, et celle-ci lui caressait les joues, il partait en pirouette, elle lui faisait des clins d’œil gros comme des grêlons, son cœur partait en torrent, il avait la grêle dans l’estomac, elle s’offrait, fine et fébrile, il vrombissait, par soubresaut, en pur-sang agacé, et ils s’accouplaient, enfantaient ensemble des arcs-en-ciel, et les arcs-en-ciel bariolaient la vitre conducteur, le moteur 250 chevaux ronronnait silencieusement dans l’habitacle protégé, les insectes plongeaient par saccade, des éclaboussures de pare-brise, de plus en plus, ils tachetaient ma perspective avec parcimonie, j’enfonçais la pédale, et le métal et sa cyberélectronique et son hôte biodégradable filaient toute allure, impérieux, la fatigue oubliée, l’ennui obsolète, la pensée en équilibre sûr, quelque part cette pensée entre l’animal et le soleil, grande, belle, autonome...
Il y avait peut-être une échappatoire, in extremis. Et elle ne résidait ni dans l’arbre, le gros arbre que je venais de dépasser, ni dans l’écriture, bien trop sournoise et élaborée. L’échappatoire résidait quelque part, oui, entre ce soleil et cette animalité. Qui sait... La météo semblait doucement tropicale en ce beau jour ensoleillé. Je maîtrisais l’environnement ambiant. Embrayer, guider, foncer. Fonctions simples, efficaces, abouties. Rien à (re)dire ni justifier, plus aucun besoin d’analyse. L’analyse arrive toujours trop courte d’un bonheur. J’étais là, actif. Actif sans m’agiter. Actif dans la pleine évidence. Ni déclaration ni témoins, pas de bla-bla – que du bitume, du décor, de la vitesse. Sans en rajouter, kilomètre par kilomètre, borne après borne, GPS en stand-by, horloge au ralenti, compteur fixé cruise-control, destination inconnue, direction au nord, comme ça, parce que, ainsi, j’allais, c’est tout, – et tout à savoir.
Chemin faisant, je bifurquai vers mon patelin de l’enfance, pas loin de la téci d’ailleurs, un coin tranquille, une commune non urbaine et pas trop perdue, paysanne par petites touches, animée parfois, souvent paisible, peu intéressante, tellement ailleurs, ailleurs la ville, ailleurs les hommes, ailleurs les choses. Juste un patelin, une gentille bourgade pas contraire, pas hostile, sans voisinage cafardeur, non, un coin aimable, respectueux, indifférent.
Ma chambre se trouvait justement à louer, celle d’enfance oui ! qui avait précédé la faillite, la nôtre, en famille.
Les temps étaient durs, le pays pourrissait pire que France, pourtant déjà baisée... non, ici la joie amorphe des sympathiques citoyens du monde avait définitivement été entérinée. Pas comme en France où s’acharnaient les fervents défenseurs de la République-de-la-débâcle. En Belgique, c’était calmement mort. Soit, la Belgique s’appelait Mirage dès le départ. Or là-bas, en France donc, les péchés de l’homme blanc devaient encore sans relâche expier. Expier jusqu'au dernier et au dernier des oubliés et, comme on dit, qui cherche trouve. Soyez-en sûrs, les diligents fossoyeurs excaveraient le putrescent cadavre jusqu’au bout. Aucune vermine ne nous serait épargnée. Les colonies, la bombe, l’esclavage, tout ça par la faute de l’homme de souche, et du Juif tant qu’à faire : la souche – comme tout le monde le sait – de Satan. Sans oublier le désastre des Indiens d’Amérique du Nord, et les Incas, le CO2 : tous coupables !... : Les joues rosées des leucodermes. La discrimination, les multinationales, le fric la fame la fortune : homme blanc ! homme blanc ! homme blanc ! Vite, agitons la marotte ! Homme blanc ! Homme blanc ! Homme blanc ! Seul point positif, à présent les manuels scolaires enseignaient enfin à nos chères têtes blondes décolorées version Pink que Napoléon fut " un vilain monsieur esclavagiste, impérialiste, et génocidaire ". Sur ce dernier point on hésitait quant au montant exact de génocidés. Quoi qu’il en soit les organes officiels avaient enfin laissé aux vestiaires l’insupportable langue de bois. Napoléon avait même acquis une très fashion sémantique : " onomatopée exprimant un profond dégoût suscité par les pires déjections ". Les dictionnaires en ligne étaient formels, la novlangue ne ment pas ! " Trop de blanc nuit au pluralisme chromatique ", revendiquaient les zélés de la Tolérance. Tout un programme, et la sauce prît !... Le pire prédateur de l’homme blanc n’était nul autre que l’homme blanc himself. On n’est jamais mieux desservi que par soi-même. Foutue pigmentation de masochiste... " On en a marre ", scandaient les slogans lors d’une manifestation de la mémoire en vue d’un avenir pour tous, " métissez-nous une bonne fois pour toute ! que cette honte de chaque instant enfin quitte notre peau de cochon. " Les souchés digéraient mal leur " réussite " matérialiste, du coup, les souchés relativisaient leur pseudo progrès intellectuel. " Hé, en soi la culture sénégalaise ou malienne par exemple, c’est pas moins bon que la culture française par exemple. " On se l’entendait partout dire... " égalité ! "... " droit à la différence ! "... " devoir de mémoire "... Tant de fécondité. Y avait de quoi en attraper le tournis. S’il vous plaît une aspirine ! Allez comprendre... Une piste toutefois : le souché (de gauche, et tout le monde était de gauche en France, à commencer par la droite) détenait une vertu humanitaire qui le distinguait : se tirer une balle dans le pied en gardant le sourire. Cheese !... Sourire niais ou hypocrite, selon qu’il votât ou fût voté. Et le pire, cette balle dans le pied s’appelait l’Autocritique et l’extirper revînt à renier les fondements mêmes, les racines, la source même de notre grande souche universelle occidentale.
Oui, l’autocritique était nécessaire et même vitale. Sans elle ce n’est plus occidental. C’est autre chose. Voilà, nous avions le choix, disparaître au nom de nos valeurs – ou disparaître faute de valeurs.
Les nouveaux propriétaires se montrèrent sympathiques et discrets, je pouvais pas mieux tomber ni en demander plus – non vraiment. Les murs avaient conservé leur blanc cassé, le même grand placard blanc à boutons dorés bordait le mur sur lequel donnait la porte : un pan entier de ma chambre, j’y avais rangé mon enfance. La vue s’était comme figée, les trois mêmes doubles vitrages, les mêmes châssis blancs, et la même menue si verte prairie, et ses deux chevaux marrons – un manège dans le coin – qui broutaient paisiblement. À vrai dire cet animal broutait toujours, et toujours paisiblement presque aussi bête qu’une vache. Les filles aimaient beaucoup les chevaux. Un chat avançait à pas veloutés, à l’affût, bondit sur sa proie en bon oiseleur qui se respecte. Pauvre cuicui. Les chevaux continuaient de paisiblement tondre la pelouse. Les volatiles découpaient le bas du ciel en de multiples formes géométriques improbables, courbes, ellipses, paraboles. Plusieurs nids avaient pris pied à la cime des arbres, parfois une bête s’y retrouvait en coup de vent, et s’envolait au prochain départ. La nature se donnait en spectacle. Je l’observais sans en perdre une goutte. C’est alors que je fus pris d’un accès mental.
Sous nos yeux de taupes modernes, une grande bébête – appelons-la Civilisation – se faisait grignoter-dévorer par des hordes-multitudes de minuscules parasites – appelons-les barbares – tandis que des cosmopolites-humanitaires se la jouaient herbivores, nous n’avons pas besoin de nommer ces derniers étant donné leur inexistence à proprement parler. En outre, le barbare n’était pas toujours celui que l’on croit. Un sauvage sommeille en chacun de nous. Pour qu’il émerge, c’est simple, il suffit de ne rien faire. Il suffit de naître. Il suffit d’être tout simplement soi.
La civilisation est l’exception.
Les barbares sont devenus la règle.
Les barbares imposent leur règle.
Non, même pas, pourquoi les Barbares imposeraient-ils leur barbarie, lors que les Décivilisés de la défunte civilisation leur ouvrent grandes les portes, exhibant fièrement leur modèle inoccidental ? Face à notre décrépitude bon enfant aucune marche à gravir pour planter son drapeau au sommet. Soyons sérieux, au sommet de quoi ?
Oh... tout cela importait peu, gauche, droite, socialisme pas socialisme, fric pas fric, prédateur pas prédateur, tout cela sortait du cadre de mon éphémère existence. Je pouvais penser ces phénomènes, ces objets, ces " affaires ", et c’était je crois, tout ce que je pouvais faire – y penser. Il me sembla tout de même, réflexion faite, que la nature était de droite. Vous comprenez, un oiseau en piqué venait à l’instant de séparer ma fenêtre en deux, et je me mis à penser ses ancêtres les dinosaures, essayant d’imaginer les décisions d’un Tyrannosaurus Rex parachuté en plaine prairie. D’abord, il dévorerait les chevaux paisibles – environ trente secondes de dîner, peut-être davantage – ensuite le chat au dessert mais le chat trop vif et malin prendrait la poudre d’escampette, alors le monstre se dirigerait plein de couleurs dans ma direction. Honnêtement, le monstre aurait davantage à craindre lui de moi que moi de lui. Le monstre pesait six tonnes – désolé mon grand, mais tu ne feras pas le poids, au marché darwinien des créatures, homo sapiens a introduit la pensée sur son plateau de la balance. Ça a fait BOUM. Mais peut-être une météorite géante viendrait-elle solder nos différends, ça s’était vu, ce n’est pas une première ! Comme bien avant l’avènement des deinos saura, ces " formidables lézards ", et comme ensuite au Crétacé, et comme d’autres cataclysmes encore, ces histoires de volcans géants à cratère multikilométrique, ces histoires d’hiver nucléaire après impact d’un terrible météore, ça tout ça, tout ce, tout ce... ces contingences, ce... ce déchaînement des éléments, ces petits rien de la galaxie... tout cela écrasait et recyclait à bon compte, les espèces se succédaient invariablement, sans que l’univers sourcillât, tranquille, parce que c’est comme ça. Mais était-ce – vraiment – comme ça ? Oh je me souvenais ! je me souvenais... tout ce que j’avais appris, Google, Wikipédia, blogs, livres... et cætera, ces grandes théories, connaissances, épistémès... ces datas, ces progrès, ces transports ! tout, tout, TOUT ! tout m’engloutissait... dépossédé du moi-même, de l’orgueil, la vie, son être, sa raison, son sens, sa voie... Tant d’hommes ! tant d’étoiles... tant de découvertes... faites et à faire, et si peu de vie, si courte, si brève, si arbitraire, abrupte, condamnée. Le tyrannosaure fut bien plus heureux. Cependant j’étais son prédateur. Son supérieur. Son infiniment supérieur. L’univers avait-il ressenti jusque là ? Avait-il ressenti avant que je naquisse ? Pas certain.
Les équidés paissaient paisiblement, toujours.
Toc toc toc. La porte s’entrouvrit sans plus d’introduction.
– Ça va, vous ne désirez rien ?
– Non, rien. Merci.
La porte allait se rabattre.
– Vraiment rien. Je suis venu ici par solitude, et pour la solitude – j’y tiens beaucoup. Autant qu’elle tient à moi, murmurais-je mentalement. Vous pensez que c’est possible, avais-je interrogé à présent à voix haute, que c’est... envisageable ?
Le visage hésita, un peu décousu ; je ne présentais pas un type fréquent. Le visage marqua un long blanc silencieux. Finalement, la bouche se mit en branle.
– Oui, c’est tout à fait possible... naturellement. Et dans sa fuite d’ajouter : vous serez tranquille. Plus personne ne vous indisposera. Plus personne. J’y veillerai.
Trente ans de moins et j’aurais demandé la sainte main de cette entamée quinquagénaire. Elle savait pratiquer le silence, cette denrée rare en voie de disparition.
Le ciel brumait pas mal, de lents mouvements grisâtres sur fond bleuâtre. Trois ou quatre milles ans Ante Christum Natum on eût à pareil spectacle conclu que décidément, ce jour, Dieu est maussade. Aujourd’hui les particules élémentaires faisaient la pluie et le beau temps. Peut-être les supercordes, bientôt... Des dimensions supplémentaires, des invisibles, qu’on ne voit pas, nous. Des trop infimes, un autre monde, une autre géométrie, un truc mieux violent qu’Einstein, coucouche panier la relativité générale, mieux bouleversant, moins humain, oui bien moins humain que la déjà inhumaine théorie einsteinienne de l’espace qui dilate et du temps qui délite... les scientifiques commettaient chaque jour la délation, condamnant la chair et l’os, chaque jour un peu plus, pour qu’on comprenne à quel point on est vacant.
Les scientifiques gelaient notre âme.
Le ciel tout à coup se voila d’un bleu très foncé. Vingt heures le soir au printemps, les gazouillis se prolongent dans le clair-obscur qui se répand parmi les arbres, des conifères peut-être... qu’en savais-je moi, ces bois ! quel l’intérêt ? pas ma came ! les dénominations, les normes ! encore ! ailleurs ! qu’on laisse tranquille !... un chien passa, chez le voisin... au loin... plus ou moins, un pelage noir dans le velours sombre qui tombait de la nuit approchante ; de la lumière, une silhouette, une femme, sa poitrine, à peine... ses cheveux... des cheveux ? Ses cheveux... de l’activité... une famille sûrement... une comme une autre, toujours… les nuages maintenant partout, planants, investissaient la voûte céleste à l’horizon... par en bas, épais, mouvants, ils grimpaient, nombreux... les bruits de la nuit prenaient scène, le décor infusait, l’ombre légère diffuse, j’attends les étoiles, patiemment, en connaissance de finitude, temps, espace, idées... les insectes psalmodiaient – définitivement. Des pas dans le gravier proche, une marche soutenue, un quidam. Un comme un autre, encore... Une lueur au loin, un avion... Les chevaux disparus, rentrés dans leur box, cette cabane approximative, le chat quelque part, mais où !… d’autres animaux, des petits des grands, des furtifs, des craintifs !… qu’importe… au diable… à la nuit… au spleen. La nuit n’avait pas d’odeur, mais elle avait un sens de la mise en scène, assurément. Je me souvenais dans les bois parfois, surpris par le tard, je ressentais l’effroi de l’animal pris au piège, bordé par les ombres, les légendes ridicules de jour, qui s’éveillaient la nuit, elles prenaient vie : meurtriers, assassins, cannibales... tout tombait, le ciel, le bonheur, l’envie... je dérivais dans le flot de la forêt noire, idées, affects, souvenirs... wi tsi tsu, hihu, tsi tsi, huhi!... tswihu, hrui... la faune aviaire poumonait le cœur du lieu nocturne, hrui tsutsutsu... hui hu hui hu... huhihihi wihu wihu... cluclu hi hu, cuiku, huhihihi... les toits de geai découpaient le bas du ciel à présent épuré, les nuages chassés, la nuit bientôt immaculée, sa robe de soirée, impérieuse, dominante, prégnante, nul tyrannosaure n’était venu, nul caillou céleste, nul volcan n’avait craché, seuls les arbres tendus noirs à l’infini de gris et bleus de l’ombre du grand tout... des végétaux pas encore enfeuillés, un doux silence, malgré une voiture passant tout pétard, moteur éructe et feux repoussant la nuit sur ses flancs... – et le silence de nouveau. Le crépuscule s’était retiré sous la sommation des profondeurs des ténèbres, sorties de la terre, elles avaient conclu le tableau. C’était beau et pénétrant... et ça n’avait rien de rassurant. Houhou-houuu… j’attendais les étoiles, calmement, elles viendraient, le passage avait été dégagé, elles viendraient... un chien hurla, encore, et encore... il insistait, opiniâtre, geignard, aberrante bête stupide. L’air était sinistre, les créatures accompagnaient le silence épais mais fragile, à tout moment pouvait s’effrayer, je pensais, je méditais, je laissais aller... ha ! ha ! ha ! hâ…. Tsu-u-u !... un volatile un ! Puis plus rien.

Ecrit par Jokeromega, à 18:27 dans la rubrique "Chantier fermé".
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Samedi (20/01/07)
Les dix petits chocolats (ver.2)

--> extrait

Afin de remonter le moral aux troupes, j’avais ramené des chocolats fait maison. Il n’y avait que trois artisans qui pratiquaient encore comme ça, à l’ancienne, en Belgique. J’en venais plein les bras – dix paquets à cinquante euros le paquet. Ah... le cacao coûtait la peau des fesses, m’avait justifié la jolie vendeuse, un tailleur bien moulant et la peau dorée du soleil, " la Chine s’y est mise, alors, vous pensez bien, la demande a explosé et les prix s’en donnent à cœur joie. " – " Quand on aime on ne compte pas ! ", tel fut mon plaidoyer, je me sentais digne et altier.
J’ai fourré la main de mon père. " Je passe en coup de vent mon colonel ! " Je devais courser un petit quelque chose en ville, menu rendez-vous littéraire pas de quoi remuer l’Académie française. Le vieux bougre gardait sa praline en main sans réagir, un vague sourire fendant son visage paisible. " En bouche mon colonel, en bouche, ouvrez et mettez-y, c’est l’objectif. " Toujours pas, aucune réaction à l’horizon, le terrain facial restait imperturbablement paisible. J’eus soudain une idée. " On attaque à treize heures ! Terroristes en vue, soldat Leskens, feu à volonté ! " – " Où ça ! ou ça ! Mon M16 où qu’il est ? Les bédouins où qu’ils sont ! " – " Soldat Leskens ! En bouche. C’est l’objectif ! " Le vieux bougre me contempla un instant, le visage mille fois fasciné. Il sourit et engloutit sa praline. Le message avait traversé les lignes ennemies. Je pouvais laisser le vétéran à son maigre butin, avec la morveuse qui n’avait rien raté de la scène, sur ses gardes renfrognée comme jamais. J’étais serein, je pouvais l’être, " le vieux et la morveuse font un joli petit couple... Elle est le feu de la géhenne et il flotte comme un bébé. Ce qu’ils sont craquants ! " L’un délirait, l’autre encore plus.
Le rencard lettré fut bref et efficace. Pour ne pas dire expéditif. Exaspéré, dès le départ, j’avais mis les voiles ! Les lettrés m’avaient toujours suscité la plus grande méfiance, surtout les lettrées. La Khâgne produisait beaucoup d’écervelées agressives, on leur apprenait à décortiquer vos dires comme du fruit de mer, elles se prenaient pour des pit-bulls intellos et leurs glapissements cassaient les oreilles. Je compatissais. Et la meilleure compassion à ma connaissance, " c’est la fuite ! " Ni vu pas connu. Arrivederci les enquiquineuses. Au bon plaisir de pas se revoir. La Khâgne ? Une affaire de famille. De famille atteinte du virus. Lequel virus ? Laissons-leur volontiers. Mais bébête y avait-il. Grosse la bébête. Oh là là. Fuyons ! Levons l’ancre, première occasion dernier départ ! Gouli gouli elle a fait la ferraille, vroum vroum les amarres, cap ailleurs, n’importe mais ailleurs. La France allait mal (le moins qu’on puisse dire), y sévissaient davantage de critiqueurs que de critiqués. Bien davantage, ô combien davantage : on avait inventé un métier. Bien sûr, au fond, après tout... que des milliers de gratte-papier trouvent leur compte à la mise en page, ma foi, réjouissons-nous. D’ailleurs, de toute la chaîne d’édition, du plus infime des imprimeurs au dernier chroniqueur en date, représentant de Fnac, libraire cœur de poète, et que ne sais-je du brûlissimant – nous dit-on – journaliste à la mode, seul l’artiste !... Oui seul l’artiste restait sur le carreau. Tristounet minois, les mains dans les poches, à se demander ce qui se passe. " Mon jour un jour viendra ! " Le malheureux se réchauffe tant bien que mal. Système D ! Réduit à mendier l’aumône... Dans les meilleurs cas ! C’est un style la France, faut pas croire. Pas moyen de l’ouvrir que tu te fais lyncher, tout le monde épie tout le monde, défense d’émerger. On se serre les coudes de la doxa, c’est notre bouillie. Personne s’aventure sans l’accord, sans le crédit, sans la tape sur l’épaule, fais-toi adouber dans les règles, sinon... Les dissidents au poteau. Personne sera inédit, vous avez notre parole de déshonneur – personne ! Allez, en ligne, tous aux plates bandes. Les salopards vertueux ont obtenu gain de cause, la France conserve impeccable, y a comme un goût de formol, accompagné de l’inimitable odeur de la merde.
Mais bon, j’avais – ainsi que sept ou huit autres heureux élus auteurs – une chance de pendu et mon compte en banque n’avait plus à rougir pour un kopeck.
Retour au bercail. Pas contraire, je m’affale sur le divan. Je suis bien casé, enfoncé profondément dans la chair du moelleux cuir. À la cool mon pote, je me mate deux-trois clips. L’hologramme de la chanteuse a le cul en irruption à se taper illico un pilote automatique. Ses buttes débordent dans la pièce d’à côté. Mademoiselle Hippopotame ! Doux Seigneur Jésus. Où que Saint-Paul ? Oh ma pécheresse, je t’aurais fait voir un bout de paradis avant l’heure. " Au feu ! " Ma voix avait juré malgré moi, pris dans le feu de l’action et de l’imagination. Le vieux bougre s’anime... se rendort déjà... Bon, je délire gentiment. Mais, n’empêche, ça creuse ce genre de loufoqueries, alors, ben, moi, toujours pas contraire, je me dis, un petit chocolat, ô mon petit chocolat... ça fait du bien.
Je me lève, avance, passe le portique, tends la main, ô mon petit chocolat. Petit chocolat, allez, viens, allez petit, fais pas ton timide, allez, petit chocolat, allez, mon petit chocolat... Mes dix petits à cinquante keus la musette.
Mais plus trace de mes dix petits à cinquante. C’était le moment de faire le compte. Le compteur chiffrait à cinq cents. En d’autres termes, un demi mille. Perte sèche. Six mois de salaire en Inde. Le triple en Chine. Et toujours rien à l’horizon de ma fouille, pas âme qui vive. Soudain ! Mes oreilles reconnurent le caractéristique grondement de la chasse d’eau. " Oh non ! Pas ça ! Mon Dieu pardonnez-nous nos offenses je vais la tuer. "
Un manteau de silence s’abattit.
Soudain !
On entendit les borborygmes du siphon d’un lavabo. Mes dix petits chocolats... Le robinet se mit à siffler ! La monstre se gargarise. Glou glou glou... Elle se prend pour une gargouille ! Tu as vomi ! Je le sais. Deux doigts dans le larynx. Tu as a commis. Je le jure ! La monstre sort enfin, nature, paisiblement, comme si rien ! J’hésite... tergiverse... les fous savent nous prendre de court. Je m’imagine des choses, quelque fois que, va savoir, je suis pas très stable comme entendement, parfois je vois le mal là où l’amour règne... sobrement psychosé. Elle me sourit bien grand, pour une fois. Ô immense malheur. Ses dents ! cariées... non, pas carie ! Pourquoi, â pourquoi a-t-il fallu... mes dix petits... Preuve évidente, terriblement, triomphalement, sinistrement indubitable, coincée entre canines et prémolaires, le méfait collait à son émail, partout badigeonnée. Une chocolaterie avait établi résidence dans la gueule du monstre, ma tête se mit à tournoyer, j’avais l’impression d’un cimetière de cacao, de salive et de merde intestinale. " Attends sorcière, je t’attrape par le cou. " Oui, là, comme ça... encore un peu... oui... parfait. Il ne reste plus qu’à serrer. L’étau contracte, car il en a gros sur la patate. La monstre commence à larmoyer, je la secoue comme un prunier. " Où mon choco ! où mon choco ! " – " je sais pas, je sais pas ! " elle glapit entre deux étranglements " j’ai mal... uh... ah... krui... arrête... pardon... keuf keuf... " – " où mon butin, parle ! parle ! confesse-toi catin. Où t’as mis, où le larcin ? " – " je sais pas, je sais pas ! " la monstre rosifie et toujours n’avoue rien. C’est du délire !... Mais elle parlera ! Je le jure ! La monstre m’a dépouillé de tout. Ma vie. Ma femme. Ma dignité. Et maintenant ? Comble de la calamité, ignominie d’entre l’ignominie... " Mes cho-co-o-o-o-lats ! Tu parleras où ce sera tout pour toi. " La monstre s’obstine, je ne vais plus pouvoir longtemps me contenir, la complexion passe à l’écarlate, oui, joliment écarlate, fraisé, framboisé, groseillé... Une merveilleuse vermeille. " Quand t’auras une face de jus tomate, tu crois que tu te mettras à table ? " La monstre me zieute avec des yeux de chien battu. " Essaye pas ! Plus de ça avec moi. Ça ne prend pas. Tout ce que t’es : une salope de chienne. Tu vas voir ce qu’il en coûte de détrousser un gentilhomme. " Suffoque... braille... geint... " Ah. Hum, tu dis ? Attends. " Suffoque... braille... geint... " Attends je te dis ! Je dessers le garrot. Alors, voilà. À présent parle. "
Elle reprenait son souffle, le visage boursouflé et les yeux exorbités. Elle s’exprimait en bavant, coulant du nez et des yeux. Son charabia était indéchiffrable. " J’ai... parvint-elle à articuler, j’ai... uh... j’ai... vomi... uh uh... " – " Ha mais je sais que t’as gerbé, je sais ça, tu gerbes tous les matins, midis, et soirs ! La nuit encore si peut. Ce n’est pas neuf, je connais ta mélodie. Moi, tout ce que je veux, c’est mes chocolats, tu comprends ? Mes dix petits. Ce n’est pas difficile tu sais : je veux mes sucres. Donne le susucre, oui, voilà, tu vois ? Donne le susucre – et Billy rend liberté à toi. Capisce ? It’s so easy ! " La monstre indiciblement frisonne, c’est fort discret. Donc, ce qui veut dire, elle m’en cache. Triple garce vomisseuse ! La moutarde montait, la garce dégusterait de plus belle. " Je... je... je n’en ai pas mangé tant que ça. Tu sais... "
Voyez vous ça : " pas tant que ça ". Excellent. Ainsi donc... Je lui pète le nez ? Coup de boule ?... Triple coup de coude ?... Chalumeau ?... Défenestration ? Certes, mais ne perdons pas de vue que nous logeons au sixième. La monstre est jeune, poids plume et fort souple. La monstre pourrait survivre. Les méchants s’en sortent souvent. Plus qu’on ne le pense. Ils ont l’art de durer. Tu payerais une pension pour handicapée toute ta vie ! Fais pas ça Billy. Ton propre salut en dépend. Crime passionnel, c’est ça que tu dois obtenir. Mais mieux est possible : mort sans intention de la donner. C’est le savoir-faire : mort sans intention de donner... marche à tous les coups !  8 ans de gnouf sortie au tiers de peine. 2 ans 8 mois si c’est pas un plan ! Le plan de ta vie. Maintenant ou plus jamais. Oui, mais si ça loupe ? Si c’est avec intentions. Oh... réclusion à vie dans ce cas. À vie vraiment ? Exact, mais 30 ans dans les faits. C’est aussi un plan ! D’accord, mais, tout de même, trente ans, parmi les meurtriers et les violeurs, moi qui ferais pas de mal à une mouche... Ah. Alors, après tout, tout le monde a droit à une seconde chance, même la monstre. " Combien tu as mangé ? " – " Uh, uh... " La monstre pêche par frayeur, peu coopérative et plus trop apte. " Combien ? Trois, quatre ? "
Silence.
Je hasarde un inimaginable " Cinq ? " (mon Dieu faites que non) " Uh, uh... " étouffe-t-elle... " Montre avec tes doigts. Combien ! Six ?... Sept ? Combien ! Tends les doigts triple buse ! " La triple buse déplie doucement, doucement, doucement un doigt. Je contemple son majeur. Puis plus rien. La garce me fait un doigt ! " Je vais te tordre le cou une bonne fois pour toute ! " – " N-non... keuf... keuf... n-non... erreur... n-non... " – " J’ai compris ! Je n’écrase pas assez. Attends ma belle, Billy sait comment. " L’index s’invite à son tour... trop tard !... resserre doublement... troisième doigt déjà... Et de quatre !... Puis... Toute la main !... Et encore ! Et de six !... Franchement, elle avait largement mérité le coup de grâce, lorsque subitement ses mains se rétractèrent. Les doigts se balançaient indolemment. Je relâchai. L’espace d’une interminable seconde son corps s’immobilisa prostré dans une pause recroquevillée bizarre, effondrée au sol. " Keuf keuf keuf... " Un soubresaut l’avait rattrapée au vol, elle toussotait, " keuf keuf... "... elle était devenue pâle comme un linge... s’empourpra derechef, se remit de ses émotions.
– Combien ?
– Pas beaucoup.
La monstre me jeta un subreptice coup d’œil effrayé. Je répétai sévèrement :
– Combien ?
– Un peu, j’avais faim. " – " Comment ça, faim ? Depuis quant t’as faim, toi ! " – " Je... je... " – " Dis rien ! Je sais depuis quand : depuis mes chocolats. T’as tout bouffé sorcière ! Pour le plaisir de me causer du chagrin. " – " N-non... Non ! Pas beaucoup. "
– Combien ?
– Je ne sais plus. Mais peu... Elle chuchote : Tout petit peu.
Elle se reniflait et ses yeux imploraient ma clémence.
– Démone à triple tête ! Fourbie génie femelle, t’as goinfré comme un régiment. T’as fait le plein comme un camion, et le vidange comme une péniche ! Mais j’y pense, c’est vrai, j’en avais – Dieu soit loué – placé trois en sécurité auprès du vétéran. On a sauvé les meubles !
J’amorce une approche en douceur, le petit père somnole gentiment, laissons-lui ses rêves perdus. J’inspecte... par ici... par là... dessus, dessous, un peu de côté, un peu de biais, un peu derrière, un peu devers, un peu partout ! Eh bien, force est de constater, c’est la misère. " Au revoir mademoiselle Bogaert et joyeux shopping ", entonne le cyberintendant (nouvelle interface interactive et customisée client). La monstre plie bagage. Elle a menti, elle m’a eu, elle savait. Elle trace à plus... Le grand large ! Entubé sur trois kilomètres, roulé dans dix tonnes de farine, je me suis fait faire, et refaire, et parfaire. Ses talons me piétinent tellement que je suis son trottoir pour toujours. T’es un guignolo Billy ! Un comme on n’en fait plus ! Emmanché comme trente-six ! Grande gueule petite cervelle ! Certes... Mais ça ne se passera pas comme ça.
Je fonce droit au but et, de ce pas, vais m’éclater le panard au pied de notre buffet Louis XIV récemment brocanté, " j’ai pas pu m’en empêcher chéri, s’était excusée Gaby, tu as vu ce cirage ? ", elle m’avait lancé un battement de cil, tout à fait irrésistible, si on faisait abstraction des trente kilos que la maladie avait entassé dans le bourrelet. " Ça fait mal ! " Surtout pied nu. Le gros orteil a tout mangé, l’ongle retourné, l’os envoie des douleurs aiguës, le sang abonde. Je me relève parce que je suis courageux moi. Je retombe ! Pas possible ! C’est mal ! Je pique une crise, le petit père s’ébroue, " quoi qui se passe ici ? " – " rien ! rien ! foutre ! t’occupe ! " – " mais quoi mais qui ? " il sursaute en aparté, il comprend rien plus, " uh, uh, uh... " Il se met à chialer comme une pleureuse palestinienne ! " T’as gueule salopiaud de vieux briscard ! Ferme ça tête de bouc ! Écrase et déverse en silence ! " Pendant ce temps la monstre débobine à vau-l’eau. " J’aurai ta peau ! tu m’as grugé ! minutieusement ! à l’odeur ! tu m’as eu à l’odeur ! flairant le blaireau, attends voir, je vais te faire blairer le fléau moi ! " Et je hurle et je crie et j’éructe et ça fait mal, mal ! mal ! je souffre ! oh je souffre ! atrocement ! Pleure pas Billy, t’es un dur, un fort ! une rage ! Oh là là. J’infurie aux milles démons ! je mords sur ma chique, et ma manche, et ma langue ! ah ! oh ! ouh ! non ! tous les malheurs ! dégouline bouche maintenant ! les globules font ma fête ! je suis le rendez-vous des maladresses, l’homme sandwich des douleurs ! oh ! ah ! hi ! foutre de merde ! saloperie d’anochieuse psychonévrotique... merde ! Plus elles sont jeunes plus c’est pire. Où va-t-on ? Quelle engeance ! Soit. Suffit suffit. Ressaisissions-nous ! Rien m’empêchera, j’ai une mission ! je m’ébranle, je tangue, roule, valdingue par dessus le canapé, les quatre fers à l’air, je délire, je vois les murs en fla-fla, des bruits partout, une mouche qui passe ! et une autre ! et une troisième ! que ce cirque ? ah ! importe ! importe ! je fonce, la porte, j’arrive, j’atteins ! enfin ! " Au revoir monsieur Leskens. " – " Salope ! " – " En espérant que nous fûmes un hôte à la hauteur. " La machine me prend pour un invité ! Chez moi ! At home ! Ma baraque ! mon fric ! mon loyer ! par ma grâce ! On me traite en dernier des derniers ! " Je t’aurai garce, attends. Toi. Ouuuui... Toi-oi-oi ! (mes amygdales cahotent, ça vient du fin fond) Toiiii... Ouiii ! Toi... Encore, toujours ! Tu me nargues, hein qu’elle nargue la poltronne ! mais je te file ! à la trace ! à l’odeur moi aussi ! je te flaire, et je peux plus te blairer ! et ça date ! oh que date ! remonte ! à loin, loin, loin ! " – " N’oubliez pas de mettre la ceinture et de respecter les limitations de vitesse conformément... " QUABOUM ! ! Une bonne roustie, le dispositif fume... fini le robot ! je décapite technologie ! ma technologie, chèrement payée... un bon début, tout fait départ un jour, un lieu, une fois ! Ce moment approche ! je vous aurai ! je vous aurai tous ! savants, poètes, salopes ! TOUS ! TOUTES ! " ASCENSEUR " que je hurle ! mais rien... " ASCENSEUR ", toujours rien... ma voix ne passe plus. C’est le monde entier qui m’en veut ! se ligue ! le pays ! le continent ! les éléments ! je dis bluff ! vous m’aurez pas... chiqué ! je prends pas ! j’arrache le levier de sécurité, hébété je contemple l’objet dans ma pince, j’arrache la porte de secours, TING ! ! Entre temps enfin ! ENFIN ! le lift enfin s’est lifté à hauteur, j’entre possédé, " ferme ! rez-de-chaussée ! " rien... je défonce la touche 0, l’engin se met à l’ouvrage, file, c’est du bon matos finalement, s’ouvre sur hall d’entrée, et la rue, et le portique ! oh le portique ! à peine ! à peine ! sur les talons de la mioche ! paniquée, au plus pressé elle aura emprunté les escaliers de secours, " je tente ? " avait-elle avisé, non, le temps que : c’était trop lent, trop effrayée de mon ombre ! ha ! ha ! ha ! la voilà mon ombre ! " Tu es faite comme une rate ! " je te tiens ! La monstre tressaille, ses yeux furtifs s’exorbitent dans ma direction, elle se glace, pétrifiée, paralyse ! J’éventre le hall à toute allure, beau, fier, sublime. Elle se reprend, repart ! Garce ! oh la garce ! davantage de ressources que de conscience ! elle a de l’estomac ! toute sa vie les intestins ! Elle trébuche sourdement sur le pavé, magnifique, c’est m-a-g-n-i-f-i-q-u-e ! J’attrape par le collier. Prêt pour l’étripage !
" Billy ! "
C’était Gaby.

Ecrit par Jokeromega, à 22:43 dans la rubrique "Chantier fermé".
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Mardi (16/01/07)
De mal en pis

--> à l'instant tout chaud (r)écrit (ça se passe plusieurs épisodes après l'extrait précédent)

Ça a commencé avec Élysène. Le juge avait estimé superflue la préventive en ce qui concerne l’épouse de l’inculpé principal. Heureuse nouvelle ! L’ex-tolarde voudrait récupérer ses progénitures. J’imaginais déjà...
Le lendemain de relaxe là voilà qui vient réclamer sa fille. Heureuse encore plus nouvelle ! De mieux en mieux... Le fils Grégoire se tenait à sa droite, dans les douze ans comme ça, adolescent précoce, barbichette et grosse voix rocailleuse en érection. J’examinai vaguement la mère. C’était fou comme l’incarcération mettait un coup de vieux ; un beau sillage ravinait la face. Rajoutez une pincée de glace et vous aviez madame Thatcher (en moins sympathique).
Madame Thatcher junior semblait mettre un point d’honneur à sa reconstruction familiale ; par ennui ou pure méchanceté, je n’en sus jamais. Peu importe, d’entrée de jeu j’accordai ma bénédiction au transfert de propriétés. En fait, maintenant que j’y repense, on a vraiment frôlé la délivrance ce jour-là, à cet instant précis, juste avant que l’objet de tous les désirs ne s’enfonçât le coupe-papier dans l’abdomen. Comme dans du beurre.
Gaby me foutut à la porte de chez moi (" chez moi " : pas techniquement, mais ça compte si c’est moi que je paye le loyer ?). Motif : avoir précipité les événements malgré l’effroyable chagrin évident d’une pauvre petite victime qu’on s’apprêtait à livrer à sa mère. " T’es qu’un gros mufle insensible. " J’étais fixé et expulsé. Par ailleurs la " belle-mère " me traîna dans les tribunaux pour mauvais traitements. Apparemment j’avais transformé sa fille en monstre. À bon ? J’ai voulu contre-attaquer en justice parce que le monstre avait transformé ma vie mais mon avocat m’a déconseillé. " Aucune chance de gagner monsieur Leskens. " – " Aucune aucune, maître ? " – " C’est une mineure. " J’acquiesçai, l’argument était imparable.
Finalement le juge de la jeunesse se montra avisé et plaça la monstre en famille d’accueil " en attendant de plus amples informations ". J’ai voulu prendre l’homme de loi dans mes bras mais mon avocat m’a – une fois de plus, déconseillé. " Vous êtes tous aussi rabat-joie dans la profession ? " Mon avocat a levé les yeux au ciel comme pour dire. Quoi qu’il en soit, je sentis un bol d’air frais emplir mes poumons. Oui mais voilà, la monstre a tellement promis son suicide que trois semaines plus tard le juge a statué que " je vous la rends mademoiselle Gallois, attendu qu’aucune alternative n’a semblé appropriée ", il ajouta " en attendant ". La gynécologue n’avait rien décelé d’anormal et une enquête de voisinage suivait son cours ; une assistante sociale paumée nous rendait quotidiennement visite vérifier qu’on était sains de corps et d’esprit. " Vous avez de la chance, finit-elle par nous avouer, quelle famille en or ! Ça fait plaisir à voir. " Dès qu’elle franchissait le seuil de la porte Kim Bogaert redevenait la monstre. La transformation était stupéfiante. Ça vous faisait froid dans le dos. À croire que. Mais non, j’avais renoncé à comprendre et déjà regrettais que Gaby m’ait donné une seconde chance : " c’est bien parce que c’est toi. "
Kim foutait vraiment la chair de poule à présent, avec l’âge elle assombrissait comme une goth dans un manoir, elle veillait des nuits entières, je voyais son fantôme couvrir l’ombre de la nuit, le décor se désistait sous son passage, y avait des drôles de courant d’air, moi j’osais plus fermer l’œil, alors pour dormir j’alternais : une fois le droit, une fois le gauche... Un coup à toi un coup à moi ! L’esprit de la résidence s’émouvait, je sais pas, la séparation l’avait exagérément marquée, le couperet pouvait tomber à tout moment, déjà pas clean auparavant, elle enclenchait la vitesse supérieure, on voyait qu’elle y maîtrisait son sujet, les cas de psychiatrie ne lui feraient plus peur dorénavant, elle avait atteint la maturité. Elle était sublime – dans son genre, mais le genre encore à définir, moi j’avais perdu le nord, tout ce bourbier... Essaye pas de comprendre ! Capitule... capitule... il n’y a que ça à faire ! à la française !
Pénible période de turbulences judiciaires, Gaby reprit son régime au Médrol. Elle avalait plusieurs pilules d’une seule lampée, beaucoup de forces étaient requises, elle se shootait à la Tony Montana, le carnaval de Rio dansait dans ses pupilles, je crois même qu’elle complétait réellement avec de la coke. Parfois elle saignait du nez, c’était louche.
Entre temps Élysène envoya des molosses intimider. Oh... ils ne s’annoncèrent pas cependant la provenance était acquise. On me la fait pas ! Pfiou... des balèzes... vraies brutes... j’avais bien gonflé depuis : quatre-vingt-dix kilos ferme, je montais à nouveau sur le tatamis, boxe, judo, Muay Thaï, j’alternais les plaisirs, à l’occasion. Suffisamment que pour péter la forme et tes dents. À la maison je tapais dix fois dix tractions. Puis j’observais dans le miroir. It’s nice ! Par conséquent il était hors de question que j’en vienne aux mains avec ces abrutis ! La première compétence c’est l’évaluation de l’ennemi. Et le street fighting finit toujours par la malchance d’une bordure qui te fait trébucher à reculons... ton crâne cogne une vieille fontaine que la municipalité devait ôter depuis 1960 faute de moyens. Pluie de coups. L’un tape là où ça fait mal, l’autre où ça fait encore plus mal. Un troisième ramasse une brique de chantier à proximité, cette brique de bonne facture fait connaissance avec tes incisives, un chien passe par là, se soulage sur toi, tu grognes, sa propriétaire te traite comme du poisson pourri, " vous n’avez pas honte de faire peur à un si gentil chien ?! Vous devez être cruel avec votre femme, on peut pas avoir bonne âme si on n’aime pas les animaux. " La femme au chien reprend son souffle après tant d’émotions et t’explique tes quatre vérités : " espèce de nazi ! "... Des flics en patrouille te repèrent. Dans ton groggy tu les confonds à tes agresseurs et leur saute dessus, " encore un junky, se disent-ils, qui s’est fait tabasser par son créancier. – Non, rétorque le collègue, un prostitué qui s’est fait refaire le portrait par son mac. " Soixante-douze heures de garde à vue et, manque de place et de pot, tu te retrouves avec le gros africain cent cinquante kilos à la pesée. Étrangement, tu lui rappelles son ex. Racket, crachats, insultes, tu lui fais à manger et ses lessives. La nuit il pleure parce que sa maman lui manque, le jour tu le consoles comme tu peux, avec les moyens du bord et tes fesses. Ah non ! Je mangerais pas de ce pain là ! Les deux molosses à Élysène faisaient le pied de grue sur le trottoir opposé confortablement installés dans leur belle Audi A8 vitres teintées. Parfois ils sortaient s’étirer et finissaient par s’en aller dépités. D’autres prenaient le relais. " La garce à les moyens ! " Gaby était bien obligée d’acquiescer et oui elle déplorait la situation autant que toi. " Le salaud a dû planquer le magot en lieu sûr, il a le nez crochu ! C’est le genre à enterrer dans le jardin ! "

Ecrit par Jokeromega, à 17:43 dans la rubrique "Chantier fermé".
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Lundi (08/01/07)
Le reptile

--> extrait (suite précédent)

Cette voix... et c’était la demi-sœur, je m’étais dis, la demi-sœur, c’est pas rien ça, d’autant qu’on devinait séance tenante le lien du sang. Comment, je ne saurais le dire. Mais j’ai deviné à la seconde. Un lien de sang à bout portant.
– Pourquoi Billy ?
Ma douce avait déjà troqué la haine contre la douleur. Son visage... la première fois qu’il a eu si mal. C’est ce jour-là je m’en souviens, à cet instant crucial, dans ce court intervalle d’extrême détresse, que le mal a pris les commandes. Ça fut bref. Comme souvent. Les ampleurs c’est plus tard.
– Gaby !
Je haletais. J’avais tout mon corps comme un hoquet géant.
– Gaby je l’ai fait exprès ! Tu comprends ?
Visiblement, non.
– Je l’ai fait exprès comme ça. Comme un coup de botte dans la fourmilière ! Tu vois ?
Toujours pas, non ; va falloir être plus convaincant.
– C’est... – les fourmis ! Tu vois les fourmis ? Non ; pas les fourmis ! Je veux dire... le coup de botte... mon coup de botte ! c’est mieux pour faire. Euh !... Ah ! Ah oui, c’est pour remuer la merde... ha !... non !... je dis pas ça, ... je veux dire au nom du tumulte. Voilà, au nom du tumulte !
Elle n’osait même plus regarder dans ma direction. Ce n’est pas grave j’avais plus d’un tour dans mon sac.
– Je veux leur infliger un inextinguible tumulte. De sorte qu’à ton existence il soit dorénavant impossible de faire la sourde oreille.
Je posai mon regard sur ma colombe. Tendrement. " Tu vas voir, elle va s’envoyer en l’air ton existence ! " Mon cerveau computait un état des lieux. Convaincue la Gaby ? Je traduisis sa drôle de moue par " mieux que rien ".
J’avançais mes pions, et j’avais joué premier – un sacré coup de botte. La réaction de l’adversaire fut d’abord le silence. Un long silence, il devait s’en passer chez les Bogaert ; même les clebs étaient abasourdis, tandis que ma colombe restait muette, taciturne, au bord on aurait dit d’un gouffre. Prendre sa main ? Erreur ! Si tu prends sa main elle se laisse aller ; tu sais pertinemment que tant que ça tient ça se maintient ; pas touche sinon déluge. Défense de ! Faire le mort. Défense position neutre. Fonte des larmes en attente. Son cœur est fragile comme la calotte glacière – la glace en moins ! C’est dire, il fond ce con... Ah Gaby ! Gaby cœur d’artichaut... Au temps pour toi Billy ! Fixe-toi les sentiments... et rembobine-les !... Ensuite maintiens ! Maintiens, maintiens, maintiens ! Position neutre toute ! Remue-les plus, c’est des serpentins les sentiments, dès qu’ils s’y mettent on n’en sort plus, ça se tortille à l’infini. Larmes imminentes. Non touche pas ! Fais le mort. Elle pleure. Non !... : Elle va pleurer... nuance ! Nuance... Non pas encore ! Touche pas je te dis ! Laisse venir, donne du fil, fais la mouliner.
Fallait pas, on devait vaille que vaille tenir bon – j’ai quand même enveloppé sa main. " Mais attention pleure pas ! " Et je précisais que " t’as pas intérêt " avec un grain d’espiègle tendresse. Par conséquent le réflexe du déluge, l’indomptable pas possible déluge. Comme une lavette à qui on aurait dit sèche-toi les larmes : elle peut pas s’empêcher d’en foutre partout. Dis pas, mais t’es doué mon coco. Maintenant faudra patienter que ça se dégorge. Et le pire, jamais on pouvait situer son malheur ; si c’était plus qui ou plus l’autre. La plus tendron des tendres s’était retrouvée prise au piège entre deux feux. Deux absurdes. Deux amours épines dans le pied. Son amant et maman. Zut, c’est trop vache. Le tendron... il n’est plus apte...  Je voyais bien.
Je vois ! Le tendron... Il tremble... – tout tremble. Il morve... – morve toute ! Coulées... fontaine, les dents clac-clac castagnettes... ce n’est plus possible !... Et cette grille ! Ah cette méprisante haineuse grille. Je me dis : Défonce-là ! – Facile à dire. – Et moi je te dis que Mercedes ou ne pas être. "  Nous garantissons votre sécurité ". Eh bien, on allait voir ça ! La sublime engin serait mon bélier, l’accélérateur recevrait la motivation de mon pied, et maman Élisène fais gaffe à tes miches. J’arrive !
À plus de cent à l’heure ça plierait comme de la gomme et mes estimations affirmaient que j’ai assez d’élan pour atteindre la vitesse critique. J’étais sur le point de m’engager dans l’habitacle lorsque... " Non Billy ! Non... " Sa voix déchirait le cœur. On se sera arrachés les oreilles pour moins que ça. Vraiment faut que tu fasses quelque chose. Nom de magne-toi-le ! Gaby bisou bisou bisou... je t’aime mon ange il n’y a que ça ! Oui ! Oui ! Oui !
C’était venu tout seul. " On fera notre vie ensemble ; tu m’as moi et notre couple deviendra une famille si tu le souhaites. On se marie quand tu veux. "

La déclaration ! Coming out malgré soi. Délit de sentimental sans préméditation. Maintenant quoi queuj fais ? Elle avait les larmes aux yeux pour ne pas changer, mais des larmes autrement plus lourdes de conséquences Billy mon pote.
L’erreur de ta vie.
Réparer le mal par le pire.
Il n’y aura désormais que pis qui veuille bien.
Parce que l’adrénaline vous fait commettre des passions. C’est-à-dire à voix haute, des irrépréhensibles, elles sont filoutes ! On ne se gère plus ! Tout devient loufoque, ce n’est vraiment plus la peine. Dans ces cas-là la sagesse conseillerait de fermer ta gueule. Mais bon, on sait ça va comment.
Un arc-en-ciel avait laissé tomber trois couleurs sur son visage lorsque Gaby scella notre échange sur ces mots : " Pour la vie. " Moi, j’y croyais – à ce moment-là. Prêt pour le baiser et tout ce qui s’ensuit. Sur quoi le beau-père surgit, Jaguar de capot rugissant, MKII années sixties, couleur officielle vert anglais, jantes argentées à rayons chromés, intérieur cuir bleu et boiseries, volant en bois et montre dorée Breitling... Le temps suspendu... J’en prends plein les mirettes, c’est un éblouissement rageur, un triomphe haineux pleines pompes, une architecture comme un pit-bull d’attaque, ce genre-là ne pardonne pas... On se sent petit d’un coup. Son costume – pas en reste – est un sacré fringue, sans poil qui dépasse, manches blanches boutons grenats, sourire de circonstance. Méfiant de toutes ses dents. Le carreau se baisse un peu, de quoi passer une main ; veut-il me serrer la pince ? Non, du tout, c’est juste pour aérer, dit-il ! et ajoute " goeiedag meneer, zoekt u iets ? (vous cherchez quelque chose ?) " comme un enquêteur, avec une voix de petit caporal promu sergent et qui se prend pour un général (chef de rien du tout moi je dis), très pédant, très désagréable, très en confiance ; tout à fait officiellement trou de bal. Alors je braque mon plus beau sourire, éclatant avec les pupilles qui crépitent, accompagné d’un :
Niets Nederlands meneer, sorry, sorry.
Il eut l’air de se fâcher. Je fis un effort.
– Spikinglish ?
Il eut l’air de se fâcher trois fois plus. Ha ? ça lui plaît pas la vache. Lui aussi sourit très fort. On s’envoie des éclairs. Il s’entête... baragouine de plus belle... très genre flamingant... je respecte ce choix... mais tout de même... lui pas savoir français ? Coup classique ! Ils nous la font à chaque fois. De Bruges à Zeebruges ! En passant par Anvers, Gand et Malines. N’est pas grave, je pardonér meneer, et je sais comment réveiller tes bases une fois. J’annonce :
– J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. On commence par laquelle monsieur Bogaert ?
Monsieur Bogaert plisse les yeux, resserre la mâchoire, et, de très haut, le menton se relève. Il attendait avec hauteur.
– La bonne nouvelle ? Votre famille va s’agrandir. La mauvaise... c’est moi l’agrandissement.
Il dévisageait, scruteur, curieux, fâché un peu... vérifiant ma santé mentale. Bronche pas Billy, tes plus belles dents. Là ! Oui, parfait... sourire carnassier, pas lâche le moindre émail. Il aura rien, peut se brosser ! Oh mais o-ooh !... qui là que voilà ?... à la fenêtre, en peignoir, en train de reluquer par chez nous, mais, mais, mais n’est-ce pas un air de famille ! " Hum, on dirait, si je peux me permettre, que madame souhaite participer. " Je fis un léger signe de tête en direction. Oui, là, vous avez vu ? Le chef de famille se mit à loucher vers la fenêtre en question... madame, même à cinquante mètres ça se voyait, avait la mine des jours délétères... Un problème ?
– No stress meneer, geen geen ! Moi ? Ce sera juste par alliance. C’est Gaby ici présente... Gaby Gallois, orpheline mais pour de rire, née sous X, fille biologique de madame Élysène, âgée de vingt-huit ans, parente de sang, la mairie le dit, l’ADN le confirme, et aucun globule manque. Pas stress ! Monsieur : veuillez présenter à madame mes très sincères cordiales salutations. Si par ailleurs elle pouvait consentir, au moins pour la petite n’est-ce pas, vite fait l’entrevue... Kim avait l’air tellement confuse au parlophone. Hein meneer, c’est possible une fois.. vous croyez ?
J’avais un visage d’ange. J’apportais l’enfer. Si après ça le gus me chantait pas dans la langue de Molière. Sa Jeanne, visiblement prise de court, restait plantée éberluée sur place. Les traits de son meneer commencèrent à se durcir, les canines enfoncées dans leurs gencives, il n’était pas imbécile, non, ça n’allait pas se passer comme ça... Toutefois... Pas imbécile... Non, pas imbécile pour tout l’or de la Flandre – certes !... ni pour les diamants du tout Anvers – mille fois certes !... Toutefois on n’en pouvait pas moins tabler sur une intelligence plutôt modérée. Oui, tout à fait modérée. C’est-à-dire, le genre de cerveau reptilien qui sait quand y a un lézard... Il a du métier ! Et ce lézard ressemble de plus en plus à un alligator... Crocodile Dundee va avoir difficile de le rater... Mais oh ! La merde c’est dans ses cordes... c’est plein son cul... Oh oui, il a du métier ce reptile.
Le reptile prononce avec léger accent :
– Une instant, je reviens de suite.
La grille se referma sur lui. Nous deux les amoureux au même endroit face aux même refus de métal électrifié. Mais le vent avait tourné. Et l’électricité peut électrocuter son propre électricien, j’en savais quelque chose. Tu peux être fier Billy, oh oui mon Billy ! Et Gaby, elle en pensait quoi ?
– Ce n’est pas ce que je voulais.
– Je sais, mais c’est la méthode adéquate au type de bonhomme. Lui ? C’est un type de joueur... j’ai joué selon les règles. Selon ses règles. Des légèrement retouchées – ... j’aime la gagne, je te l’accorde ! Mais je n’agis plus dans mon seul but : je nourris un orgueil pour deux à présent. Je nous protège. Je suis animal j’avoue (je pourrais pas nier), animal... Hé !
– Hé quoi ? (sa voix si timide, en retrait)
– Je t’aime.
Ça n’aurait tenu qu’à moi... mais on pouvait se faire épier. Pas d’exubérance, je voulais que ça reste une mémoire exclusive, un unique aux deux intéressés, et personne d’autre.
Je n’ai pas pu l’embrasser.
Parce que je ne partage pas.
Il est finalement dix-sept heures quand le domaine s’éventre enfin. J’ai les jambes en compote, les efforts qui s’entassent dans ta fibre musculaire, je suis une bête mais une bête aux genoux de porcelaine, je batifole avec les limites biologiques, mais ne dit-on pas que l’appétit vient en mangeant ? Je deviens un ogre. Ça tombe bien, les pectoraux sont un argument de persuasion. Bombe bombe Billy. Bombe !
Andiamo Gaby, on s’engage. Non n’aie pas peur. Non ! Tout ira ; oui, tout ira bien. Je sais, la laisse des chiens pourrait lâcher, je sais, un gang de bodyguards méchamment bodybuildés pourrait nous tomber dessus, je sais, ta mère est une garce et aucun baiser de Judas n’est à exclure. Oui, et les marches en bois du perron grincent comme dans les films d’horreur, je sais tout ça, et la gargouille en pierre vert-de-gris tire la langue comme le démon, ça aussi je sais, oui et le ciel est si sombre à présent, oui et encore quoi ? Bon, y me semblait bien.
– Entrez dont jeunes gens.
Élysène, Élysène... En chair et en os.
– La bonnetière est à disposition si vous souhaitez vous débarrasser de votre pardessus.
Élysène, Élysène... Hautaine et rêche. Étonnament grande, cheveux tirés à quatre épingles. À quatre épingles proprement dit : chignon strict, pommettes saillantes, dures, sèches, joues blanches, fardées, comme tout le visage, fardé, blanc, sévère, et cette bouche qui n’en ressort qu’avec plus d’éclat, écarlate, fine, mais pas pincée, plutôt sensuelle d’ailleurs, oui, finement pulpeuse, on peut le dire, de belles oreilles, boucles d’oreille pas tapageuses loin d’être bon marché, beau pendentif, fin, stylé, doré, démarche autoritaire, talons claquent... Où d’elle Gaby a reçu ? Pour l’instant, à vue de nez, de nulle part. Quoique... Ses yeux ! Le génome est là, identifié, et là seul ! Les mêmes yeux. Élisène est humaine in extremis. Élisène n’est humaine que par les yeux. Elle a gardé ! Oui, elle est encore abordable, ses yeux sont paisibles... Incrustés au sein d’un visage taillé au scalpel dans la glace. Mère et fille sont liées par les yeux. Le reste les sépare. Tout le reste. Ce sera dur à négocier.
La Belle-mère.

Ecrit par Jokeromega, à 00:52 dans la rubrique "Chantier fermé".
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Mercredi (20/12/06)
Kim Bogaert

--> extrait (suite du précédent)

Réveil de bonne heure. Mélodie des oiseaux. La programmation sonore est décidément de qualité ici. Tu ne trouves pas ? Si, elle trouvait, on a fait des progrès depuis l’antique stéréo Hi-Fi. La nuit avait été longue mais j’étais en pleine forme, électrique, animé de projets. Ah, tu étais levée depuis déjà une heure ? Oui, les filles ont l’éveil facile. Nous descendîmes prendre la brioche avec une tasse de thé vert. Parce que j’aime pas le café ! Goûte-moi ce thé Gaby, goûte !... boisson officielle des écrivains !... des bien parisiens. Du thé et de la poésie. Sans leur thé, ils abdiquent ! Vilain Billy, voyons, voyou! Arrête de te moquer à tout bout de champ. Oh ça va mademoiselle Sainte nitouche. Bon, soit, une magnifique journée nous attend, allez, zou.
– Mademoiselle, monsieur ; au plaisir.
50 euros de pourboire au portier on n’y coupait pas.
Direction Anvers.
Anvers toute !
Anvers enfin.
Face à monsieur Rubens.
Mademoiselle Gallois désirait visiter la maison du maître mais je décrète que non parce que c’est ainsi. Elle me tapota le bras mais rien à faire je maintenais une pose de frondeur, regard balayant partout mais ailleurs. " Arrête de nier, l’artiste ! " Mais l'artiste continuait de nier. " Ah bon, c’est comme ça ? " Oui, c’était comme ça, faudra t’en faire une raison. Elle s’en fit une raison. " Vas-y dont l’artiste, habille notre matinée de tes prétentions. Allez, dépêche-toi, le soleil soulève déjà Anvers, et toi tu boudes comme un sale garnement. " C’était possible de résister à ça ? Non. Et franchement pourquoi résister ? Smack smack les lèvres j’avais l’émotion en chamade. Je n’étais pas trop fier de mon attitude, mais ma faute si je suis une mule ?
Rattrapons le coup.
– Et si on allait au zoo ?
– Ah tiens, c’est une idée ça.
J’avais eu ce flash de l’enfance, une vadrouille en car scolaire ; ça avait été bien, parce que je ne me souvenais de rien, et je me souvenais toujours des amertumes.
– Dis, les animaux...
– Oui Gaby, il y a des animaux au zoo.
– Très drôle.
– Quoi ?
– J’aime les animaux. Mais les cages...
– T’inquiète, ils ont pas la conscience, ça leur fait rien, c’est à nous que ça fait, parce qu’on est des sensibles mais eux, eux ! Tralala ! Du moment que tu jettes des cacahuètes c’est tout bonard ! Ils te montrent leur cul sans problème.
Elle a souri. Et mes dents ont réfléchi ce sourire. On devient séniles, avais-je pensé, mais Dieu que c’est bon.
Antwerpen en langage vernaculaire, second port d’Europe, quatrième mondial, la communauté juive régnait en maître sur le ghetto diamantaire, mecs costumés sérieux, à gueule méfiante et yeux alertes, kippa et tresses, du vrai traditionnel, d’autres sortaient des figures encore plus exotiques, des grosses moustaches ou des gros flingues, attaché-case au corps, faudra marcher sur le macchab si tu veux la came bandito ! C’est pas le fourgon de la poste ici, faut savoir à qui on s’attaque... Les pays de l’Est ont tenté, mais le message est vite passé, soixante-dix pour cent du commerce global des brillants, ça rigole plus. Mais ce serait tout à l’heure le bijou surprise. À la minute je défiais ce gros singe indolent, voir ce que ça pouvait penser ce genre de poilu ; comme ça environ vingt minutes à mater, au point et à se demander qui des deux matait qui... je suis devenu méfiant, vicieux la bête – un début d’humain ! File en douce Billy... on prend vite les puces, mais le salaud me fait un doigt ! Ha ! À ce niveau-là de raffiné, c’est humain mention honorable, le quadrumane se hisse ! Je lui ai balancé le restant de cacahuètes. L’animal a enchaîné une dizaine de grimaces impayables. Non, vraiment, un homme ! Je rejoignis ma nana ébahie par les otaries, t’as vu ? elles sont jouettes. Oui Gaby, on sent surtout leur haleine. J’ai conclu : je veux plus de cette bête. Chérie m’a fait remarquer que je pouvais bien parler, t’as pas toujours été indemne d’odeurs ! Je partis vexé. Elle se ramena mais je restais renfrogné. Alors elle étira ma joue de " vilain petit garçon ", smack smack pour apaiser le lieu du crime, disait-elle ; que voulez-vous, ça déride n’en déplaise, qui résiste au genre ? Pas moi en tout cas, j’en avais chaque jour un peu plus la preuve. Je me suis dit que ce serait une idée, un projet ça, de faire des enfants à cette fille, les élever les accompagner, elle et moi, une petite famille toute tendre, fruitée grâce à elle, bien frappée grâce à moi, bon milk-shake à l’accouchement Billy ! Mais les prévisions on sait que ce que c’est à l’arrivée, ça finit en cul-de-sac tout ça, et tu l’auras bien cherché ! On s’imagine les enfants. Et les enfants eux aussi en retour s’imaginent, c’est-à-dire, leur truc, leur seul truc : Foutre le camp de chez toi ! C’est vrai, mais moi je veux juste faire l’amour à un ange, m’enfanter le paradis sur terre, simplement, je serai Belzébuth qui charrie la petite fille de Saint-Pierre, simplement. Non, pas plus ! Je suis pas difficile, on se contente de peu vous savez...
Le spectacle dauphin faisait honneur aux attentes, Gaby émerveillée moi y en a marre, " dix comme ça sur le réseau ! " – " Oh ce que t’es pénible Billy. " – " Menus interactifs de surcroît ! " – " Caractère de cochon ! " Gaby m’a suggéré d’aller saluer les mufles, on avait des choses à partager, et après les oies et leur sale bec, et tant que j’y étais les pachydermes, parce que t’es vraiment lourd. " Ouh j’ai peur ! Sauvez-moi la petite souris s’en prend au gros éléphant. " Je me bidonnais. Elle a zieuté d’un air de mais t’es pas possible comme spécimen, et affamés nous dévorâmes deux hot dogs choucroute sauce moutarde ketchup beaucoup d’oignons.
Exit.
Une dernière fois contempler les flamands roses. Au reste les Flamands faisaient plutôt une tête d’enterrement, la récession avait déjà cogné dur. Ne t’en fais pas meneer, avais-je pensé, ce n’est que le début.
En marchant à la voiture, on est passés par une petite rue étroite avec des maisons typiques des Pays-Bas ; en haut d’un balcon j’aperçus une statue de femme en bronze, elle tendait la main et comme tout son corps au ciel ; j’ai dit Seigneur je ne crois pas en toi mais si tu devais exhausser un ange c’est pas celle-là. Vise-moi un peu le pare-chocs de celle-ci. Oui, celle qui se pend à mon cou. Et reluque-moi cet airbag des enfers! Oh Seigneur !

– Gaby...
J’ai mis sa main dans la mienne. Elle faisait tout son possible pour masquer. Mais ça n’allait pas.
– Gaby. Je vois bien. Alors aie pas peur de me dire.
Dès hier soir, quand ça avait été le moment de dormir. Ou plutôt, de s’endormir – et puis qu’est-ce qu’elle avait dormi ? Deux heures ? Trois heures ? Et ce matin j’avais vu à son visage. Il était soucieux, pensif, la bouche serrée, petite, en train de mordiller les lèvres. Non, ça n’allait pas. Ce visage avait peur. Et il avait fait tout son possible pour masquer. Mais à présent le sombre manoir nous faisait face.
– Tout ira bien. Je te promets.
– Billy, tu es gentil.
Elle m’avait fait un sourire triste. Tu es gentil mais de grâce ne fais pas des promesses auxquelles tu es incapable de tenir. Elle ne l’avait pas dit. Mais je l’aurais mérité.
L’imposant manoir se dressait à une cinquantaine d’enjambées d’ici. Seule une grille chapeautée de barbelés électrifiés ainsi qu’une meute de bergers allemands d’un pur noir nous en séparaient. C’était un édifice en trois temps : Intimidation. Beauté. Intimidation.
La tour centrale affichait à son quatrième et dernier étage une sorte d’immonde tarte, immense et sinistre ; le doigt de fer de cette tarte indiquait 14H40. La couleur du fer : roussâtre. Le genre d’horloge : comme Big Ben. Aiguilles roussâtres sur fond verdâtre. Big Ben version Big Bad.
– On a de la chance Gaby. Ce que ça aurait été si on s’était ramenés le soir quand il fait sombre...
La propriété des beaux-parents était laide de beauté noire. Par contre les toutous sont apparemment tranquilles. Oui Gaby, apparemment. D’ailleurs une grille électrifiée avec des pics sert d’intermédiaire. C’est vrai Billy... Un frisson l’avait parcourue. Ah oui, une dernière chose : des molosses Gaby, ce sont des molosses, et non des toutous. Ses frissons avaient redoublé. Alors je fus bien obligé de la réchauffer. Je n'en ratais pas une.
– C’est à ta mère de trembler ; pas à toi. N’intervertissons pas les responsabilités ; et puis, ce n’est pas comme si on était dépendants ou comme si on s’imposait tous les jours. Right ? On demande juste un peu de reconnaissance.
Juste un peu de reconnaissance...
Les bêtes noires aux méchantes oreilles tendues demandaient qu’à faire connaissance. Bordel d’accueil. On se les gèle en plus. Attends je vais te chercher ma veste.
Je couvris soigneusement les épaules de Gaby. Au passage j’avais eu le temps d’effectuer ma mission. Glisser l’Autrichien derrière ma ceinture sous mon pull. Si les chiennes de garde voulaient un os, elles auraient la pâtée de leur vie.
– Ne t’attends à rien.
Les yeux de Gaby se posèrent sur moi, incrédules et effrayés.
– Ne t’attends à rien. Sinon ce serait déjà arrivé depuis bien longtemps. Non, ne t’attends à rien de bienveillant, ici nous sommes en territoire hostile. Ici, nous ne sommes pas les bienvenus.
Je lâchais des paroles dures dans son cœur tendre. Jauger la réaction et prévoir la suite des opérations. Elle se résigne ou elle s’indigne ? Elle était terriblement triste, et c’était tout ce qu’il y avait à connaître, le reste n’était qu’anecdote.
Nous sonnâmes au vieil interphone modèle XXe siècle. Le rectangle de plastique poussiéreux s’encastrait dans la brique rouge noircie d’un pilier lézardé bordant la grande grille noire. Grille grande d’environ trois mètres allongés d’un bon mètre de picot. Au-dessus, une caméra globiforme rotative surveillait. Caméra paisiblement ostentatoire, avais-je songé, mais quel genre de tête à l’autre bout du joystick ? Ah ! Toute la question était là !
Voir ou être vu.
Nous étions vus. Mais nous avions fermement l’intention de voir à notre tour. On irait jusqu’au bout. J’avais même promis que ça se passerait bien !
Les molosses aussi nous voyaient. Regarde-les pas Gaby ; pas dans les yeux ! oui tu vois ces jolis petits yeux en amande ? Regarde pas je te dis ! Surtout jamais fixer un clebs d’attaque. C’est la meilleure façon qu’il t’attaque. Non, te fie pas ; leur calme ? Justement c’est pour mieux te manger mon enfant ! Ils sont sereins rien qu’à l’idée.
Mes sens aiguillaient de plus en plus côté rouge, attention code alerte, je répète : attention code alerte, danger, danger, danger. Le rush montait au cerveau, la bête face au fauve, le berger allemand face au banlieusard belge, orgueil à orgueil, une meute d’Allemands au poil noir ras versus l’Autrichien noir chromé.
– Billy ?
Je les crèverai tous !
– Billy...
Sales cabots !
– Billy aide-moi bon sang ! Je dis quoi ?
On me secouait par la manche.
– Hein ? Chérie plaît-il ?... " dis quoi " ?
– Mais là.
Là quoi ? Ha, oui...
Sa main s’agitait en direction du parlophone ; le vieil engin s’était mis à parler. Mon Dieu Billy fais quelque chose, avaient supplié les yeux de Gaby, je suis perdue, ajouta son visage, le front tout à coup froissé, et surtout autour des yeux, deux virgules de stresse en guise de sourcils avec beaucoup de noir dans la fosse des cernes. T’as entendu Billy ? T’as entendu ?...
Cette voix grésillante, enfantine, et comme déjà ce relent de vécu, de trop-plein, de trop loin... déjà... cette voix...
Oui, cette voix qui avait dit sobrement :
– Naturellement, je parle français, c’est même ma seconde langue maternelle ; je suis bilingue de naissance. Alors re-bonjour monsieur, je vous souhaitais la bienvenue chez les Bogaert, et je vous demandais " À qui ai-je l’honneur ? ".
Dès le départ j’avais annoncé la couleur : Nederlands niet, ni-i-i-iet, oh que niet ! surtout pas spréken !... Non ! nee, nee !  Non, ni-i-i-it, gé-é-én ! Geen spreek... geen du tout mevrouw !... Ah ? Vous me faites remarquer que je sais au moins déclarer mon incapacité flamande – en flamand. Ya goed ! Un peu c’est vrai, on ne peut rien vous cacher, c’est ça ! Een beetje, " un peu ", en effet, mais alors un tout petit bétilleu ! Oh non... je vous le déconseille. On s’y perdrait mejuffrouw, " mademoiselle ".
Naturellement je parle français. Son nom était Bogaert. Elle se demandait à qui elle avait l’honneur.
– Vous avez l’honneur à Billy Godefroy Leskens. Il accompagne Gaby Gallois ; en principe fille d’Élisène Bogaert. En principe et qu’on vienne pas dire le contraire. Ah. C’est votre mère et vous êtes mieux placée pour savoir ? Eh bien ma petite, je crois que vous m’avez ouvert les yeux ; après tout c’est pas comme si une mère pouvait mentir sur son passé honteux à sa famille, dans le seul but de la préserver d’un tel fardeau. Non, pourquoi elle ferait ça ? On a jamais vu ça ! Et puis, même si vous consultiez votre grille d’écrans de contrôle, c’est pas parce que vous et la prétendue sœurette vous vous ressemblez comme deux gouttes d’eau – déjà que vous êtes que des " demi-gouttes " d’eau familiale – c’est pas parce que – que ça prouve quoi que ce soit ! Hein ! Saddam Hussein aussi il en avait des sosies, et on a vu où ça l’a mené. Non, ça n’a rien de délirant, au contraire. Quoi? Pardon? Plaît-il? Je vous ai jamais vu comment je pourrais savoir, me dites-vous. Eh bien vous dites mal. J’ai des dossiers. Parfaitement, et des photos. Oui, j'ai même tout un tas de photos. Oui, pas moins, un album ! Et encore beaucoup et d’autres dossiers (j'en rajoutais un peu...). Ne vous en faites pas, on est venus débrouiller la tribu. Oui, oui, faites ; je vous parie un moule-frite que votre mère s’en réjouira. Et qu’elle soit assurée qu’on a tout notre temps. Non, non – j’ai dit : on-a-tout-no-tre-temps ; vous comprenez, on est venus de loin, de tellement loin, ... comment on pourrait s’arrêter en si bon chemin ? Oui, voilà, vous avez tout capté, il vaut mieux en référer à maman. Elle saura mieux quoi. Oui très affirmativement !... rapportez ça nature, tout à fait, littéralement, n’ayez crainte, les parents sont plus fins qu’on se l’imagine. Et n’oubliez pas, ressemblance n’est pas descendance, oui, même comme deux gouttes d’eau – ça ne signifie rien, d’abord, des gouttes d’eau. Voilà... Non mais y a no malaise ! On reste là, promis ; on bougera pas d’une intention.
Allez ma fille, va, va...
J’ai regardé Gaby l’air de. Roulez jeunesse. Je me sentais gonflé. L’affaire est dans le sac. Reste plus qu’à... les éloges et basta.
Elles vinrent.
– Qu’y a-t-il en toi, hein, dis-moi dont Billy, qu’y a-t-il en toi ? Ses pupilles rapetissaient, deux billes de plomb au milieu d’un vaste champ de rouge, je te déteste, je te déteste, salaud – " mais chérie ? " – " je te déteste " – " attends moi c’est pour toi " – " t’es un monstre qui détruit tout ; tu sais que casser ; hein ? Pourquoi tu sais que casser ? " – " Non mais non ! Je te promets que j’ai tout arrangé. "
Ses yeux à Gaby promettaient que tu sais que tout casser. Et je te jure qu’ils promettront rien d’autre espèce d’oiseau de malheur. Gaby était tellement convaincue – qu’elle me convainquit : j’avais un bec à la place de la bouche. Cette si mauvaise bouche. Mais tout bien pesé c’était pas possible ; si j’avais eu un bec, ça ferait de longtemps que je me serais barré de la terre avec mes ailes.
Et encore, rêve pas, t’aurais fini par te marcher sur l’aile !
Kim Bogaert...
Sa voix jeune, pourtant comme une fêlure, une immense implacable lointaine fêlure de l’âme. Son onde sonore avait une longue histoire attachée au timbre ; une de ces histoires... Non, chu-u-ut... On le dira pas.

Ecrit par Jokeromega, à 09:13 dans la rubrique "Chantier fermé".
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Lundi (11/12/06)
Ça remontait à 3,6 milliards d’années

--> extrait (suite chronologique du dernier extrait)

Nous étions à une heure de route d’Anvers, le célèbre port maritime, là où baignaient les beaux-parents bis. À cette heure-là le trajet Mons-Charleroi-Bruxelles bouchonnait pas mal, les navetteurs revenaient de leur navette. De notre bande d’autoroute on pouvait observer les automobilistes embouchonnés. Mais dans notre sens ça mettrait moins d’une heure.
_ On pourrait les voir demain.
C’est vrai que la journée a été bien remplie. Beaucoup d’émotions.
_ J’ai disjoncté ; je sais. Mais, oh, chérie, faut pardonner.
Respiration.
_ Il faut me pouvoir tout pardonner, sans quoi...
Le vent sifflait dehors. La saison nous rappelait son automne.
_ Sans quoi comment aboutir ? C’est plus fort que moi, mon ange. Je...
Qu’est-ce que je pouvais dire de plus ? Sinon des conneries.
_ Oh mais non ! Au contraire, tu as été un amour, j’étais émue aux larmes si tu savais ! Ça me paraissait impossible. Pourtant. À présent je peux le dire.
L’ange avait marqué un temps d’arrêt qui en dit long ; elle a gros sur le cœur je vois. Puis c’est tombé comme un couperet : " Je t’aime encore plus ". Elle avait les yeux qui scintillent. Et ses yeux scintillaient dans ma direction. Ses yeux disaient je veux faire ma vie avec toi.
La bouche a dit :
_ Je veux faire ma vie avec toi.
Sa bouche disait comme ses yeux. C’était une fille cohérente. C’était rare !
C’était merveilleux.
Oui, merveilleux, pieds et poings liés.
_ Excuse-moi ! Avait-elle presque supplié, parce qu’elle venait de déchiffrer des soucis sur mon visage. Je veux pas te presser, ni tout gâcher... enfin – mais on va s’entendre ! Tu sais ? Faut pas avoir l’impression d’être enchaîné, oh, oh ! oh... ce que je souffrirais de me savoir ton boulet, mais dis... si tu devais partir, alors pars. Je veux dire si un jour bien sûr, tu devais partir... Oh, moi je serais, et ça se comprend, sur les rotules, mais, mm, mais l’amour ça se peut pas d’être une corvée, si le naturel est traître alors mieux vaut endurer la rupture ; plutôt que mille humiliations d’un amour faussement perpétré. C’est vrai quoi, on a peur d’abattre le lieu où un être fût un jour dans notre vie, mais faire faux c’est pire, c’est faire mal en continu et reporter le coup de grâce à bientôt, qu’il grossisse et devienne monstrueux, comme si l’autre était dupe, comme si l’affreux aura meilleur goût demain, quand il aura épaissi, mûri, macéré... Oh, je ne sais pas, je me perds, je...
Elle s’était mise à sangloter. Son petit mouchoir en dentelle près du nez. Un mouchoir à l’ancienne.
_ Mais non Gaby, c’est pas ça, tu n’y es pas, t’es mon bébé, et mon petit ange, mon ange gardien tiens, on forme un tandem, le plus vieux tandem du monde, fille et garçon, l’un jamais complet sans l’autre, et...
Et après ? La corde au cou ! Casse-toi de là Billy.
_ Billy, ça fait six mois à peine et faut pas croire, je sais que l’amour est trompeur.
Elle sanglotait de plus en plus. Toujours le petit mouchoir. On aurait dit une biche apeurée.
_ On est euphorique, uh... Elle sanglotait. Ha... Tout petit sanglot, animal perdu, si tendre... Uh... on est euphorique... Elle insistait... puis elle a dit sa voix devenue comme un murmure : " l’euphorie guette le premier faux pas, et tous les espoirs alors... "
_ Te pètent à la figure, pris-je le soin de compléter.
Elle pleurait pour de bon désormais. Essayons de rattraper le coup.
_ Mais non chouchoute ! Je suis espiègle, crois pas tout ce que je dis ! Pas pour nous Gaby. Nous il y aura toujours quelque chose, si pas en ménage, au moins en complicité, – en art tiens ! On se filera des tuyaux. On se flanquera des critiques ! On se crêpera le chignon toute notre vie ! C’est-y pas le paradis ? Je te promets ! On sera philosophes ! Une sorte d’amitié particulière mais, amitié, amitié, " amitié "... ha, c’est un grand mot, il fout la frousse, il te la fout !... je vois ça – faut pas frémir ! Si j’évoque ce genre de mutation : " l’amitié "... au contraire !... c’est révélateur, j’annonce le possible... et le possible ? Il signifie, déclare, affirme !... que nos liens se basent sur la substance, on dispose d’un vrai socle de partage ; idées ! intentions ! et donc, j’en doute, mais si notre relation devait souffrir, elle grandirait ailleurs, elle reviendrait en autre chose, de moins absolu certes, mois intense oui – et tout aussi essentiel... et plus essentiel ! (tant qu’à faire) parce qu’on serait toujours là pour les coups durs, peut-être pas avec autant de prévenance, peut-être pas de façon aussi explicite, ou disons, enfin disons tu vois le genre (tu le vois ?), mais on serait là. Ooh j’en fais la promesse, non, j’en fais le serment, oui, voilà, moi qui garantis jamais rien, hé bien, là je te dis, je t’affirme – je t’affirme que quoi qu’il advienne, l’un et l’autre on restera liés, d’une façon ou l’autre. Si on me demandait mon pronostic ? Je dirais qu’on fera notre vie ensemble ; je dis pas mariage, parce que tu vois, le mariage, c’est hum, voilà, en fait moi j’estime que j’ai pas besoin d’une structure étatique ou religieuse pour me dire ce que je sais déjà, à savoir que je t’aime et pour moi c’est ça les vrais liens, ceux de l’amour donc ! Non, j’en ai pas besoin ! ( vraiment ? ) Bon, tu vois que je réfléchis, mais quoi ! mais même ! Encore que peut-être, oui peut-être ! oui je dis bien peut-être que j’en ai rudement besoin des structures, – soit ! Mais eux, là, ils veulent se poser comme garants de tes sentiments, comme si le cachet légal allait changer quoi que ce soit, comme si, si tu devais trahir l’autre tu ne le trahirais pas alors que tout ça c’est dans la tête que ça se passe, pas dans les tribunaux ; les tribunaux c’est pour se casser la gueule de façon civilisée, faire appel à maman Justice qu’elle nous foute une bonne raclée. Dans la tête je te dis ! Tout là ! la tête... Et ils ne l’ont pas, le pouvoir sur l’esprit, enfin, sur le mien en tout cas ! Bon, bien sûr, je comprends, les parents ils font partie de la plupart des gens, alors ils ont besoin d’un édifice, d’une instance supérieure, ha ! bien sûr, la société c’est nécessaire... vital je dis ! Contrat social tout ce que tu veux ! Bordel je le sais mille fois ! Et plus ! Les gens ont besoin de quelque chose qui les rapproche du ciel ou des grands de ce monde, quelque chose qui extirpe de la monotonie de l’existence, mais, hé ! qui mieux que moi ne mit à mort la monotonie ? Bon, d’accord, j’étais à l’état cadavérique, et même, à l’état de non existence, ça je m’en souviens très bien mais, hé, dans ma tête, aussi sinistre que ça fût, et complaisant pour rien arranger, n’empêche dans ma tête, mon univers là, n’est-ce pas, mon univers, à ton avis, quel univers bouillonna plus que le mien ? Hein, je te le demande. Oh... Enfin on s’en fout de mes capacités d’ébullition, ce que je veux dire, et ce qui compte, je crois, c’est que, euh, oh, je crois que j’ai perdu le fil de mon idée, hi, c’est bête ça alors, de se faire tout un film, avec discours et moult emphase et tout et tout, et puis, et puis voilà ! on se dilue ! Mais, mm, bisou quand même !
J’avais caressé ses lèvres d’un délicat baiser. On avait décidé de faire escale à Bruxelles, je me souvenais d’un petit restaurant grec près de la Grand-Place, on mangerait local, bon et pas cher, comme à l’époque des vaches maigres, des filles pour qui je n’existais même pas, et à présent qui rêvaient de me sucer une ou deux fois avant de se faire engrosser et vivre à charge de frais. Gaby me fit un sourire sincère et contenu, sans montrer les dents, tout en finesse, ce qui me donna envie de lui faire l’amour très fort, très profond.

_ Voilà pour vous mon brave.
100 euros. 50 de pourboire. Il était vingt-deux heures lorsque j’avais témoigné ma gratitude au serveur. À partager avec vos confrères ! Pour l’accueil reçu et surtout parce que j’étais remonté comme un taureau et cela mettait de très, très bonne humeur. J’étais prêt à répandre le bonheur. J’avais tourné la semaine précédente une publicité particulièrement enrichissante. Contrat à longue durée et utilisation systématique de mon image. J’avais lu dans Voici que huit lectrices sur dix s’étaient au moins une fois dans leur vie touchées (sic) en pensant à un tueur en série. Trois pages plus loin on trouvait Billy l’auteur à scandale en tête de sondage " plan cul people ", et en fin de peloton " relation sérieuse ". Je m’étais senti très objet, comme si je valais guère mieux qu’un vibromasseur ou un serial killer. Dégoûté, j’avais surfé un bon moment au hasard, jusqu’à cette thèse en doctorat de marketing. Étude approfondie du secteur des insecticides. Or le géant américain KillTheSmall cherchait à implanter le marché français. Dites-moi tout docteur ! L’étude clientèle démontrait que neuf couples sur dix voyaient la femme s’occuper des achats insecticides. Protéger les enfants et désir assassin refoulé ; madame en avait ras-le-bol de devoir l’écraser. Serial killer, femmes, prestige people, insecticides. J’avais dressé un parallélisme, proposant mon slogan à KillTheSmall. "  Faites comme moi, tuez les emmerdeurs ! ". J’étais plein aux as à présent, j’avais même reçu dix paquets de chacun six tubes 500 ml. Que demander de plus ? Ah oui, une gâterie à ma petite chatte.
Ç’eût été sage de tester au plus vite la réputation des matelas et sommiers du cinq étoiles Boulevard de Waterloo ; fallait se méfier du laisser-aller chez les Hilton, mais Gaby avait insisté pour qu’on fasse un peu de shopping sur le boulevard en question et Avenue Louise, le rendez-vous chic et luxe du royaume. Boutiques very high standing au coude à coude sur plus d’un kilomètre. It’s glamourious ! Les trottoirs étaient piétinés par les talons surcompensés d’adolescentes au papa diplomate jamais à la maison ; et ces mêmes trottoirs étaient martelés par les bottines Gianni Versace des canons de La Hulpe et Rhodes-Saint-Genèse. Mais aucun pavé n’était plus heureux que lorsqu’il avait supporté le pas décisif des sandales Yves Saint Laurent Lolita cuir noir de Gaby, ... et ses gants ! Ses gants... YSL gris et sa veste ! sa veste... courte, près du corps, gris chiné YSL, et sa jupe ! sa jupe... YSL blanche au-dessus du genou, droite. Le seul complet grand couturier qui ne montrât pas fesses ni seins. Oh, et j’avais un bras sous son pull, dans son dos, à hauteur de taille, l’autre membre disponible pour de temps à autre lui remettre une mèche. Après, le reste, c’était carabistouilles de fille ; je la laissais faire, opinant de temps à autre.

Hôtel.
Réception.
Validations biométriques.
Une belle chambre cossue, lit deux places, salle de bain, jacuzzi, plateau de fruits, lumière d’ambiance, variable, mobilier, classique, efficace, doré... on en avait pour son crédit.
La serviette rose emmaillotait les cheveux. Elle se dandinait topless. Je m’étais un peu familiarisé avec son corps. Fine de partout et grasse de nulle part, incurvée comme il faut, là où il faut. À la fois belle et mignonne, ce qui est très rare chez une fille, et inexistant chez un garçon. Elle parvenait à hisser ses vingt-huit ans vers un vingt-cinq ans élégant, mémorable, de toute beauté. D’autres fois elle était cette soyeuse petite fille, riante, candide, vraiment minette, moins marquante mais très, très adorable.
_ T’es pas doué, hi.
Satané soutien-gorge !
_ Essaye avec les dents, qui sait...
J’aimais l’odeur ; sa lingerie de corps... son pouvoir érotique, et ce que j’aimais par dessus tout : remonter à la source des odeurs. Je mis un genoux à terre, puis l’autre, et finalement je mis la langue.
_ Oh ! Toujours pressé.
Reproche enfantin. Quand même un peu sérieuse ?
_ Tu aurais pu flirter un peu, travailler la nuque. Bon, elle soupira, que veux-tu, allez, va...
On pratiqua le French kiss et d’autres sortes plus sinueuses... La notion de durée s’évaporait dans les montées du désir.
_ Ah. Sympa les tétons.
_ Idiot !
Ses tétons comme deux fraises. Elle et moi... partis en macédoine de sentiments. À la recherche du fruit de l’autre. Partis en vrille dans un lacis de nos cœurs. Partis pour mieux revenir. Prendre, mordiller, aïe ! excuse ! sale brute ! mais non, mais non... ménager, retarder, surprendre ! reprendre ! ouïe ! comédienne ! c’était sensible comme zone, petits cris, relâcher, titiller, faire diversion, savoir l’instant propice, et alors, et alors, et alors... alors ! vlout !... c’était si heureux. J’avais envie d’unir !... définitivement ! Qu’on entre en consubstantiation. Pareil pour elle. On savait.
Moi aussi je savais. Je savais même trop. Alors les tremblements. Non ça va pas recommencer !
Elle rassure, passe la main, douce, si douce... apaisement, elle savait.
Elle aussi elle savait. Elle savait comme jamais. Et j’étais sûr de vouloir pour toujours. Et c’était vrai, je voulais pour toujours.
J’ai approché l’offrande génitale. Je me suis appliqué corps et âme, elle mouillait beaucoup et l’organe devenait brûlant, j’avalais le plus possible, elle caressait mes cheveux, et laissait tomber vers moi des mots tendres... ces mots tendres glissaient des lèvres, ils étaient des caresses, des explorateurs de l’espace de partage, lèche du cou... son cou gracile, ils se faufilaient entre les clavicules délicatement saillantes, ils poursuivaient, dessinaient des formes géométriques diverses, hommages aux constellations sur son ventre creusé d’émotion, tendu au plaisir, ces mots me tombaient pile sous la langue, je les gardais en bouche, si tendres, ils me sondaient l’intérieur et je les retournais à elle... gémissements... fragile... attente... et encore, je remontais échanger tout notre intérieur.
Elle riait. Sincère, généreuse, amusée oui aussi... Amusée ? Quoi, c’est moi qui te fais rire ? Crispations...
_ Oh... Mon petit chou.
Smack
Elle avait baisé à hauteur de nombril, lentement descendit, tandis que les yeux montaient, montaient, montaient... défiants, soumis... des yeux en forme d’invitation, des yeux-fouets, des yeux comme deux sondes spatiales.
Effort de relaxation.
Pas évident.
Non, pas évident du tout ! Oh...
Elle caressait les hanches en même temps qu’elle prenait. J’étais cool en fait, je m’en rendais compte, c’était le moment ou jamais de descendre voir ce qui ce passe. Les langues se chatouillaient.
Ouaw...
Mes yeux aussi invitaient. Les siens toujours intenses. On s’envoyait des particules inconnues aux sciences expérimentales. Invisibles aux machines. On était en train de créer de la chimie millénaire. Qui remontait loin. Combien ? 3,6 milliards d’année les bactéries autoreproductives ? Sexualité 2 milliards ? En tout cas tout l’amour de mon univers la mettait en joue, j’ai humecté l’omoplate, frôlé l’épaule, elle tenait d’une main, caressait de l’autre à la base, j’ai murmuré : On va naître ensemble. On s’est rapproché. Définitivement.

Ecrit par Jokeromega, à 21:52 dans la rubrique "Chantier fermé".
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Lundi (04/12/06)
Les mauvaises habitudes

--> extrait (suite chronologique du dernier extrait)

Fallait faire abstraction.
Non Billy, ne bouleverse pas la seule journée entre êtres humains normaux. Notre famille pour la première fois, notre famille une dernière fois réunie – comme on dit déjà ? Ah. En symbiose... Oui, on l’a bien mérité, une dernière fois de vivre ensemble. Je le savais ! Les beaux discours de Gaby échoueraient. Aujourd’hui était unique et gracié. C’était une fois et une seule. C’était le genre de rabiot qu’on a intérêt à attraper au vol car ils ne reviendront plus ; ce sont des once in a lifetime.
Sur la route j’avais imaginé toutes les déclarations enjouées... dénonciatrices, aussi !... je glisserais comme ça, mes mots de protestation ; j’étais plein d’orgueil, fourré de partout, la réussite sociale, elle avait validé, tout validé ; validé ce pour quoi je m’étais toujours fait rabrouer, parce que trop bizarre, fait rejeter, parce que pas assez docile, fait mépriser, parce qu’on se méprise les uns les autres afin d’avoir toujours une tête sur laquelle appuyer notre botte. À présent – prendre le dessus – quelle importance ? Ce serait facile. Bien trop facile. Ce serait pas du sport. Ce serait une guerre en retard. Ce serait indécent. On ne tire pas sur l’ambulance ! Laissons respirer les asthmatiques. Les morts ont droit au repos ! J’étais trop lucide, tout cela, toutes ces doléances, tout cela dont j’avais patienté le jour depuis si loin dans la mémoire, tout cela révélé, et aussitôt balayé d’un coup de conscience, de conscience pure, tout cela n’avait plus affaire au même homme. Je comprenais tous les hommes, mais vraiment tous sous un jour nouveau.
Un jour nouveau... les hommes... conscience...
Vise-moi plutôt ta mère ! Vois ! Maman toujours la forme. Foi, vertus, jouvence... indéniable, explicite... sous les yeux. En temps réel cette sereine certitude.
En es-tu si sûr Billy ?... et, surtout, en est-elle si sûre ? Importe... pense pas Billy, ne pense plus à ces choses, va Billy, et ne te retourne pas, non Billy, non, ne regarde pas en arrière, il faut se séparer, il faut ! Va...
Quelle que fût la douleur du croyant elle avait une limite, elle avait toujours une limite, les convaincus pouvaient aussi souffrir et même très péniblement, mais jusqu’à un certain point, point au-delà duquel Dieu prenait le relais. Ils étaient terrifiants de convictions.
En es-tu si sûr Billy ?... en es-tu si sûr ?
Non ne pense pas ! Ne pense plus.
Moi ça m’écœurait plus que tout. Que tout le reste... La conviction avait ruiné ma vie ; la conviction des autres. C’était même pas la mienne.
En es-tu si sûr ? Elle n’était qu’un parmi tant. Les candidats banqueroute manquaient pas.
Ils n’ont jamais manqué.
Jamais.
Jamais...
Jamais !

Maman et Gaby s’épanchaient en histoires et anecdotes. Papa avait conscience de ses limites rhétoriques. Oui, clairement, mais il nous avait quelque chose sur le feu.
_ Billy, allez, mon garçon, ... mon petit... Billy !
_ Oui p’pa.
_ Billy !
_ Oui papa, je suis là.
_ Billy !
On s’était entre-regardé avec maman. Allait-il remettre ça ? La crise semblait pas loin.
_ Billy !
Sa voix devenait de plus en plus sérieuse. Maman avait posé une main sur la Bible. Gaby regardait par terre. Moi, j’ai dit.
_ Nom de Dieu !... Je vais en boire une à ta santé.
_ Ah, ça du caractère. Ça mon Billy !
Et il s’était mis à rire, rire ! rire... Il riait et ce rire était indicible. Un rire venu d’ailleurs. Un rire venu du tréfonds. Un rire à bien y penser, qui faisait froid dans le dos. Un rire pas drôle du tout.
Et moi j’étais nostalgique de ce moment, merveilleux et terrible, je permettais à cet inoubliable de me bercer, me tanguer les émotions tandis que partaient au loin les mouettes. Elles étaient tristes les mouettes. Les mouettes...
Les mouettes allaient au zénith, emporter l’indicible.
Profite Gaby, profite. Toi tu sais.
Et toi Billy, mets les voiles !
Oui – mais Gaby, elle doit pas en profiter ?
Gaby avait été parfaite. Mes parents avaient été fidèles à eux-mêmes ; leur plus agréable version soit dit en passant. Il était temps de décamper avant que ça dégénère. C’était la meilleure façon d’en profiter, de part et d’autre.
_ Dites mademoiselle...
_ Madame ? répondit la demoiselle.
_ Alors.
_ Oui ?
_ Vous savez que les gens convenables doivent s’unir devant Dieu.
Ah ! Elle tombait pas comme un cheveu dans la soupe ! Ha ! Elle s’y croyait pas un petit peu ! Ha ! La déclaration tout de go. Elle dégaine ma mère ! C’est une shérif. Une shérif qui se croit au XIXe siècle.
On était tous embarrassés. À commencer par Billy qui commençait à avoir la haine. Voilà, on est trop gentil et direct ça prend confiance.
_ C’est que, madame, répondit à nouveau la demoiselle, oui, en effet, j’y ai pensé, et j’y pense déjà, et souvent même, mais, mm, la demoiselle me jeta un timide coup d’œil, mais vraiment timide ; j’avais une tête de tueur. J’aime, j’aime voir venir sans tapage ni brusquer, non !... il ne faudrait pas brusquer.
J’avais une tête de tueur en série.
_ Parce que même si j’ai la passion dans l’âme, je suis persuadée que les mouvements lents sont les plus efficaces. Ils aboutissent sans forcer – et tout casser. On digère mieux !... n’est-ce pas ?
Tueur en série qui s’est levé du mauvais pied.
_ C’est, mm, vous voyez, c’est humain, c’est très humain la routine. Nous sommes des êtres habitués. La nouveauté excite autant qu’elle effraye. Elle opprime. Mais dès qu’on la pratique suffisamment, hein ? suffisamment... oui oui, suffisamment... non seulement on l’intègre comme allant de soi mais en plus on y est attaché… je crois ! Je crois ? Je dis ça comme ça ! Oh j’affirme rien. Oh non rien ! Mais je crois que la nouveauté, bien digérée, on la céderait pour rien au monde. Sauf pour d’autres mouvements lents. Vous voyez ?
Mère voyait-elle ? Il aurait suffi de voir cette tête de tueur en série levé du mauvais pied avec un énorme abcès dans la bouche qui fout les boules. Mais il en fallait plus pour impressionner la shérif du XIX siècle. Aussi, elle prit la parole.
_ Oui, vous savez, j’ai été jeune avant vous. Vous devez savoir que lorsqu’on remet sa vie et son destin entre les mains de Dieu il ne peut y avoir de mauvaise solution. La shérif du XIX siècle m’avait fermement fixé pour conclure : Jamais.
_ Car Dieu a toujours raison !
Tout le monde se retourna stupéfaits sur moi.
_ Sauf quand il s’agit de ma vie. J’ai remarqué à ce propos que Ses choix furent plutôt questionnables, mais je Lui accorde la surcharge de travail. Aussi, je Le dispense totalement de s’en encore mêler. Non, ce ne serait pas, pas du tout, du tout ! une bonne idée. Mais Dieu sait ces choses-là, Il les sait. N’est-ce pas mère ?
J’étais fier. Le venin montait.
_ Mais chéri, avait dit Gaby pour apaiser la situation, pensait-elle, chéri dis, c’est vrai que le mariage j’avais envie de t’en toucher un mot, tu sais.
_ Et tu fus divinement, oui divinement inspirée de t’en abstenir ; jamais je ne saurai assez te féliciter ! Bravo Gaby-j’ai-tout-compris-Gallois.
Gaby Gallois avait le cœur accidenté. Ma bouche était un semi-remorque de dix tonnes qui venait de s’encastrer dedans. Victime, sacrifiée sur l’autel de l’incompréhension. Oh, c’était pas tellement les mots en eux-mêmes. L’intonation avait fait mal, la passion, la mauvaise passion, le sourire dur, en acier, les dents longues, le visage serré, le plaisir évident, le fiel, oui le fiel... Fallait bien se défendre ! Que ça sorte par quelque part ! Comment on faisait nous ? On nous acculait. On nous malmenait. Et on nous avait jamais consulté. Alors... alors quoi ! Alors voilà.
Ces démons-là éventrent, elle a mal. Moi je voyais ça, j’étais réceptif. Je faisais quoi dans ce cas ? Consoler ?... excuses ?... Les excuses, c’est beaucoup demander. Prétextes alors ?... masquages... météo ? Jamais céder ! L’orgueil avant tout. Céder pas d’un cran. T’as tort ? T’es à vif ? Fonce tout droit. Rectiligne. Comme papa aurait voulu ! Fixe, rectiligne et le goût du sang en bouche. Si l’autre résiste, réduis à néant ; au contraire, s’il se laisse faire, réduis à néant. Je réduisais toujours à néant. C’est tout ce que je savais faire ; tout ce qu’on m’avait appris à faire. Et je sentais tout le drame se jouer en moi, se nouer en l’autre, je savais ! Après, je regretterais amèrement, ô amèrement... oui je regretterais très bientôt. C’est-à-dire plus tard, plus tard... pour l’heure c’était la gorge, les tripes, la fureur de vaincre, oui vaincre, et foutre en l’air le bonheur. T’aimes détruire Billy. T’aimes ça... Le vice c’est ton pote, vous vous connaissez par cœur. Tu ferais quoi sans lui ? Tout ce que j’aurais pas fait sans lui ; ni sans la tentation... On sent qu’on est au bord ; et pourquoi on préfère la face obscure ? Par Habitude. Par habitude... Gaby a raison, on y tient à son habitude ! On prolonge tout ce qui a déraillé dans notre vie. Une fois qu’on a pris le train en marche, c’est pour toujours.
Par habitude et parce que c’est diablement plus drôle ; on se sent vivre... frémissements ! Toujours... on s’ennuie. Quelque chose, il faut que quelque chose déraille.
_ Bon, on s’en va, on n’a plus rien à faire ici.
Gaby avait les cils qui frétillent. Ou plutôt, non, ils frétillaient pas. Ils frémissaient. Elle regardait le sol depuis une bonne demie heure. Pendant mes réflexions le silence avait été terrible. Ma parole avait été pire.
C’était ce qui s’appelle enfoncer le clou dedans.
Le chef était vautré depuis une bonne heure devant ses pixels, semi conscient, débraillé comme un paysan, rotant parfois, sirotant son petit apéro maison. La serviteur de Dieu par contre avait le regard noir, noir comme d’obscures profondeurs ; desquelles elle seule avait le secret. Elle jugeait sans rien dire. Terrible ! C’était elle le pire. Moi j’étais un amateur. Elle, ça venait de loin, si loin... Elle condamnait comme personne.
Pour qui elle se prenait ? C’est fini ce temps-là. Je n’achète plus. Moi aussi je condamne !
Gaby avait perdu tous ses moyens et tremblait comme une feuille morte placée entre deux cyclones rendus à la vie. Billy / maman, maman / Billy. Comme au bon vieux temps. La petite feuille se laissait dévorer par les grands méchants loups, les larmes coulaient déjà, l’odeur du sang ! encore Billy ! mords ! blessure, faiblesse, gémissements, attaque ! J’avais vraiment envie de faire un carton. Puis j’ai vu sa figure de profil : défaite, essoufflée, creusée ; mon père avait une sale gueule. La sale gueule du désastre. Quelle pitié ; pourtant il était le dernier à être en mesure d’en souffrir. Il savait même pas qu’il était une victime ! Ha, lui c’était pas le bon client pour ça. Lui c’était seul au trou. C’est pour ça que j’ai eu pitié. Parce qu’il ne faisait même plus partie des meubles. C’était un cadavre qui respirait encore. Alors j’ai embrassé maman sans mot dire, j’ai embrassé mon père, il a souri bêtement, j’ai embrassé une seconde fois maman en glissant à la dérobée cinq billets de cinq cents euros dans la poche de poitrine de son gilet (j’avais apporté du cash pour faire du lèche-vitrines à Anvers). J’ai déposé un bisou tendre dans la nuque fragile de la petite feuille, devant sa " belle-mère ".
Rassurer, apaiser, j’étais en mission. On est sortis, j’ai pensé que c’était fini mon embargo sur la famille et à présent tu leur files des briques !
Maman avait déjà éteint la faible lumière vacillante du bon vieux système à filaments de tungstène. La vieille porte déglinguée se rabattait. Et la lumière tamisée de l’écran était repoussée par l’ombre de la nuit.
_ Que fais-tu ?
_ J’exécute un transfert de fonds.
Environ deux minutes de Requête-Réseau. Le temps que mes doigts s’activent. Ensuite, l’ordre était parti à la vitesse de la lumière.
_ À cette heure-ci Billy ?
_ Te fais pas de bile ma puce. Et va pas penser qu’après une visite si cruciale je passe du coq à l’âne.
Elle me questionnait du visage. Je lui ai expliqué.
_ Je viens de leur verser la somme de 25.000 euros. J’aurais pu donner plus. J’en ai largement les moyens. Mais je me méfie de leur gestion. Je préfère commencer petit. Bon, en même temps je ferais mieux de leur payer une baraque loin de tout ce foutoir. T’en penses quoi chérie ? Une belle villa avec vue sur piscine !
La chérie hésitait.
_ Ton père... Il pourrait... enfin une piscine je veux bien, mais c’est pas un peu risqué ? Il pourrait se noyer.
_ T’inquiète, si c’est de l’eau il touche pas !
_ Billy...
Elle me faisait cette désormais familière moue de réprobation.
Ce qu’elle est craquante !
Je craque !

Il faisait nuit. Il était 18 heures. Un froid de canard. De la pluie pour au moins ça de parapluie. Les feuilles virevoltaient. Jaune, vert, rouge... striées comme il faut, légères, abandonnées, parties au loin déjà... C’était l’automne de Belgique.

Ecrit par Jokeromega, à 21:39 dans la rubrique "Chantier fermé".
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