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Ces pensées qui abîment, Agence cybernétique de songerie adulte

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Jeudi (02/08/07)
Méfiez-vous du petit sommet d’iceberg, les arroseurs seront arrosés

--> épisode 3 (nouvelle mouture)

Les voisins d’à côté gueulaient. Une gueulante de film d’horreur. Je savais vraiment pas ce que je foutais là. Bon, c’est bien la porte d’entrée du nid familial ? J’étais de retour, et savais toujours pas ce que je foutais là.
" WOH ! WAH !... WOH WAH HI !... TIENS ! prends ça ! Hein que t’en veux cochonne ? "
Je reconnus, l’oreille collée à la porte, la voix suave et virile de Rocco Siffredi.
" A-a-a-a-a-ah ! Ouuuuh... Ouuuuuiiii... répondit la bergère au berger, OUI ! OUI ! OUI ! ! !", souffla-t-elle encore, hors d’haleine. " Comme... ÇA ! Maintenant mets-là dedans. "
Il s’exécuterait, fidèle serviteur, mon voisin qui se prenait pour Rocco le prince de ces dames.
Je trouvai refuge en notre appartement. Le doux nid familial, en définitive, procurait encore la meilleure des prises de tête. Laisse tomber les sorties... Rien de tel que mon père... Le chef, figé devant son poste, un vieux matos d’avant le numérique – il ne voulait rien savoir de ces " petites choses de branleur " – dormait paisiblement ; la fée cathodique avait versé le sommeil sous ses paupières. Même programme que notre voisin... on voit ça d’ici. La fille de joie suce en vain. Toute une vie, et jamais son existence se relèvera. La joie aux autres... à peine, vite fait ! déjà affligés, eux aussi... Il rit mon salaud ! Tout sursauté dans son rêve. Papa rit des larmes ! Le visage carrément fauché... La crotte de l’autre ça le bidonne ! Torché complet ! Il croit s’en laver les mains mais ce qu’il sait pas, des pognes de dégueulasse c’est fait pour la merde, toujours. Misérable diable ! marrant comme un jocko, chauve ! presque édenté ! Il ouvre les yeux, me surprend à le mater... éclate de rire... c’est reparti pour un tour. D’autres acteurs d’autres voyeurs, la roue tourne.
Je sautai sous mes draps. Ce soir c’était ça.
Je fus réveillé de bonne heure par l’ami Matebe. 7h30. Mon compteur de sommeil devait afficher dans les 25 minutes de répit. Juste assez pour se réveiller en sursaut, stressé et plein d’irritation.
" As-tu vu mon ami – à tout hasard – l’heure qu’il est ?
– Ouvre tes oreilles ! ", abrégea Togo d’un air sérieux et comique, son visage s’animant sur l’écran tactile de mon PDA. " Des gars louches quadrillent le secteur. Toute la sainte putain de nuit mon vieux ! Ils ont rendu ses lettres de noblesse au tapage nocturne. Enquête sur enquête, ils agressent tout le monde... Un Négro à eux s’est fait plier. Le coupable présente le profil d’un Blanc à vélo, la vingtaine cheveux courts, court vite et sait se battre. Les Renois ont confisqué son vélo et souhaiteraient le rendre au propriétaire. T’aurais pas une ’tite idée duquel cycliste ? "
J’avais intérêt à maintenir tranquille mon visage à l’autre bout de l’écran. C’est le problème de la technologie... on l’a pas vu venir, elle s’est infiltrée sournoisement, on s’est ruinés pour se payer un mouchard à domicile.
" Au-cu-ne idée Togo. J’y vois que du feu mais je fouille de mon côté. O.K., on fait comme ça ?
– Du feu ? Vraiment Billy ? "
Il avait insisté sur le Billy.
" J’en sais autant que toi. To-go. "
Je lui renvoyais la balle. Je le testais. Plus personne avançait de paroles. L’échange coinçait. J’aurais dû me méfier. Un Toubab sera toujours un Toubab. Il en est ainsi depuis l’époque fort reculée... Au Mali déjà, les médecins, les toubabs, avaient tous la peau blanche. Tous ! C’est ça le Toubab, c’est de là qu’il vient. Oui oui mon fwrèr... ça nous situe au bon vieux temps. Ensuite vint l’émigration destination l’Europe. En somme, la colonisation inverse. Friands de métropoles et d’assistance, les voyageurs s’entassèrent à Panam. C’est logiquement que leurs mômes appliquèrent le verlan parigot à l’idiome africain. Voilà ! J’étais devenu babtou. Son Babtou. Quoiqu’à la vérité Togo jacte le Swahili de RDC. Mais bon, l’idée est là. J’étais un petit Blanc...
Finalement mon Congolais rompit le silence de son rire granuleux.
" Je t’ai bien eu ma poule ! Qu’est-ce tu croyais ? Mais, entre nous, c’est gros Boris qui risque de grogner. Son vélo que sa maman lui a offert ! "
Gros Boris, 150 kilos à jeun, m’avait prêté son vélo sentimental.
" Stresse pas Billy... à part moi qui sait ? En même temps c’est vrai qu’ils ont la haine – tu vois la tempe ? juste au-dessus, la toute grosse veine. T’y es pas allé de main morte.
– Je te remercie pour ton soutien. Je n’en attendais pas moins de ta part Togo, sale enfoiré de Négro de mes deux ! "
Togo eut du mal à se rattraper, plié en deux, puis en quatre, non pas que mon humour raciste fût désopilant mais depuis qu’il avait évoqué gros Boris la banane ne laissait pas de lui chatouiller les commissures. On sentait que ça voulait venir... Quand j’avais commencé à me fâcher (pour de faux) Togo s’était lâché (pour de bon). Il ne nous en fallait pas plus. On se comprenait. C’est l’humour des gueules cassées.
" Je vais plonger quelque temps.
– Oublie pas d’emporter un tuba.
– Très drôle Togo.
– T’énerve pas. Si ça part en vrille j’enfile ma cape de Zorro.
– Inquiète pas. Je gère moi-même, quand on a merdé faut savoir torcher.
– Tiens-moi au courant.
– Je n’y manquerai pas mon ami.
– À plus cousin. "
J’avais mis le pied dans une sacrée bouse. Pour la troisième fois en moins d’un an je m’attaquais à qui il fallait pas. Dans mon biotope seuls les Caucasiens sont abordables... faut-il encore s’en mettre un sous la dent ! Où dénicher ? Ils sortent rarement de chez eux, en général à l’occasion de leur déménagement. Voilà, je m’étais attiré des ennuis pour les longues nuits d’été. Mon dossier s’étoffe, songeai-je les larmes aux yeux, ça devient du lourd !
J’avais beau me faire mousser je n’en menais pas large. Les petits rebelles dans mon genre se font, tôt ou tard, rattraper au tournant. Un jour ils passent le portique du bloc les bras débordant de commissions pour leur maman, là où une vingtaine de racailles font le pied de grue. Passage obligé... T’as intérêt d’avoir tes papiers en ordre. Sinon c’est l’amende et les points de suture. Je connais les habitudes de la maison. Non, je n’oublierai pas mon tuba, même si c’est le masque à oxygène qui m’est promis. D’ici là, si vous le permettez, je vais taper des longueurs dans ma piaule. Merde, c’est ras-le-bol ! On s’enlise. Tout fout le camp... comme toujours, les civilisations empoussièrent, tombent en friche... repli, oubli, vendu ! Plus personne rien foutre ! La Belgique est une mauvaise invention et le Pays de la guillotine se guillotine lui-même. Pourtant, tout bien pesé, ce n’est pas si grave. Toutes les peaux accueilleront des rides... C’est la seule vérité. Les artistes se trouveront toujours sous les peaux, toujours, sous toutes les peaux. Les cultures ! les cultures iront crever. L’artiste d’y survivre, telle l’étoile brillant malgré le crépuscule... Illuminera à jamais, bien après sa mort, au loin fin fond des mémoires, pour qui apte d’en recevoir le signal de rémanence, cette lumière posthume et nomade. Éternel souvenir immaculé. La culture en revanche, cette décadence annoncée, qu’en pouvoir sauver ? On échoue à se sauver soi-même... Et nous prétendons que perdure ? L’audace manque pas. Soit. J’écartai un tantinet la tenture. La journée arborait ses nuages matinaux, léger gris sur fond blanc, assez cotonneux dois-je dire, et du bleu dans les quelques rares trous. Quelques taches noires : un banc d’oiseaux passait par là. Du gris encore, un peu plus bas, en-dessous : les blocs à nous. En fait, tout cela ne présente strictement aucun intérêt. Je n’aime pas la nature. Je suis pas contemplatif moi. J’appartiens au XXIe siècle. Je préfère quand les pixels frétillent. Je suis le poète aux mégabits. Bon, très bien, et côté EuroNews qu’est-ce que ça raconte ?
Rubrique Perspectives. La chaîne d’information paneuropéenne vantait les chantiers extrême-orientaux. Cette fois on y est, les gratte-ciel vraiment grattent le ciel... à qui mieux mieux la gratte, à croire que les hommes cherchent des poux aux nuages. La nature se prend des liftings.
Le sujet suivant abordait une catastrophe humanitaire à l’ébauche. Quelque part sur le Continent noir la guerre civile faisait rage. Conflit subitement réveillé suite à de louches élections ; on dénombrait environ 2000 morts chez les rebelles animistes chrétiens et plus de 700 dans les rangs de la milice présidentielle islamiste. Heureusement la journaliste garde le sourire. Il y a de quoi. La France éplorée, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, use de son droit de " veto " et ne manque pas de vivement condamner les " velléités d’ingérence " du président américain. On chuchote sur les fora initiés du Web que le géant américain du pétrole, ExxonMobil, chercherait à supplanter son homologue français Total. Trois jours plus tard intervention de l’Égypte à l’Assemblée Générale de l’ONU qui ne boude pas son plaisir : chaleureux applaudissements et, à la sortie, accolades nombreuses entre dirigeants du Tiers-Monde, Ligue arabe au grand complet et représentants d’ONG altermondialistes, tandis que la Chine, imperturbable, poursuit tranquillement son commerce équitable en respect de la diversité des matières premières. La Russie appelle à la raison et au calme. Sur les plateaux de télé parisiens des philosophes engagés, des militants associatifs et des médecins sans frontière se chamaillent à propos du bourbier et de sa sémantique. Génocide ou pas génocide ? L’historique de la région est succinctement retracé. Razzias, massacres, esclavage, viols et autres joyeusetés émaillent depuis des décennies, des siècles et à vrai dire depuis que l’Afrique existe, le quotidien des locaux. Les enragés du Bien dans le monde, confrontés à l’indescriptible horreur, bouches bées, œil humide, se font peu entendre. La caméra se promène dans le publique, insiste sur quelque figure féminine affligée, évitant soigneusement sa contrepartie masculine généralement indolente. C’est horrible. C’est toujours la même chose. C’est trop triste. Le micro passe de main en main parmi le public. " La paix dans le monde est-elle possible ? " Les experts tergiversent. L’un d’entre eux, révolté, résume la situation globale à trois lettres : USA. Le jour où on fera tomber l’Empire du mal une impérieuse paix recouvrira le monde. D’ailleurs TV5MONDE annonce que Tsahal (cette officine de la CIA) a encore frappé. Sept morts trois civils deux enfants. Le membre du Hamas visé a semble-t-il échappé à l’attaque. La Communauté internationale condamne fermement cet acte déplorable. Toujours les mêmes ! vous dis-je. Les pacifistes n’avouent pas tous, mais chacun d’entre eux pense à l’axe américano-sioniste. Pour ma part, si la notion de " Communauté internationale " m’échappe, en revanche j’en connais une de résistante à l’Empire qui en a pour son argent. Cousine Charlotte ! Charlotte m’avait bien dit que la roue a tourné. À présent les rescapés d’Auschwitz pogroms et consort sont passés de l’autre côté de la cheminée, si j’ose dire. BAM BAM BAM ! ! ! Les Nazisionistes alignent les nouveaux Juifs, à présent musulmans, comme des pigeons. Malheur aux prospères ! Les soupçons alors s’intensifient. Prenez plutôt des Palestiniens... si délabrés... ils contrastent, et comment ! Le vent a changé, les cendres de l’Holocauste virevoltent ailleurs. L’imperceptible inversion... Hamas et Hezbollah constituent un partenaire autrement plus crédible, les associations de défense des droits de l’homme ne démordent plus. Tous les critères sont rencontrés. Pauvreté, exotisme, détermination. Qui saurait encore pleurer un Lévy ?... Bierbaum ?... Goldmeyer ? Est-ce une blague ? Pareils fats, opulents, puissants... et si peu coopératifs, toujours entre eux. Ces hommes sont inéligibles à l’humanité. Il ne se trouve pas sur terre plus parfait salaud. En plus si ils se mettent à taper à côté...
En gros, c’est ce que nous enseignait le système médiatique français. Mais il n’opérait pas tout seul, Al-Jezira défendait un point de vue assez similaire, légèrement partisan certes, mais assez lucide, à la française.
Tout cela commençait à sérieusement me taper sur les nerfs. Je me sentais de plus en plus juif. Par esprit de résistance. Ce peuple admirable avait tout traversé. Exodes, discriminations, Génocide, et finalement la haine d’un milliard de fous furieux... RESPECT. Inutile de goûter au reste de l’actualité, la France n’est que le sommet de l’iceberg européen, nos valeurs n’en finissent plus de couler et comble de l’ironie, la moitié des Juifs intellos, tous plus gauchistes l’un que l’autre, y participe, sapant chaque fois que possible le moral des troupes et, ce faisant, creusant leur propre tombe à venir très bientôt : lorsque – enfin ! – cet ignoble Occident se sera désoccidentalisé une bonne fois pour toute. D’ici là nos amis éclairés inlassablement désossent le vulgaire bout de viande avarié, sans se laisser décourager le moins du monde par les multiples démentis de la réalité, connaissant qu’un jour régnera la joie du multiculturalisme, du multiethnicisme, bref la joie du multiracisme.
Amusez-vous tant qu’il est encore temps ! Ce cadavre sur lequel vous dansez sera le vôtre ! Juif de gauche ! : ta gorge sera la première à goûter du cimeterre.
Mais il existe un autre archétype de Juif. Le " Juif de droite " qui, à l’instar de tout Juif qui se respecte, se présente sioniste en Israël ET exige en dehors d’Israël que soit respecté, protégé et chéri l’Occident millénaire SELON sa spécificité nationale séculaire, avec tout ce que cela suppose de réalité historique et ethnique. Contrairement à Juif de gauche qui professe aux autres ce qu’il ne s’appliquera JAMAIS à lui-même, ce Juif-là que j’ai baptisé " de droite " mais serais avisé d’appeler par son vrai nom : Juif d’avenir – seul Juif possédant un avenir – ce Juif-là dérange.
Évidemment qu’il dérange ! c’est le seul Juif qui a un avenir ! Ce n’est pas, on s’en doute, pour plaire à tout le monde... Quant aux autres Juifs, de " gauche " ou de tout ce que vous voulez, tout ce ramassis de fesses molles au cerveau corrompu n’agacent à la vérité jamais qu’en superficie, car tout antisémite un tant soit peu visionnaire sait que leurs actions dégoûtantes les placent en première ligne de leur propre fourberie (pour les uns : Juifs de gauche de façade), et de leur propre bêtise (pour l’écrasante majorité des autres : Juifs de gauche idiots utiles). Mais LUI, Juif intègre et authentique, lui pose VRAIMENT problème à tous les épris d’universel total, tous ces amoureux fous aveugles de l’humanité avec un grand H comme dans Haine de l’autre, Haine du discordant, Haine du résistant, bref Haine du spécifique. LUI, ce Juif des origines, des racines et de la mémoire souvenue et assumée, LUI c’est le BIG problème. Y a comme un malaise. Or nous vivons le règne du no malaise. Il incombe de résoudre l’inadmissible problème. Chaque représentant de la paix dans l’univers exige une Solution... à laquelle apposer son point Final. " C’est si simple, me confiait Charlotte encore hier, il suffirait qu’on vive tous ensemble. Ce sont ces putains de murs qui foutent la merde. "
Ma cousine a bigrement raison. Petite futée va... Suite à quoi les dictatures arabes tomberont l’une après l’autre. N’est-ce pas ?
Je renonçai à m’informer.
La sage initiative tombait à point nommé car maman interpellait.
" On bouffe !
– J’arrive. "
Je descendis la bectance en deux minutes montre en main et pris congé de table, empochant au préalable un multivitamines sans sucre ajouté. J’installai le portable sur mes genoux et mes fesses sur le fauteuil club. Le curseur patientait mes instructions.
Pas de geste brusque, songeur, j’attendis l’inspiration. L’écriture est un acte d’isolement. À moins que l’isolement soit un acte d’écriture.
Loin des hommes loin des morts.
On passe sa vie à refouler mais un jour ça remontera et on sera tout seul ce jour-là. Le libre penseur finira libre et seul. Parfois je me demande dans quelle mesure il est encore possible de me proclamer représentant de celui que j’ai été. Une rupture a éventré mon identité, je suis un autre, une altérité. Ce constat rend comme un goût schizophrène à l’histoire de mon existence. Mon existence... J’encode "existence" dans la fenêtre de recherche Google. L’encyclopédie libre Wikipédia se hisse seconde d’un instantané recensement de 300 millions de pages. J’appelle le lien hypertexte ; de fil en aiguille me voilà à potasser l’Existentialisme. Il faut savoir que mon premier contact avec l’illustre philosophe germanopratin se nomma La nausée. Par hasard dois-je dire : une antique édition héritée d’un oncle à mon père, le tout fourré dans une grosse caisse crasseuse. Outre la pile de Playboy avait émergé l’ouvrage racorni. Je ne fus pas déçu. Quel esprit d’analyse ! Playboy, une valeur sûre. Sur ma lancée j’avais alors tenté le Sartre pour voir. On ne sait jamais... après tout, soyons ouvert. Arrivée page 40... dans un premier temps. Un peu guindé, non ? Mais on se remotive malgré tout, parce que tout de même, au nom de la réputation ! Reprenons depuis le début.
Six mois plus tard... page 13. Je résolus d’en rester là. La philosophie ? Pas mal le trip, mais si c’est pour consacrer sa vie entière à gratter des choses douteuses à l’attention de lecteurs non moins douteux, autant passer directement au roman, ça évite de barber tout le monde et d’attirer les vicieux.
J’observai à nouveau ce qui se tramait derrière ma fenêtre. Le bleu avait conquis le ciel, seule une trace blanchâtre subsistait, qui découpait le bleu avec rectitude. Un avion. La journée s’annonçait magnifique. Il était hors de question que je sortisse. Il suffisait d’une infime variation de luminosité pour que trente-six mille sourires en débardeur déboulassent de partout. L’ignoble épandage... C’est alors que je reçus un appel en ligne anonyme que ma curiosité me poussa à accepter. Je pris la précaution de limiter l’échange au mode phonétique.
" Billy ? Je suis bien chez Billy ? "
Cette voix désagréablement familière... Je cherchais à lui mettre un visage. Je l’avais sur le bout de la langue !
" Billy ! Quelles nouvelles ? Tu te caches ou quoi !
– Vivons heureux vivons cachés. "
Je faisais le malin sans pour autant élucider le personnage mystère. Un violent rire éclata à l’autre bout du fil.
" T’as pas changé Billy. L’intact sens de l’humour !
– On fait ce qu’on peut.
– Quoi de neuf sinon ?
– Je pense. " Silence. " Oui c’est ça. Je pense. " Un silence embarrassant vite terrassé.
" Billy, j’ai un super coup ! En Chine mec, une affaire du tonnerre... Mon vieux ! t’en reviendras JAMAIS. "
Les gens et leurs histoires, en effet, je n’en désirais plus revenir. Mais Paul Clémors collait comme une mouche à merde. Une incontestable mouche à merde. Persistante, opiniâtre, une mouche à projets. Il souffrait d’une sinusite ; sinon j’aurais reconnu ce salopard depuis longtemps.
" Le zinc mon pote, le zinc !
– Le zinc ?
– Le cuivre aussi !
– Le cuivre ?
– L’aluminium ! Et le nickel ! On sert d’intermédiaire... point barre. "
C’est vrai me dis-je, le cours en bourse explose à plus savoir.
" Alors vieux briscard, dit-il, c’est tout ? rien se passe dans le caleçon ? "
Il devait se dire que j’étais bien rouillé. Je cherchai un mensonge de circonstance pour me dépêtrer.
" Tu sais, dis-je, j’ai un tas de plans. "
Mensonge bien trop vague. Billy... Tu crois que Clémors va comprendre qu’il s’agit d’une fin de non-recevoir ? Laisse-moi rire.
Je me rendais compte après coup. C’est-à-dire une phrase trop tard. Une phrase de trop. La mienne qui plus est. J’avais créé le boulet qui servirait à m’enchaîner le pied.
" Tu sais comment, Paul. Les plans ça accapare tout le jus. C’est fou ! même la nuit j’en rêve... "
Raté. Une fois de plus j’avais raté le coche. J’avais regretté cette énième tentative avant même de la finir. Je sonnais creux. Les humiliantes explications... On finit par ressembler à rien. Ce n’est pas grave ! Monsieur Clémors ne se démoralise pas si facilement ; j’aurais dû le prévoir. Le seul bon mensonge est le mensonge définitif. Un mauvais mensonge crée des appels d’air.
" Tu m’étonnes ! s’exclama Paul, lâche le morceau ! Tes plans : je suis preneur.
– Paul, Paul, Paul... Mais mon cher Paul, les projets ça ne se raconte pas. C’est les victoires qu’on célèbre. "
J’étais inspiré. Malheureusement lui aussi.
" Ha ! fit-il, ha ha ! je te reconnais bien là. "
Il allait repartir. Je finis par arrêter ma pensée.
" Tu es bien le seul.
– Oh ! J’allais oublier Billy... ça m’est complètement sorti de la tête. Priyanka m’attend pour dîner et... "
Cette fois le message était parvenu à destination. Son heureux destinataire cherchait donc une excuse.
" ...ses parents ont débarqué de New Delhi hier soir. Je t’avais dit pour ma nouvelle ? A-d-o-r-a-b-l-e.
– Eh bien, Paul, c’est chose faite. "
Si après ça il n’était pas refroidi...
J’avais réussi. L’ambiance pesait ; de part et d’autre. Paul liquida l’affaire.
" On se reparlera Billy. Je te maile courant de semaine. Bonne chance ! "
Parfois je souhaiterais non pas la mort de tous ceux qui concoururent à cette sinistre farce mais bien leur néant pur et simple. C’est fou comme l’existence bascule, un rien et on n’en revient plus. Un jour on se met à penser et le lendemain on est condamné. Tous ces gens qui pensent ces choses sur nous, ces dossiers dans leurs mémoires, les monstres, ils nous déforment ignoblement. Chaque rencontre mutile. On ne sort jamais indemne de l’autre.
Les souvenirs se mirent à repasser, et repasser...

Ecrit par Jokeromega, à 08:22 dans la rubrique "1.La farce des abîmés".
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Vendredi (20/07/07)
Ton parapluie et ton bunker

--> épisode 2 (nouvelle mouture)

" Dites monsieur Destouches, quelles sont, selon vous, les qualités essentielles qui fondent un écrivain ?
– Oh ma p’tite dame, ça... On est taré, vous comprenez, on est taré. Voyez-vous, si on avait su jouir comme tout le monde, on aurait fait notaire, avocat, professeur... homme d’affaires ! Mais non, on a la tare, on ne sait pas jouir. Alors on l’écrit. "
J’aimais à fouiller la toile, y dénicher la pépite, la cinématique d’avant réseau, dûment numérisée. Le réseau archivait le passé et préparait minutieusement le souvenir de chacune de nos existences. Octet après octet. Blogs après blogs, journaux sur journaux, chroniques, portails, annuaires, messageries, forums, podcasts... Les archéologues de demain, songeai-je, s’équiperont d’un clavier. Aucun doute, l’internaute le plus insignifiant participe en temps réel à la mémoire de l’humanité.
Une brutale intervention chassa ces songeries de mon crâne.
" Hwu !... HWU !... C’est pas possible ! saloHWU!perie d’estomac. "
Francis, pris de hoquet, m’apportait un morceau de réalité. Son morceau de réalité.
" Dis dont m’gamin, qu’est-ce que ti m’fous là ! Hein ? Toudi à scol... "
Mon père s’exprimait en patois quand l’urticaire lui démangeait. Il ignorait que je séchais les cours depuis – grosso modo – cinq ans.
" Ça te mène où tout ça ? "
Excellente question. Justement, ça – ce cursus scolaire – ne menait plus nulle part, dès lors qu’on avait décidé d’élever son âme. Chaque jour autodidacte supplémentaire m’en apportait la preuve. Naturellement, il va de soi que ce genre de subtilités JAMAIS n’atteindraient le cerveau militaire de Francis, immunisé pour toujours contre les sottises philosophiques. À mauvaise fortune bon cœur, j’hasardai quand même une réponse, la voix solennelle :
" Papa, je vais te dire ce que je fous. "
Impressionné par ma pompe, Francis recula de trois pas. J’épelai lentement :
" Je fous que j’ai envie d’exister. "
– Ah ", dit-il. Sa voix lente et profonde... " Exister. C’est pas un peu risqué ? Ah ! C’est l’âge... Plus un mot ! " Il flanqua sa main énorme sur mes fines lèvres. " Ils sont là ! murmura-t-il, ils sont... LÀ!! " répéta-t-il encore plus bas, fébrile, transi, prêt à faire un carnage.
Les (grosses) séquelles de la guerre... Le plus grand tact du monde me serait sans secours. Jamais il n’admettrait souffrir d’hallucinations post-traumatiques.
" Djeu ! rugit-il, silence... " Susurrant. " On s’fait repérer... " Sa lame se glissait sous ma gorge, longue et aiguisée chaque matin sur sa meule ; l’objet coupant, TRÈS coupant, m’invitait trente ans plus tôt dans les grottes de Tora Bora à même pas dix kilomètres de la frontière pakistanaise. Melvin, le black de l’équipe, avait entendu parler d’un fabuleux trésor caché... La joyeuse troupe de gros bras s’était précipitée sur l’hypothétique butin. Ils cherchèrent longtemps... et finirent par trouver la mort ; aucun des mercenaires improvisés chercheur d’or n’était revenu – en un seul morceau c’est-à-dire – de l’expédition, sinon le seul l’unique, l’inusable Francis mon géniteur Godefroy Leskens.
" Compton ! " lançait-il dans son anglais cassé. À chaque rechute " Lossanjelaisse capitale mondiale du gangstérisme " revenait hanter nos dîners à la chandelle (interdiction de se faire repérer). " Trou pourri d’une ville de tarés !! On n’a même pas vendu notre âme au diiiia-a-a-a-ble ", gémissait-il d’une voix frémissante. Il me prenait par la main, m’approchait de lui, je pouvais sentir son haleine alcoolisée. Il déclarait soudain : " On l’a vendue à un stupide singe. "
Melvin avait fumé bien trop de PCP dans son enfance. Ce magnifique abruti chantait à qui voulait l’entendre que mommy foutait du hennessee dans son biberon pour calmer les nerfs de Evil Baby.
" Les Afros ont la langue créative... Bon Dieu ! alors imagine sous l’effet... Cet enfoiré tirait comme une cheminée, mieux qu’un Afghan ! t’aurais dû voir ça mon petit, les gars du coin hallucinaient ; un fou pareil ? jamais vu ! il suçait la pipe à opium comme une actrice po... enfin voilà ! un sacré nègre à la con. "
Si on se fait repérer (dans son rêve), me dis-je, je suis un homme mort. Il me fouillera de sa lame bien réelle.
J’en profitai pour faire mes prières. Maman me rejoignit dans cet effort, tâchant de ne pas trop déranger le forcené ; on se tenait gentiment la paluche sans ciller. Nous voilà enfin réunis tous ensemble, me consolai-je, il ne manque plus qu’une photo de famille pour immortaliser l’instant.
DRIIIIIIING ! ! !... ding.
Quand la sonnette et Francis sursautèrent comme un seul homme, je divisai mon espérance de vie par deux.
L’homme au long couteau aiguisé se figea, tel un prédateur aux aguets. Puis, lentement, éberlué, l’animal se déplaça sur la pointe des pieds, se laissa choir dans son fauteuil et téta un grand coup pour se remettre de ses émotions. Jupiler, la bière des hommes.
Je l’avais échappée belle ; la surprise l’avait sorti de son delirium. Je me précipitai à l’avant du logis, et d’accueillir mon sauveur.
" Togo ! "
Mon visage se lâchait d’un immense sourire de soulagement.
" Salut Billy ! "
Le sourire de Togo s’étendait à son tour.
" Un problème au rasage ? " Togo indiqua la trace rougeâtre. Papa avait, semblait-il, perdu la main. Parkinson se déclare ? Décidément un très mauvais coup de dés.
" En forme ?
– On verra Togo. "
Deux heures plus tard nous étions fixés.
" En forme le Billy ! Malgré tout... " Mon partenaire se félicitait. Nous avions traversé la ville à petite foulée, traçant jusqu’au parc. On s’était étirés avant de passer aux choses sérieuses. Barres parallèles, tractions, flexions, sprints sur escaliers. On prenait de la masse et de l’explosivité.
" On se défoule. Pas vrai Togo ? "
Nous arrivions à la dixième série. Les muscles commençaient à brûler. Je flottais sur mon nuage.
" Alors Billy, tu passes à la salle demain ?
– On verra.
– C’est bon, se résigna Togo, j’ai compris. " Avait-il compris ? C’était mieux que non. J’avais soupé de mes semblables. Ils m’avaient gavé. Mais c’était pas une raison pour qu’ils le sachent.
" Allez, fis-je, on bouge. "
On bougea jusqu’à la cité. Au pied de la barre il m’interrogea.
" Je te revois quand ?
– Je l’ignore Togo, je l’ignore. "
Togo me scruta. Quelle foutue mouche t’a piqué ? pouvait se lire sur sa bonne bouille malicieuse. Il se doutait de quelque chose mais ce quelque chose lui échappait. Alors il employait le langage du silence. Un silence qui en disait long. J’y coupai court.
" Togo !... Je t’enverrai un SMS.
– Comme la dernière fois ", se désabusa-t-il, lassé de mes bobards. Il connaissait que je n’étais plus fiable question rendez-vous. Plus fiable du tout. Qu’y ajouter sinon un vilain rictus ?
Togo Matebe, â Togo, Togo... On est les vagues d’une veille marée, cette histoire est l’écume d’autant de tempêtes... déjà s’affaisse. Rappelez-moi de vous parler du colosse d’ébène. Un jour au détour d’un chemin, route faisant nos destins se télescopèrent. Le reste, que d’histoires !
Togo s’était retiré ; l’écran m’hypnotisait.
" Que désires-tu, ma chérie, pour ton Noël ? s’enquérait une mère attentive.
– Des fesses comme J-Lo, rétorqua la fille.
– Et moi ! et moi ! tempêta le petit frère, pas cadeau ? J’étais sage ! "
La mère prit l’enfant sur ses genoux :
" Pas avant tes quatorze ans Ludo, tu es trop jeune.
– C’est dans combien de temps quatorze ans ?
– Dans neufs ans ", l’informa sa grande sœur.
Les sanglots éclatèrent sur-le-champ.
" Je veux un menton comme Achille ! Je veux ! je veux ! je veux !... " Tirant les cheveux de sa mère. " J’étais sage ! sage ! sage ! SAGE ! ! ! J’avais pas laissé dans mon assiette... tous mes Big Mac – mangé ! Tu avais promis... "
Dix minutes plus tard – trois mois dans le reportage – la petite Cendrillon se réveillait sur un nouveau derrière. Son jeune frère accusait une sévère crise de jalousie suivie d’une dépression carabinée ponctuée par une double tentative de suicide. Cependant tout rentrait dans l’ordre grâce aux psychologues spécialement attachés aux candidats de télé réalité. C’est du moins ce que laissait entendre la bande annonce du prochain épisode.
J’ignorai le générique de fin pour échouer, au hasard, sur un programme sportif. Écran fendu en deux, la fiche statistique annonçait la couleur : 20 ans, né en Arizona, 1m95, 200 kg. L’athlète se positionna sous une barre longue de deux bons mètres maintenue sur cage à squat. C’est le moment que choisit le régisseur pour passer en plein écran. De nombreux disques lestaient cette barre. " 12OO pounds !! My god... " s’égosillait le commentateur sportif d’ESPN. Deux coéquipiers assistèrent notre athlète dans sa prise : fardeau sur les épaules, derrière la nuque, retenu de part et d’autre par la paume des mains. Tandis qu’ils s’écartèrent la caméra recadra sur le seul colosse qui lentement descendit fesses aux talons avant de péniblement remonter. Poussant, poussant, poussant... Voilà, ça vient. Hourras et embrassades.
Eurosport France proposait quant à lui l’interview exclusive de Zinedine Zidane.
Zizou, Français d’origine algérienne d’origine kabyle, semble un peu perdu. Les journalistes se félicitent de son calme. " Un exemple pour la jeunesse ", dit l’un, " un modèle de réussite ", dit l’autre. Un troisième pousse un peu le compliment en évoquant un " mythe absolu. " Je baille et laisse mes doigts pianoter à souhait sur la commande.
" Belle, protectrice, écologique. " La voix off ne tarit pas d’éloges. " Audi S8. Pourquoi s’en passer ? "
Je pianote.
" Selon vos désirs. "
Je pianote encore.
" Un produit unique pour une existence unique. "
Je zappe jusqu’à atterrir au beau milieu d’un débat de société. Un jeune homme habité s’empare du micro :
" J’en ai rien à secouer ! Je fais ce que je suis. "
Applaudissements. Je consulte ma montre ; c’est l’heure du JT.
" Selon l’INSEE, annonce le présentateur vedette de TF1, 7 français sur 10 divorcent dans les 5 premières années d’union. "
Je prends peur mais son collègue d’Antenne Deux me rassure.
" Sur dix ruptures un seul couple aura eu le temps, malheureusement, d’enfanter. "
Ce n’est pas nouveau, les Européens veulent passer la main aux Africains. C’est beau l’entraide des peuples.
Je mets la console en veille. Ça me turlupine. J’ai des flashs (et quelques spasmes). " Taré/unique/désir/divorce/enfant/mythe/taré/unique/désir/divorce "... Je crois que je tiens enfin mon histoire. Une histoire à cinq protagonistes. Maxime, son pote Louis ; Emma et sa petite sœur Chloé ainsi que Jade leur meilleure amie.
Mes doigts courent sur le clavier.
Maxime apostropha Louis. " T’es qu’un taré.
– Rien à battre ; je suis unique. "
Louis roulait calmement son pet, Jade lui fit signe qu’elle désirait goûter en premier. C’est donc elle qui alluma le cône.
" Sacré bob ", conclut-elle en expirant d’extase le poison. Maxime n’avait quant à lui pas quitté son narguilé. Emma, blottie contre son sein, pipait sporadiquement.
" Je voudrais une chiée de gosses ", susurra-t-elle à l’oreille de Maxime. Mais Chloé, 12 ans, avait la fine ouïe. Aussi Chloé s’indigna.
" T’as pété un câble !
– Complètement jetée ", que Jade paraphrasa. Jade était donc du même avis que Chloé. Même Louis alla dans leur sens.
" Vous inquiétez pas les gars, Emma a juste le feu au cul. "
Cette révélation confirma les craintes d’Emma – à présent sur la défensive. Faisant fi du bourdonnement des rires, elle perdit la notion du temps et des sons ; elle ne s’aperçut pas que Jade l’adressait.
" Ouais poulette, disait Jade, pourquoi tu lances des horreurs pareilles ?
– Laisse pisser, tranquillisa Maxime.
– Ouais, ajouta Chloé, puis chier des mômes c’est pas plus con qu’autre chose. "
Emma, attristée, n’avait rien écouté, absorbée dans ses propres chimères, elle qui désirait tant baiser avec Maxime. Depuis son gâteau à quatorze bougies la semaine dernière y avait eu comme un déclic ; elle se sentait libérée. D’ailleurs elle prenait la pilule sans faute. Mais un bébé, tout de même, elle s’imaginait bien. Que c’est grave ringard elle en avait rien à secouer. " Je suis unique ", se jurait-elle en son for intérieur.
" Nos parents ont brisé hier soir, déclara Chloé tout de go, ça faisait dix-huit ans.
– La vache !
– Purée !... Tout ce temps ? Ils ont dû méchamment se les geler.
– Tu parles ! s’esclaffa Chloé, j’avais mal aux boules. Mais là trop cool, maman va se remettre avec un Valentin.
– Tu veux dire... " Jade était stupéfaite. " Un vrai de vrai ? Un Valentin avec la pompe et le carburateur ?
– Carrément... confirma la sœur de Chloé. "
Chloé en profita pour avouer qu’elle avait toujours secrètement rêvé d’être " une fille à son papa " mais Jade n’était pas du même avis.
" Un père, pourquoi pas, mais pour quoi faire ? A part des gros renvois tu ne rates rien. Crois-en mon expérience.
– Laquelle s’entiche avec un ceum ? demanda Louis.
– Ben tu sais, répondit Chloé, forcé que ce soit maman Brigitte. Maman Pauline nous a toujours certifié qu’elle est pour toujours notre papa. C’est pas demain la veille qu’elle fricotera avec un bonhomme.
– Tu m’y fais penser ! La Pauline devait pas passer sur le billard ?
– C’est pas remboursé... Je t’avais dit pourtant. T’as oublié ou quoi ? "
Louis présenta ses plates excuses, il avait " trop la tête dans le cake ". Le bédo déchirait. Tout le monde, d’ailleurs, planait pas mal, même carrément à l’ouest.
" Ça t’envoie sur Krypton !
– Dis plutôt que ça vient du Maroc... "
Maxime se félicitait du savoir-faire marocain.
" Le Maroc... reprit Emma, ce serait des vacances ça.
– Au lieu de se faire super chier avec ses vieux en Egypte. "
Nos cinq jeunes gens partirent en vrille de rires indomptés.
" Ouais, fit Maxime, on le vaut bien. "
Fin du script. Mes doigts se reposèrent délicatement sur le clavier sans plus enfoncer aucune touche.
Tandis que je relisais silencieusement ce premier jet une voix au-dehors interrompit mes corrections.
" Nique sa mère aux chtars ! "
Plusieurs cris remontaient, entremêlés, du contrebas.
" Les pompiers avec ! – Et la sœur à Majid ! "
Sur cette dernière grivoiserie un chœur de ricanements fit entendre son allégresse.
Un double constat s’imposait. Primo, nous étions mal insonorisés. Secundo, l’immigration n’était pas sans présenter quelque risque. Le civisme souffrait...
Je mâchouillai une sucette sans sucre, songeant avec un pincement au cœur au Saint Empire Romain, son éclatement et la formation de grandes et belles nations. Mais franchement !... fulminai-je en moi-même, l’Européen ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Ça lui apprendra à élever l’Individu au-dessus de tout en dépit du bon sens. Bon, élever, c’est pas mal – faut-il encore savoir au-dessus de quoi ! Les élites nouveau cru ont estimé de leur noble devoir d’élever leur vil peuple au-dessus de lui-même, tellement au-dessus de lui-même qu’il fallait que l’ignoble créature sortît d’elle-même, qu’elle se fût extraite d’elle-même, de sa fange raciste, antisémite, intolérante, égoïste, méfiante, xénophobe et cætera. Résultat des courses, non seulement nos " élites " ont abaissé le peuple, faisant de lui un bébé sans goût, assisté et pleurnichard, mais elles-mêmes se sont vautrées plus bas que terre, devenant des mères poules castratrices, tantôt hystériques tantôt cyniques désabusées.
La sucette n’était pas terrible mais, anxieux, je la tournais et retournais sous ma langue. Bon Dieu ! songeai-je, c’est ce qui arrive quand on prend ses rêves pour des réalités et qu’on ordonne aux autres de faire le même rêve.
" Aucun goût cette sucette ! Pouah... "
Je balançai la camelote dans ma corbeille à papiers.
La bouche vacante, ma méditation cherchait à se mettre quelque chose sous la dent.
Comment ! comment ! interpellai-je mon attention... Comment intégrer dix millions d’âmes égarées lorsqu’on a désintégré deux mille ans de civilisation ? Alors assimiler... – n’y pense même pas ! De ce mouvement egocratique à l’œuvre, les faibles ne peuvent que mal finir. En prison ou au loft. Chacun accouche de lui-même par lui-même. Comme si l’inculture effectuait une boucle sur elle-même. Chaque jour des associations de crétins en tout genre militent avec acharnement au nom de la diversité et des acquis sociaux. Je me demande ce que nos progressistes de choc vont bien pouvoir nous diversifier avec tous ces clones engendrés par leurs soins. " Nous sommes tous égaux ! " Très bien, montrez-moi donc, ma curiosité s’aiguise, comment s’y prendre pour diversifier l’identique de l’identique. J’attends ! Bon joueur, je vous laisse le bénéfice du doute ; vous, alchimistes de l’humanité, avez peut-être trouvé une recette miracle... Prudence ! Une recette progressiste qui échappe à mon petit esprit perclus de vieilles tambouilles. Ou mieux ! Peut-être même vous trouvez-vous aux abois, peut-être même enragez-vous car votre gros pif subodore malgré tout qu’il s’agit de la fin de race. Votre fin de race.
Vous l’aurez pas volé celle-là !
Peut-être... mais consolation amère. Le champ de bataille s’est mondialisé. Cette guerre de libération amorale n’épargnera personne. Ses retombées ne feront pas de discriminations... C’est le genre de libération où t’apportes ton parapluie et ton bunker.
" Ti vas la fermer ! Karba !... "
Schlah !...
" Ta gueule ji dis ! "
Schlah schlah.
" Ti sauras li respect maintinant. Ti sors pas sans mon accord. "
Plus un gémissement ne se fit entendre. J’en déduisis que la liberté se frottait les tectoniques, notamment chez mon voisin du dessus, toujours avisé en matière matrimoniale.
Schlah !
Il en avait remis une au cas où. Il faut dire que sa femme, récemment convertie, lui donnait du fil à retordre à cause de ses mauvais penchants de " prostituée occidentale ".
" Di toute façon ji vais faire vénir mon pétit frér du bled, Aziz le bien-aimé, y va té surveiller quand ji sérai pas là. "
Pchssst...
Je décapsulai une canette de Coca-Cola (light). Breuvage typiquement yankee, me félicitai-je intérieurement, de ces lèvres frémissantes je bois à la santé des cultures – je tendis au ciel (mon plafond) le cylindre noir et rouge – de toutes les cultures ! Santé ! Santé ! Santé ! ! !
La libération, me dis-je en sirotant calmement, la libération...
Ça laissait songeur à plein temps.
Soudain, une énorme chatte pointa son minou à la fenêtre. Sans rigoler ! Je n’y étais pour rien. L’animal s’était invité sans crier gare sur mon 37 pouces Full HD. Autant dire que chaque poil avait de la gueule. Un animal de pedigree, bien soyeuse... Mais j’étais pas à ça maintenant et fis appel – en vain – à la fonction de fermeture de la fenêtre. Chaque fermeture s’accompagnait de deux fenêtres intruses supplémentaires.
Je m’acharnai une bonne demi-minute. L’écran se quadrillait de parasites – Poker en ligne – paris sportifs – voyages gratuits – gadgets érotiques – ad libitum jusqu’au fatidique " critical error. System Alert popup ! Error data. "
L’écran vira au bleu, pleinement le bleu, obstinément le bleu. Les commandes ne répondaient plus. La technologie n’était décidément pas mon amie.
Cette fois c’était assez. Je pris mes cliques et mes claques, fuyant la jungle du cyberespace, pour descendre jouer une part de balle.
Chouette sport que le football. Tout le monde s’amusait gaiement jusqu’à ce que l’attaquant de mon équipe trébuchât dans la zone de réparation.
" Penalty ! hurlèrent les miens.
– Va te faire foutre ! " répondit l’auteur de la faute, leur " capitaine ", c’est-à-dire leur meneur, leur tête brûlée (ou le casse-couilles de service si vous préférez). Notre attaquant se releva entre ses jambes et le toisa méchamment. L’autre le dévisagea avec haine et colla son front contre le sien.
" T’as un problème ? "
Sincèrement, le penalty n’était pas évident, mais bon, nous avions clairement un problème... Le ton monta, les coéquipiers de part et d’autre rappliquèrent, bref, la bousculade s’intensifia. Un des spectateurs voulut intervenir, calmer les esprits, trancher la question :
" Je crois qu’il a raison... "
Au début sa voix fluette passa inaperçue.
" Je crois qu’il a raison. Y a penalty ! " ajouta-t-il en poussant sa voix au maximum.
La mêlée s’immobilisa et tous les regards se jetèrent avidement sur l’arbitre improvisé.
Un petit jeune, fluet, tout pâle, avec une voix de gonzesse. Définitivement pas le profil idéal pour apporter son grain de sel à ce genre d’affaires épineuses... Sa mère, la quarantaine, avait atterri en logement social suite à son récent divorce. Dieu soit loué ! ils ne dormiraient pas sous les ponts. Malheureusement un problème en cache souvent un autre : son rejeton n’était pas adapté au climat méditerranéen.
Comme les yeux de l’équipe adverse le fichaient durement le petit mec leur envoya un sourire de bienvenue.
" Putain ! s’écria le casse-couilles, vous avez vu ça la gueule de salope ? "
Sachant le genre de dénouement, chacun dégaina son outil numérique afin d’immortaliser la scène. Casse-couilles s’empara de la balle qu’il dégagea de toutes ses forces en direction du jeune mec pâle.
BINGO ! ! ! En pleine poire, il savait viser, et fort... Des grosses jambes poilues de footballeur.
" Et maintenant, y a penalty ? " interrogea Casse-couilles, aidant le jeune mec pâle à se relever, le saisissant par le col de sa chemise. Effrayé, saignant du nez, l’autre balbutia :
" J-je suis pas sûr...
– Cômment... Té pas sûr ? " reprit l’autre d’une voix menaçante, sourde et méprisante. Il lui tapota la joue, des larmes y coulaient petit à petit.
" Réfléchis bien... Y a penalty ou Y A PAS ? "
Il suffisait de lâcher ce que Casse-couilles avait envie d’entendre mais Jeune-mec-pâle, traumatisé, avait perdu sa langue. Casse-couilles approcha son oreille de sa bouche et déclara aussitôt :
" Y a pas penalty ! Il a dit ! Y a pas penalty !!!
– Tu te fous de notre gueule ? s’agaça Dany Mabiala, notre gardien de but du moment, tu vois bien que tu lui fais peur. Puis d’abord j’ai rien entendu moi. " Dany arracha la victime à son agresseur et dit : " Alors, y a penalty ou pas ? "
Les jambes de l’autre flageolèrent.
" Je plaisante petit, je plaisante... avoua Dany, panique pas, je crois qu’on n’a plus besoin de tes services. Tu peux t’en aller.
– Alors, qu’est-ce que t’attends ?! " s’écria un petit sorti de la foule. Impatient, il mit un coup de godasse au derche de cet empoté qui tardait à plier bagages.
Il se fit pourtant que le malheureux empoté ne put accepter qu’un gamin le traitât ainsi. L’empoté leva la main sur le gamin.
" T’es fou ! proféra le gamin, mon frère va te buter !!! Lâche-moi sale pédé... "
Un grand frère (un autre) intervint et mit deux claques à l’empoté révolté (Jeune mec pâle).
" Bon, dit le grand frère, dégage maintenant. On t’a assez vu. "
L’autre s’exécuta sous les rires et quolibets.
Cette prouesse virile a le potentiel ! me dis-je, pour figurer au top5 des happy beatings.
J’avais assisté à la scène dans son entier sans sourciller. Après toutes ces années il s’en fallait de beaucoup pour m’étonner. L’ambiance générale invitait la dégénérescence. Rien qu’à flâner on pouvait mal finir. Partout des incitations... On attrapait le vice comme on attrape la grippe. Ça ne me touchait même plus. J’étais simplement lassé... et aussi surtout – impuissant.
Je pris la tangente à bord de mon vélo trois vitesses. L’air frais fouettait mon visage contracté mais pédaler réchauffe. La nuit tombait une fois de plus, consolatrice obscurité, pour cacher les figures.
Des pavillons, le chemin serpente, des espaces... puis un manoir, délabré et squatté, des lierres agrippés aux grilles et qui habillent les briques usées. Une architecture en vert. L’écologie avait improvisé. Je me contentais de pédaler le vent sifflant le long des oreilles, les yeux plissés sans s’arrêter au paysage qui défile. C’était entre moi et la nuit. Un tête-à-tête qui te sortait de tes soucis. Tout devenait possible... Krwëh ! Tout devenait possible, comme par exemple un chat noir pas détectable au GPS. Elle débondait abondamment ma pelote de poils, toute douce en plus : une femelle. Elle m’a gentiment léché le doigt. Fort jeune, deux ans pas plus. Tout le jus fuyait, il se perdait dans la gerçure du macadam pour aller nourrir la terre mère. L’animal miaulait à peine. Elle n’aurait pas tenu d’ici le véto et j’aurais facturé comment moi ? Dans l’étang, un artificiel de gens bien équipés... ça c’est réglé. Elle n’a pas eu le temps de souffrir, pas beaucoup.
Les étoiles luisantes, petit à petit la campagne, j’avais mangé les kilomètres ! Les petits secrets allaient se révéler. Un cycliste désœuvré faisait la tournée des mal foutus du pays des hommes, les inutiles et les abattus. Des tas de tôle, caravanes de Rroms, des chiens errants, des criquets qui stridulent, la Lune aux trois quarts.
Une voix sortit de nulle part.
" Hé là toi ! Hé là toi là-bas ! "
Une vilaine voix d’agresseur... J’avais intérêt à feindre la surdité et continuer comme si de rien mais la grosse voix s’entêta.
" Hé garçon ! toi. Oui toi garçon. "
Ne pas, ne surtout pas se retourner.
" Oh ! T’es bouché ou quoi ? "
Mettre le bon coup de pédale et tout de suite.
" Tu nies ? Attends petite pute, je vais te donner. "
Fuir. Et vite. Mais ma bécane ne voulait plus, son dérailleur déraillait. La vengeance du chat ! Je mis pied à terre pour me lancer dans une course à pied, vélo sur le dos. C’était un vélo " à prêter " et le prêteur accusait 150 kilos à la pesée ; le genre de vélo dont on se sépare difficilement...
J’ai beaucoup couru mais je me suis vite fatigué. Alors j’ai largué l’encombrant. Trop tard ! la grosse voix arrivait à ma hauteur.
" Salope ! "
Un poing s’élança en direction de mon visage, accompagné d’un commentaire :
" Ramasse ! "
Sachant que la visibilité nocturne m’échappe (je n’ai pas les yeux de Batman), il ne me restait qu’à plonger dans ses jambes, espérant l’amener au sol. Essai couronné de succès. Le bruit fut sourd et je monte dessus.
Bam Bam Bam !
Maintenant que j’ai tapé ses dents on va pouvoir entamer les pourparlers. Je me renseigne.
" T’en veux encore ?
– ’scuse cousin... Je t’avais pris pour un autre...
– Ta gueule !! Je t’ai posé une question et quand on est poli on répond oui monsieur, non monsieur. Explique-toi COMME un homme. C’est la dernière fois que t’entends le son de ma voix avant de voir des étoiles. Alors : Stop ou encore ?
– Stop !
– À qui tu donnes des ordres ? Salope ! " Bam ! " Et comme ça, c’est mieux ? "
Il faisait dodo. Ils étaient beaux les gens quand ils dormaient ; ça devenait des civilisés. Mais les civilités eurent peu de répit. Déjà une ombre approchait en pressant la foulée.
" Hé Négro ! cria l’ombre en se détournant à l’arrière, hé !... Ho ! Tu m’écoutes ? Chandu ! Ho ! Georges !... Malik !... j’ai retrouvé le refré. "
Chandu, en léger surpoids, traînant le pas, se joignit en dernier à la bande et s’écria de sa voix caverneuse, essoufflée et autoritaire, dans ma direction :
" C’est à mon Nègre que t’as touché ?
– Sa mère ! renchérit son compère, Casper a osé.
– On l’ouvre en deux ! "
Vu l’état d’irritation de leur voix, leur projet me parût digne de confiance. Ils auraient sans doute du mal à s’en tenir littéralement à leur parole – sans les instruments requis, ouvrir en deux est difficile – mais ils ouvriraient du mieux qu’ils pussent, je pouvais compter dessus. C’est pourquoi je trissais dans les bois, une meute de blackos à mes fesses pour en toute logique y planter des pointes. Et les blackos quand il fait noir ça devient des ombres... Comment échapper à des ombres ! Je vous le demande. J’aurais de bonne grâce imploré le pardon... si la moindre chance de pardon existât. Je connais la mentalité des canailles ; la faiblesse ne fait que les exciter. Et merde, me dis-je, depuis quand les Renois traînent à la campagne ? Il n’existait malheureusement qu’une façon d’élucider l’énigme. Un peu trop douloureuse à mon goût.
" Babtou... murmurait la forêt dans mon dos. Babtou... Babtou... "
Ils battaient le rappel.
" Babtou ! On va te scier. "
Ils possédaient le langage urbain. Sans doute des banlieusards en quête d’une paysanne. C’était la seule explication plausible.
" Babtou... babtou... "
Ils y mettaient le cœur dans le timbre, on sentait la joie spontanée, je serais servi sans faute.
Les bois descendaient profondément et en s’enfonçant on sentait la présence des animaux. Des sauvages à l’ancienne, qui n’ont pas vu beaucoup d’humains. Et qui n’en verraient pas beaucoup plus ; les bruits de la nuit avaient découragé mes poursuivants. C’était seul ici ; encaissé et tout foncé, avec juste un peu d’évanescence de Lune crachée sur les feuillages, mais un peu comme ça, pour donner du relief à des drôles de formes, des humaines et d’autres inquiétantes. En fait, on savait pas lesquelles fallait le plus redouter. On savait seulement qu’on était mieux avant. On regrettait les stress du passé. En principe j’étais dedans. Mais il y eut ce petit quelque chose dans l’air, comme... comme une odeur de saucisse fumée ! Au flair, au flair ! C’est au flair que j’y suis retourné à la société. Au flair...
L’odeur s’accentua, et je vis. Un grand bal délirait. Les trouble-fête étaient, comme à l’accoutumée, de la partie, attirés eux aussi par l’odeur, la fine, la subtile, celle de la femelle, fille facile si possible, sinon passage en force... N’est-ce pas ? Une blonde ! Les salauds... Informé des risques, je me faufile aussi discrètement que James Bond ; je connais ce genre de parage, on sait jamais ces choses-là, ça tombe dessus sans prévenir.
Et de fait.
" Gadji !... Viens un peu. "
Une voix rauque de grizzli. Ce sont les Gens du voyage qui invoquent la gadji.
Vraiment tous de la partie ! Tout le monde veut son morceau de poulette... Mes yeux détaillent un panorama de la situation. Des Romanichels en veux-tu en voilà... eux aussi savent comment avec les cailles... tout en moustache ! Le contexte blindé de peaux mates... le sale contexte... ça pue le coupe-gorge.
" Hé ! Garçon... Toi ! la poule mouillée... "
La même voix rauque de grizzli. C’était donc bien moi qu’elle avait précédemment visé, me traitant par la même occasion de gadji, c’est-à-dire de nana, et à présent de poule mouillée. J’imaginais la suite sans difficulté... Seigneur ! Pas deux fois le même jour, tout de même.
" Toi. Face de craie ! Avec les Adidas à l’ancienne. "
Attends, des Adidas, ça ne veut rien dire, ma mère avec en Adidas !
" T’es dur de la feuille ? Hé ! Petit, où tu te barres comme ça ?
– M-moi ?... " me sortit de la bouche. Ça m’avait échappé. Pourtant je n’étais pas sans savoir que l’hésitation signe ton arrêt de mort. Pour survivre, faut que l’autre pense qu’il te survivra pas.
Je me ressaisis.
" Nan... fis-je nonchalamment, rien de spécial. Je traîne... Et toi gitan, qui tu pistes comme ça ? Tu veux un coup de main peut-être ? "
J’agitai mon coup de main, ses cinq phalanges repliées, sourire délié d’une commissure à l’autre. Un sourire de cinglé.
Le gitan ricana.
" Hé hé oh !... Fais pas le fâché. On est en démocratie, non ?
– La démocratie ? soupirai-je, c’est à la tête du client. "
Sur ces bonnes paroles, il m’inspecta le portrait sérieusement. Ses yeux me faisaient un gros plan. Pour ma part, j’étais disposé à lui faire une grosse tête. Apparemment, des deux je fus le plus convaincant. Le gitan renonça, un petit sourire en coin qui signifiait " tu perds rien pour attendre ".
C’est alors que des bruits pas anodins parvinrent à mes oreilles. Je me dirigeai vers la source sonore... Au fur et à mesure que j’approchais ça grondait... Et je vis.
À peine dissimulés, tous les vieux du coin, à mon instar, mataient. Deux jeunes tourtereaux l’un dans l’autre, complètement enchâssés. Gros noir sur brindille blanche. La seigneurie du quatrième âge, chacun derrière son taudis, reluquait entre les stores sinon par la porte entrouverte, une main sur chaque béquille si vous voyez ce que je veux dire. Ils avaient intérêt à rien rater. C’était leur amour de l’année. Ils n’y auraient plus droit. C’est ainsi, sortis du domaine de la lutte. Avec les yeux dorénavant... et le beau gosse y allait franco de porc avec sa blonde à califourchon ; elle s’agrippait comme à un trésor.
" Ah ! Ouuui ! Vas-y trésor, encore, plus fort, oui, ah ! hi ! Vas-y Malik ! "
Malik de tout à l’heure ! Les petits vieux lorgnaient à s’en tomber le dentier... fallait voir ça.
La blonde subitement repoussa l’assaillant. " C’est tout ? " fit-elle ingénue. Elle le snobait, puis écarta à nouveau, méchamment ostentatoire, les antiques faillirent tomber le binocle ce coup-ci. Y en a même un qu’a tombé tout court. Une belle mort, titra la presse régionale. Tout le patelin attesta. L’athlète retourna au charbon trois fois plus fort. Espérait-il une médaille ? On peut le croire.
Pendant ce temps j’observais les observants. Des isolés, esseulés, moribonds tout ça, des gens quoi, qu’avaient vécu, juste ça en trop. Le social s’était échoué à leur porte, ça avait été presque... pas loin... non pas loin ! Des abandonnés abonnés, des fins de parcours prolongeantes. L’époque allait rugueuse... le droit de chômage à court de souffle... les soupes populaires s’intensifiaient, l’assistanat se réduisait (tant mieux !), converti mendicité (tant pis !). Les âmes en ruine... heureusement subsistait plus que jamais le porno. On les gavera, une dernière fois le vidange... La névrose suintait par là. Carnaval d’onanismes. En couple tiens ! Même les couples... La plupart ne communiquaient qu’au moment des quatre rageuses vérités. Entre ils meublaient. À coups de garniture, des " Je t’aime " et des ballades en auto.

Ecrit par Jokeromega, à 18:09 dans la rubrique "1.La farce des abîmés".
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Mercredi (27/06/07)
Ma cousine aimait faire du cheval de Troie

--> épisode 1, ver.2

Je m’en souviens comme si c’était hier. Je revois. C’est intact. Aucun détail ne m’échappe.
Les murs se dressent et les tentures s’étirent. Un cube. Un cube sombre. Certains le nomment une chambre.
Je tourne la clef et pose mes fesses en face du moniteur.
Je veux m’évader. Par conséquent je m’enferme. Une chambre close vous ouvre l’espace intime. Les idées viennent pleurer au pied du lit. " Venez, venez ! Venez mes petites. " Je suis leur asile. Attention ! Faut en pendre soin ; elles se perdent en cours de route... Parfois je sors d’un rêve agité pour me jeter à quatre pattes et chercher " mes petites " en pleine nuit. Soudain, je prends peur ! Si jamais on venait à me surprendre... On a interné pour moins que ça.
Je me redresse hors d’haleine de manière à clamer mon innocence. (" Je suis innocent ! ") Est-ce ma faute si mes petites sortent des sentiers battus ?
Trop tard, je suis grillé ; j’ai passé le Rubicond.
Morale de l’histoire : quand on cherche ses idées, ne jamais être surpris en train de surprendre. Les spectateurs sont peu disposés à recevoir ; ils préfèrent ouïr leur propre écho. Il y a un mot pour ça, c’est même moi qui l’ai inventé : autophonie. Mes frères humains sont des autophones. Voilà. Si j’habite un cube, le reste du monde – à ma connaissance – croupit dans une cuve. La cuve aux ego. Les aboiements s’y réfléchissent de paroi en paroi. Pour chaque ego des échos par milliers. Ça prend une de ces ampleurs... Seul un sourd s’y retrouve (et encore). N’ayez crainte ! On vous assourdira... En fait, je crois que c’est fait exprès, je crois même qu’il s’agit d’un coup monté. L’homme, surtout l’homme moderne, aime s’entendre parler (je suis bien placé pour le savoir). Il est vrai que c’est toujours une révélation de s’entendre dire. Y a comme une résonance. Cependant je ne suis pas là pour pérorer la sociologie des vanités. Je m’apprête bien plutôt à délivrer une histoire pas comme les autres. À tel point pas comme les autres que moi aussi je suis passé par là : la vie.
La vie. Je désespérais de me confondre aux autres. J’avais cinq ans. On grandit comme ça, en tâchant de rapetisser vers le plus petit commun dénominateur. Quand t’as cinq ans, un conseil petiot : laisse rien dépasser. Bon d’accord, on aura plus facile de contenir un arbre qu’un humain. Dans les deux cas la seule garantie est d’ailleurs d’abattre. Bref, parfois on change et souvent on n’avait pas le choix. Moi ? J’avoue que ce n’est plus comme avant. Que s’est-il passé alors ?
J’avais une idée, toute petite et doucement violente. Une idée qui promettait des lendemains qui déchantent. Des lendemains toujours remis à demain. Des lendemains hors calendrier. Ça m’était venu le jour où je me suis planté face au miroir. À ce miroir qui avait eut le mauvais goût de me renvoyer mon reflet je déclarai : " Qu’est-ce qui te prend ? T’aurais pu choisir un autre modèle ! " J’observais scrupuleusement l’ensemble. Eh bien no comment. Il fallait écrire. Dernière échéance.
J’ai tout plaqué, études, sport, gens, la vie. Divorce de masse. C’est l’époque. On est sept milliards de fissures.
Un jour, le miroir ne renvoya plus que l’image d’un cadavre. À qui appartenait-il ? Mystère. En tout cas ce cadavre avait pris son temps. Êtres humains laissez-moi vous le dire. Vous êtes coriaces. Chacun dans son coin... comme une momie au ragoût... aux aguets, prête à déverser son malheur sur le plus de monde possible.
En attendant que mon tour vînt je ne laissais pas de mater le monde, sur sa grande scène, au moyen d’un écran 37 pouces haute définition.
" Et maintenant nous accueillons sur notre plateau un artiste mondialement connu ! " annonça en triomphe l’animateur, prenant soin de mettre en évidence les principales qualités de l’invité. " Traduit dans 25 langues, best-seller au Japon, coqueluche des Allemands, hier encore au Brésil, ami des prestigieux salons new-yorkais, le monde nous l’envie, mesdames et messieurs je vous demande d’applaudir, l’écrivain le célèbre... " Roulement de tambours. " Pascal Lachance ! "
Celui qu’on attendait sort timidement de l’ombre des coulisses. Plan large. Le public se tortille un peu. Applaudissements moyennement fournis. L’homme prend place. Gros plan sur sa figure délicate.
" Alors Pascal, fit l’animateur, votre nouveau roman ? J’annonce d’entrée de jeu que j’en sors bou-le-ver-sé ! " Il regarda Pascal droit dans les yeux de la caméra. La question qui tue allait tomber.
Elle tomba : " C’est bien de vous qu’il s’agit dans ce roman, n’est-ce pas ? ce personnage torturé, ce George Tréplat ! c’est bien vous... Avouez ! "
L’écrivain contint un faible sourire : " Je l’ignore. Mes personnages sont des puzzles imaginaires de pièces réelles. C’est fragmenté... Suis-je le héros de mon invention ? Sans doute un peu.
– 300.000 exemplaires écoulés en moins de six semaines. Quel tour de force !
– Je vous remercie pour votre sollicitation. Vous savez, j’ai été le premier surpris. J’ai encore du mal à réaliser ce qui m’arrive. "
Pascal Lachance sourit à nouveau, posant sur son interlocuteur un regard doux, bienveillant, légèrement candide. L’animateur intima au public d’applaudir à fond. Malgré son habitude des plateaux Pascal trahit un léger malaise, il était intimidé, même légèrement gauche.
Cet écrivain ne déméritait pas. Ce n’est pas évident de trouver ses marques dans la cage aux lions. Mais il méritait quand même un bon vieux et grand coup de pied aux fesses. Sa pusillanimité m’agaçait. Il faisait grand tort à l’image publique des artistes, ajoutant l’authenticité de sa propre faiblesse à l’imposture officielle : cette ignoble image de créatures sensibles, accommodantes, colorées – bref, féminisées. Et Pascal se payait le luxe, par-dessus le marché, d’être sincère !
La sincérité des pucelles est un sale coup imparable.
L’animateur s’anima :
" Votre talent n’est plus à démontrer ! Il se raconte même que Paris Hilton en pince pour vous... "
Rougissement de la figure du poète.
" Je le savais ! Petit coquin ! Racontez-nous le pitch !
– Eh bien, balbutie Pascal, en fait... " Hésitations. " C’est assez compliqué. D’abord, il y a cette jeune fille : Clara. Elle se sent à l’écart.
– Jusqu’à ce qu’elle rencontre Lucas !
– Tout bascule... " Pascal Lachance prend soudain de l’assurance : " Elle se rend compte que quelqu’un est en mesure de la comprendre. Il faut savoir que Lucas, orphelin à l’âge de neuf mois, voit en Clara la mère et l’amante.
– Deux en un ! "
Rires du publique.
" On peut dire ça. S’ensuit une idylle. Ils s’aiment tellement... Seulement voilà, Clara n’a jamais connu l’amour ; du coup elle tergiverse.
– Et Lucas n’a jamais connu sa mère ! " achève l’animateur.
Bien que pensif, sans doute souffrant (le gros plan trahit l’humidité de ses yeux marrons), l’artiste s’arrache et poursuit son récit.
" Tout se précipite lorsque Rachid de Villejuif surgit à l’occasion du buffet froid organisé par Océane en l’honneur des trente ans de son frère, Lucas.
– Alors là je vous arrête. Moi, il y a quelque chose que j’ai toujours pas pigé. Pourquoi cet idiot de Rachid qui avait tant gavé Clara lorsqu’ils pratiquaient le théâtre de rue, tout à coup la remue à ce point ?
– Justement Laurent ! (C’est le prénom de l’animateur.) Clara l’ignore elle-même ! C’est bien là tout le malheur. La mort surprise de Théo le clown du RER la laisse en état de choc ; le psychologue de lutte contre la fatalité arrive pas à la remettre sur les rails. "
– Il faut dire que Théo s’est jeté sur les rails ! "
Rires.
" Elle est excellente. Elle est excellente... " Le poète essuie une larme ; on ignore si c’est de rire ou de tristesse. La caméra s’attarde sur une jeune fille émue placée au premier rang des spectateurs, derrière l’invité, bien en évidence. Ma main se dirige vers le bouton rouge d’extinction des feux. Soudain, un doute m’assaille. Si jamais ça empirait ? Je rate peut-être quelque chose.
Je rallume. Mes yeux s’écarquillent. Ils s’ouvrent au monde du spectacle sans crainte. Secrètement, ils espèrent le pire. Le pire finit toujours par consoler. On sait alors qu’on ne rêvait pas.
Nous serons sauvés lorsqu’il sera clair que le sauvetage n’est plus possible. Alors le bruit enfin cessera.
Pour l’heure, le bruit subsistait.
" Clara craint de pas vivre sa vie, vous voyez ? " interroge Pascal.
C’est clair, Laurent voyait. Le courant passait. Rien de plus séduisant qu’un écrivain modeste, racoleur et pudique en même temps, vide de sens, complice du public. Triomphe assuré ! L’animateur ne tenait plus en place.
" Quand je vous disais bouleversant ! À présent notre rendez-vous habituel. Une courte page de publicité. Après la pause nous nous entretiendrons du premier roman de Manon. Une fille qui aimait les filles. Hyperbouleversant ! "
Je sais que l’écran sera la personne que je fréquenterai le plus au cours de ma vie. L’écran renforce à sa manière nos liens avec le monde. Comment s’en passer ? Et d’abord, pourquoi s’en passer ?
Mes idées tergiversaient.
Je virai en mode traitement de texte. Le curseur scintillait à cadence régulière sur l’arrière-fond blanc neige, je demeurais pensif. Rencontrer les exigences contemporaines ne serait pas une partie de plaisir ; j’étais un brin créatif. Le handicap s’annonçait de taille.
" Fais quelque chose de tes dix doigts ! " conseillait mon père.
La sagesse de Francis Godefroy Leskens était légendaire. Son bon sens ne souffrait pas la contestation. En ce qui le concernait l’affaire était entendue. Francis savait liquider rapidos ce genre d’escarmouche existentielle.
Le curseur clignotait sur place. Je buttais contre un blanc têtu. Je ressassais des affects mais aucune idée n’émergeait. J’attendis un long moment. Le curseur n’avança pas d’un pixel... Manquant l’inspiration je rejoignis le Service public, attrapant au vol la suite des programmes.
" Sophie dissimule à Léa son homosexualité. Mais Léa dissimule à Sophie son transformisme. En fait, seul Martin le gigolo venu de Côte d’Ivoire est au courant. "
Mes concitoyens ne se sentaient plus de limites. Ils bondissaient de délire en délire. Des bonds énormes... Ils ressemblaient aux ouistitis ; des excités, imprévisibles, fanatiques. Les derniers garde-fous sociaux, en lambeaux, s’effondraient. Des bonds de plus en plus grands... Qui savait où tout ça retomberait ? Non, ça ne retomberait pas, pas plus qu’un cosmonaute s’élançant dans le vide intersidéral. Le vrai vide sans obstacle plus jamais. Je voyais bien qu’ils ne voudraient jamais redescendre. À moins que Pékin leur envoyât un missile. Voilà, c’était tout ce qui me reste, le dernier espoir : la Chine.
Cette dernière idée, disons-le franchement : cette affreuse chinoiserie – plomba définitivement l’ambiance. Mon pouce appuya nerveusement sur le bouton rouge de la télécommande. Extinction des feux, je m’apprêtais à effectuer une sortie en monde réel.
Dans le monde réel j’entendis qu’on papotait. Mon oreille se tendit. Ma mère s’animait.
" Alors Charlotte chérie, c’était comment ce Concert pour en finir avec la solitude ?
– Que du bonheur ma tante ! On a chanté Savoir aimer tous en chœur. On sentait l’amour transpirer. J’en avais partout ! En plus les protections avaient été distribuées gratuitement à l’entrée... Trop de la balle.
– Et ce garçon... comment se prénomme-t-il déjà ? Attends, ça me revient. Starr. Joey Starr.
– Joey est un grand professionnel. J’aime autant te dire qu’avec lui la solitude a des soucis à se faire. On tapait tous dans nos mains et on sautait en faisant un tour sur nous-mêmes. À la fin les tam-tams sont mêmes passés entre les rangs et quand Joey m’a invitée sur scène j’ai bien cru que j’allais m’évanouir. Il m’a mis une main en enjoignant au public que "si t’es un homme fais comme moi." Le public masculin a tendu sa main sur les fesses du public féminin et Joey hurlait qu’on va lui péter la carotide à la solitude. Bref, je te dis que ça, on a reçu plein d’émotion. "
Si un doute subsistait, il venait de recevoir son compte ; ma famille, j’en avais à présent la certitude, cherchait à me saboter. Et fissa !
" On a représenté ! exultait Charlotte, neuf cube baby. "
C’est ce genre de formules qui me faisait regretter les flammes des émeutes. Allez racailles, boutez-moi ça ! J’ai trouvé votre effort plutôt pâlot la dernière fois. Finissons-en ! Un bon feu purificateur, expiatoire, irrémédiable.
Mais Charlotte ne l’entendait pas de cette oreille.
" En guise de conclusion, dit-elle, Joey a expliqué que le monde changera si déjà – connard ! chaque jour tu t’acquittes d’une bonne action. Textuellement ! je m’en souviens presque mot à mot. Il a ensuite ajouté que maintenant vous pleurnichez tas de tarlouzes, et ce soir vous aurez du mal à roupiller, mais demain tout sera oublié, bande de rats ! Alors écoute-moi bien et fais pas ta meuf... Faut pas me prendre pour un vélo ! En sortant, après le guichet, prends à gauche, cavale tout droit, arrivé au bout engage la rue à main droite. Là, tu trottines un bon cent mètres et bifurque à droite sur le canal Saint-Martin. Ça te dit quelque chose, hein, petit joueur... Ça vaut pour toi aussi, là, le fils à papa, toi, oui toi j’ai dit ! ouais, le gros lard avec un tee-shirt Diam’s au premier rang, voilà ce que tu vas faire, toi et tes semblables, l’armée des pleureuses inutiles, vous allez chacun rencontrer un sans-papiers et discuter avec lui. Discuter j’ai dit ! Laisse l’aumône aux bourges. T’es un homme ou quoi ? Yeux dans les yeux... on se dit des choses profondes. Bon, après la palabre vous me faites le forcing auprès des hôtels. Hey ! si j’en vois un seul traîner à Barbès je lui enfonce ma canne dans la sortie d’évacuation, c’est pigé ? Je veux du Hilton, du Napoléon, du Fouquet’s nom de Dieu ! Je veux que Sarko sache de quel bois un SDF se chauffe. Foutez-moi le FEUUUU ! BOUYYYAAAAA ! ! ! Haï haï haï !... Ouais groooos... Ça se passe ici et pas ailleurs ! C’est chaud ! c’est fou ! c’est le feu ! c’est Panam mon gars. Big up ! big up ! "
– L’idée part d’un bon principe, reconnut ma mère, mais désolée, je ne supporte pas de telles vulgarités.
– Ma tante, voyons... Ce soir-là on a réchauffé les cœurs de milliers de désespérés, tous ces laissés-pour-compte de la société capitaliste. J’en ai encore le cœur qui bat la chamade. "
Je sais que je n’aurais pas dû, mais ce fut plus fort que moi.
" Charlotte ! lançai-je à travers les murs, ma douce, les SDF sont sûrement mignons, je ne doute pas de ta sincérité, mais sur ce coup-là je pense que c’est plutôt la canne de Joey qui t’aurait fait vibrer... Avoue ! "
La cousine s’immobilisa un instant, ses yeux suspicieux sondaient l’entourage. Ma porte était légèrement entrouverte ; juste assez pour apercevoir que ma blague tombait à l’eau. Maman se tenait sagement en retrait. Charlotte engagea plus avant la conversation.
" Toi connard, t’es qu’un vicelard.
– Exactement. Et je sais reconnaître ma semblable. "
Il y eu un courant d’air qui fit grincer ma porte, découvrant entièrement la tête de Charlotte. Cette dernière branla du chef à deux reprises, d’avant en arrière, à la façon des rappeurs. Sa bouche tirait vers le bas. Elle s’enquit :
" C’est quoi ces conneries ? "
Maman s’esquiva dans ses linges pendus. Maman était un peu voyante. Elle pressentait quand ça va arriver.
" Je crois pourtant avoir été clair, susurrai-je. Un vampire reconnaît toujours un autre vampire.
– Parle pour toi, rétorqua Charlotte. Moi au moins je fais quelque chose de ma vie. Je vais vers les autres, j’apprends à connaître. Pas comme toi ", ajouta-t-elle sèchement. Elle tourna talons et prit congé. Peu après on frappait à ma porte.
" Billy, allez, viens mon garçon, priait maman à mi-voix, fais un effort, ta cousine est très malheureuse. Tu lui as causé de la peine. Allez Billy... Ça ne coûte rien de s’excuser ", conclut-elle en durcissant le ton.
Demandé aussi gentiment je n’avais nulle envie de m’amender, surtout pas auprès d’une pisseuse comme Charlotte.
" Désolé, fis-je, je suis occupé. Je travaille.
– Ben voyons ! s’éleva du salon adjacent la voix de Francis. Elle est où ta fiche de paye ?
– Tu ne devineras jamais ! " lança la mère en entrant avec fracas. Elle détournait la conversation en espérant apaiser les tensions qu’elle redoutait.
" Je ne devinerai jamais, ânonnais-je avec lassitude, pivotant mon fauteuil dans sa direction.
– Charlotte part pour Gaza. " Elle ouvrit les bras. " Tu te rends compte ? C’est merveilleux. "
Rien pouvait ébranler ma mère, pas même le sarcasme. En outre, je savais que ma cousine recherchait l’exotisme, mais à ce point-là... Sa témérité dépassait mes pires craintes.
" Prends-en de la graine ! proféra maman, ta cousine fait quelque chose de sa vie, elle. " Nous y revoilà... J’esquissai un bref rictus s’apparentant à un sourire. Dans le dos de Ginette (ma mère), la silhouette de Charlotte ne se sentait plus. La petite peste au grand cœur tenait sa revanche.
À la décharge de Charlotte, je concède qu’elle en vit de toutes les couleurs avec moi. Je suis du genre récalcitrant...
Ce ne fut pas faute d’avoir essayé ! En vain m’escrimai-je à partager sa haine des Juifs, " les banquiers du monde, crapules ! "
Les " Feujs de Jérusalem, ces enculés de sionistes ", affirmait-elle, avaient repris le flambeau du nazisme. La Cisjordanie était un camp de concentration et chaque jour des enfants mourraient à Gaza ville assiégée. J’ignore encore à ce jour comment ma tendre cousine en vint à pareille conclusion où le sordide le dispute au stupide. Tout ce que je sais, c’est que ses yeux hiératiques n’invitaient pas au débat d’arguments. Excédé, j’avais fini par lâcher :
" C’est quoi ton plan de secours, jeter les Juifs à la mer ? Naguère, un jour, un beau matin, l’Europe s’est levée du mauvais pied et a décidé de vomir ses Juifs... on peut penser ce qu’on veut de la communauté juive mais le fait est là : l’Europe a vomi ses Juifs. L’Europe a donc poussé au sionisme. C’était le dernier recours des pogromés ! Tu crois qu’ils ont fui de bon cœur les terres qu’ils habitaient pour certains depuis plus de mille ans ? Et voilà que maintenant des petites Européennes pleines d’amour de la diversité se mettent à ardemment regretter le bon gros Juif à l’ancienne, le Juif international, le Juif errant, itinérant, apatride.
– Pas du tout ! Je suis farouchement opposée au Juif apatride. J’estime au contraire qu’ils doivent s’intégrer dans leur terre d’accueil.
– Ce ne seront plus des Juifs dans ce cas !
– Si, mais en privé.
– T’es pas un peu gonflée ? Tu crois qu’on abat une civilisation vieille de plusieurs millénaires, comme ça, sous le prétexte de... Mais au fait, t’étais pas pour la diversité aux dernières nouvelles ?
– C’est bien pour ça que je suis contre le sionisme et toute forme de nationalisme. Ce sont les nations, ces montres chauvins, qui font obstacle à la diversité et l’entente des peuples.
– Idiote ! Idiote utile !... C’est l’international, de gauche comme de droite, qui tue la diversité. Les ultralibéraux abattent les frontières l’une après l’autre pour ajuster au plus bas les salaires. Ils en ont rien à foutre de ta diversité... crois-moi ! ils se contenteront d’une seule monnaie. Si comme ils le projettent, le monde devient la limite, le salaire de référence sera toujours le plus compétitif : donc le plus bas.
– Je suis pour un monde sans frontières avec un SMIC pour tous. Nuance.
– Et voilà ! Nom de Dieu nous y VOILÀ enfin ! Quant aux gauchistes, ces internationalistes de la première heure, ces alter-machin et autres catins du trotskisme, ils abattent les frontières au nom de l’entente des peuples et du guichet automatique. On est bien arrangé ! Tu n’as rien mais alors rien du tout compris : la nation est précisément le dernier rempart face à ce que tu abhorres le plus au monde, le capitalisme sauvage. La nation fournit non seulement le cadre d’expression et de survie des peuples que tu sembles tant aimer mais en outre elle constitue le dernier regroupement d’hommes susceptible – peut-être ! – de résister à la déferlante mondialiste consumériste, festiviste et aliénante. Écoute Charlotte, je sais que t’es une brave fille, mais avant tout t’es une Française. Alors de grâce ma chérie, avant de t’embarquer pour la Palestine tu ferais mieux de nous aider, nous tes frères, à éteindre le feu qui se propage à la maison Europe.
– Je ne suis PAS Européenne, avait violemment interrompu Charlotte, je suis une citoyenne du monde. Les Palestiniens sont autant mes frères que les Darfouris. " Retenant sa respiration, puis expirant lourdement : " Tous les opprimés du monde sont mes frères. "
Plein de tact, je lui avais suggéré, " tant qu’on y est avec le monde ", de jeter un coup d’œil à ce monde dans son ensemble. Je l’avais invitée à réfléchir sur le joli système de régulation économique à la chinoise et le bel esprit d’ouverture russe ; qu’elle aille une fois, juste par curiosité, user de son droit de l’homme à la liberté d’expression par ces douces et exotiques contrées. Charlotte m’avait arrêté avant que je m’engouffre plus avant, reconnaissant sans ambages, de bon cœur, que les enfants de " David le SS " n’étaient pas seuls en cause, loin de là.
" Qu’est-ce que tu t’imagines ? me confiait-elle encore hier, je souffre pour les Tchétchènes et les Tibétains et je sais que les Français de souche sont pas des anges. Chaque jour les rafles de sans-papiers s’intensifient. J’ai honte, on mériterait de se faire atomiser par l’Iran. " Sur ce dernier point la cousine plaisantait. " Puisse Dieu réserver ses ogives à l’intention du Texas et des banquiers comploteurs. "
Y avait les banquiers d’un côté et les raflés de l’autre. Toute personne ignorant de quel côté siégeait l’innocence se faisait le complice des sales capitalistes américano-sionistes à tendance impérialiste.
Bon, je l’aimais ma cousine. Elle méritait un effort de pédagogie de ma part.
" Je te ferai remarquer, avais-je glissé entre deux harangues tiers-mondistes, qu’après les Juifs viendra le tour aux Croisés. Il n’y a pas qu’à Sderot que les missiles fait maison s’abattront et les attentats-suicide de Tel-Aviv ne sont qu’une mise en bouche. "
Elle s’était insurgée. " À leur place tu ferais pareil ! " Enrageant, les yeux pleins de tolérance. " Non, s’était-elle ravisée, je te connais : tu ferais pire. T’as pas vu comment les Sionistes les maravent ? "
Ce à quoi j’avais répondu calmement. " Tout le monde a des excuses. Ce qui compte, c’est ce qu’on en fait. " Après réflexion j’avais fignolé le trait. " Si on tolère les ceintures de C4 faudra pas s’étonner que notre civilisation en garde une odeur de souffre.
– T’es qu’un sale raciste de merde. "
Comme beaucoup d’autres (ils étaient majoritaires), ma cousine Charlotte ne tolérait pas l’intolérance au fanatisme. Alors lui faire piger la différence entre civilisation, religion et race... peine perdue – et inutile. Elle allait goûter par elle-même très bientôt. D’autant qu’elle matérialisait ce poncif de base : une blonde chez les bruns.
" L’humanitaire, hurla soudain Francis, m’extirpant de mes rêveries, c’est bon pour les chèvres ! ".
Qu’est-ce qui lui prend encore celui-là ? Espèce de vieux fou !
Un mot d’explication. Francis Godefroy Leskens avait fait l’Afghanistan. Époque soviétique, engagé mercenaire, agent de sécurité pour une société canadienne. Ça friquait cash. " Des couilles en or mon petit. La guerre, c’est l’avenir. " Après un court moment d’intense méditation il avait arrêté sa pensée : " Ça a toujours été l’avenir. "
Ce n’était qu’une erreur, et non un désaveu, un soir de grande biture, au retour en terres belges, port d’Anvers, de tout miser – et tout perdre – sur le rouge. Feu le butin de guerre n’en témoignait pas moins des prodiges de la guerre. " La guerre fait et défait les fortunes, se justifiait le mercenaire fauché, il s’agit du mode d’organisation sociale le moins injuste au monde. Tu n’en trouveras pas de plus éthique ! Je te mets au défi... "
Maman avait préféré gardé le silence, le feu dans l’œil. " On répond aux imbéciles par le silence ", me répétait-elle chaque fois qu’elle me contait " la catastrophe ".
La catastrophe remonte au tout début des années quatre-vingts. Je n’étais pas encore né.
La famille ne s’en remettrait jamais (surtout après la faillite trois ans plus tard, précisons-le). La disette, ça tient à peu de choses. Un coup de dés en ce qui nous concerne. Un mauvais coup de dés.
Ce mauvais coup de dés s’appelait mon père.
L’accusé se défendait encore de nos jours. " Que veux-tu, l’époque a changé. " L’excuse à lui ! Et d’ajouter. " Dorénavant faut miser sur le Noir ! "
Chaque fois il répétait, et chaque fois maman s’offusquait : " Négrophobe !
– Je te jure, y a plus que ça de vrai : le Nwééér ! Nos rues en attestent... Merde, c’est foutu ! "
Il se marrait comme un dératé. Puis, sous le coup de la gêne, penaud, il se justifiait. " À coup de trique ! C’est le respect qui compte. Le reste c’est de la gonzesse. Ah... ah, c’est bon. " C’est en général ce moment-là qu’il choisissait pour s’envoyer cul sec une bière bien de chez nous : Stella Artois par exemple.
" Bon, je vais vous laisser ma tante. Surveillez-les bien " Charlotte fit la bise à sa tante et chuchota à son oreille. " C’est vraiment deux vauriens – je sais ma petite, hélas je ne le sais que trop bien. "
La cousine avait filé à l’anglaise (genre Laurence d’Arabie) emportant avec elle une drôle de moue. J’y pensais à ma cousine. C’est un peu triste. Parce que, elle y croit vraiment – aux autres. Elle désespère d’aider. Donner un sens à sa vie. Enfin, le genre de connerie. En l’occurrence, son voyage d’aide aux Palestiniens consiste à casser du Juif. Évidemment, armer le fusil contredit un peu son amour du prochain. Elle s’en tiendra donc, vraisemblablement, à casser du sucre sur le dos des Youtres et à défendre les droits de l’homme du Hamas.
Eh bien, nous voilà avertis.
Quoi qu’il en soit, les affaires humaines demandent la politique pour les régir. La politique traite de la relation à l’autre. À tous les autres. Moi, j’avais bloqué sur mon cas personnel. Mon autre à l’intérieur. J’étais par conséquent un bien piètre politicien.
Je retournai de ce pas à mon occupation favorite. L’écran.
Ecrit par Jokeromega, à 17:33 dans la rubrique "1.La farce des abîmés".
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Samedi (09/06/07)
Lola perdait les pédales et j'avais marre d'être son vélo.

--> épisode 8

De déception en déception, ce qui devait arriver arriva. C’est toujours la même histoire qui se répète ; on attend l’exaspération la plus totale pour vider son sac. C’est une erreur. On devrait vider son sac dès que nécessaire ; pour empêcher qu’il se remplisse.
" Écoute ma grande, ce n’est plus possible, je ne suis pas ta girouette (je niais l’évidence). T’es qui toi ? Pour qui tu te prends ?
– Je sais, ma mère n’arrête pas de le proférer : Je suis un monstre. C’est démontré. Et les monstres méritent de mourir. "
J’ignorais le fond de sa pensée mais je lui partageai la mienne.
" Heureux de te l’entendre dire. C’est bien Lola. Tu avoues ta bassesse proverbiale. Tu ne peux qu’en sortir grandie. Il y a même peut-être encore moyen de (allez, rêvons un peu) tirer quelque chose de ton âme flétrie. Puisse ton passage sur terre ne pas équivaloir celui d’une plante. La plante à ma mère, ses hortensias, avec un gros pot pas beau. "
Que croyait-elle – j’allais mouiller peut-être ? Je sortis m’acheter des oranges sanguines au night-shop du coin. L’enseigne illuminait la devise : "Ici c’est pas cher". Le vendeur, un Pakistanais, n’avait rien d’un mauvais bougre, sa bouille était bonne et franche, pas du genre à te planter un couteau dans le dos sans raison valable.
" Wech ! Suce un coup ? À la santé... "
Un groupe de jeunes, cinq ou six, entamés, spliff au bec, venus se ravitailler, apparemment me proposaient – si j’avais correctement interprété leur charabia – de sucer un peu de leur vodka.
" Je vous remercie jeunes hommes, répondis-je avec tact (je m’étais promis de ne plus abaisser mon langage par commodité), mais je ne bois pas.
– Pas dis conneries ! Si viens sucer t’es un homme. Sinon toi-même tu sais. "
Les mineurs devenaient un problème majeur. Surtout ceux en provenance d’Asie Mineure ou pays limitrophes. Les barbes naissantes leur montaient à la tête. L’affront méritait d’être lavé mais je rechignais à me salir les mains ; surtout, soyons honnête, si c’est pour finir les deux bras cassés.
Je feignis la surdité tout en débarrassant le plancher.
" Il c’est timide ? T’as peur ou quoi ? On va pas toi manger. " Leurs rires grossiers éclatèrent. Ces bambins moustachus dépassaient toutes les bornes. C’est triste à dire, je n’avais pourtant d’autre réponse que de m’écraser. Aucun problème ! Dix ans de banlieue passés sous la mauvaise peau t’y préparent. Alors vingt... J’étais apprivoisé.
Les maxillaires s’enfoncent et on décampe.
" Laisse pisser... conseilla l’un en retenant son compère par l’épaule. Bizarre lui. On voit jamais.
– Laisse, relança un compère avec dédain. C’est un Belge... " Les rires roucoulaient. Leurs gueules bouffies d’arrogance devinrent obèses de mépris. Je me sentis couvert de la plus grande honte du monde.
Je n’aurais jamais dû laisser passer ça... Mais ma lâcheté misa sur l’amnésie du buveur (au réveil). Paki, à jeun, avait certes tous ses esprits, mais Paki s’en foutait comme de l’an quarante. Paki remplir tiroir-caisse c’est tout merci.
Une fois chaque élément mis en balance, mon cerveau évalua que ma réputation (si j’ose dire) ne risquait pas grand chose. Prendre congé était la moins pire solution à adopter.
La porte du night-shop se rabattait sur mes talons lorsqu’une voix stridente rattrapa mes oreilles.
" Garçon ! "
Je le savais. Nom de Dieu je le savais ! fulminai-je en aparté, ne t’avise jamais, jamais, JAMAIS de tendre la perche à une petite frappe, car c’est avec cette même perche qu’il te battra. Je le savais putain de saloperie de métèques dégénérés. Faites du bien aux vilains ils vous caquent dans la main.
La petite frappe n’entend pas le silence, c’est au-dessus de ses capacités ; la retenue est systématiquement interprétée en tant que faiblesse. Confronté au savoir-vivre le pourceau se sent pousser des ailes de condor.
L’agresseur s’approcha en bombant le torse, les yeux vides de brutalité. Il me passa un bras à l’entour des épaules, comme un ami d’enfance le ferait. C’était bien entendu une tactique d’intimidation.
" On pas appris le respect ? Sulejman va montrer. " Les joies explosèrent, décuplées, condescendantes, insanes. À cet instant l’issue ne faisait plus aucun doute. Tout serait dit. Le trop-plein m’avait dégoupillé. Je fis une déclaration en m’esquivant souplement de l’étreinte de Sulejman :
" Excusez-moi messieurs. " Ajoutant sur un ton le plus affable : " Je suis absorbé en ce moment ; je trime en forçat. Vous imaginez donc bien ! Parfois je me surprends rêveur sur les bords. "
Comme attendu, leurs rires s’étouffèrent. Calmement, je poursuivis ma litanie.
" Vas-y, prononçai-je joyeusement, envoie Vladimir ! Mieux vaut tard que jamais. "
À ces bonnes paroles mes interlocuteurs estimèrent que tout compte fait j’étais cool – pour un pauvre type dans mon genre. Ils me jetèrent la bouteille en ricanant. Je continuai de leur passer de la pommade :
" Je vous dis pas les gars, je suis du flan quand on me connaît. Hé Sulejman, t’as vu la bombax ? "
Mon regard mit le cap direction Virginie, l’hypothétique salope de passage. Je savais combien les mâles sont prévisibles. On peut tout le faire avaler. Il suffit d’y mettre le cul qu’il faut ; c’est presque trop facile. Et en effet, ça ne manqua pas, ils m’offrirent leur dos avec insouciance. Des chiens en manque...
Stitch ! Platch !
Vodka de qualité ! Le crâne le plus proche, celui de Sulejman, attesta. Le premier impact l’avait assommé et le deuxième balafra le premier visage faisant demi-tour. Ah ! Je me souviens maintenant ; cinq, ils étaient cinq. Car trois seulement restaient debout bras ballants, yeux stupéfaits, teint pâle. Sulejman faisait dodo et l’autre, agenouillé, retenait entre ses mains un visage ensanglanté. J’avais frappé un grand coup, peut-être même exagéré, ayant surestimé leur niveau délinquant. Tant pis, les racailles savaient quoi à présent. J’étais méchant. Par conséquent ils seraient gentils. Doux comme la soie. Je décidai d’en rester là car un bon tyran sait ménager ses effets. Sinon il s’attire la vengeance sans fin. C’est pourquoi je laissai sur place ces pauvres pitres.
Lorsque je me postai face à l’écran je pus constater à mon grand étonnement que le visage de Lola n’avait pas quitté sa fenêtre vidéo. Un douloureux pressentiment m’envahit.
" Tu n’as pas commis de bêtises tout de même ?
– Je suis rien qu’une plante, ma vie ne vaut guère plus.
– Arrête ça. Tu sais pertinemment bien que la colère est mauvaise conseillère. Je n’ai pas pensé un traître mot de tout ce que j’ai pu alléguer.
– Moi je te dis que la colère fait remonter la vérité à la surface. Elle t’a aidé à me briser le cœur avec sincérité.
– Tiens dont ? Vas-y mollo quand même. Tu n’as pas toujours été indemne de reproche. Lorsque tu me clouais le bec crois-tu que j’étais bien après ?
– Oui Billy ! Oui... Ne te gêne pas ! " Lola monta sur ses grands chevaux. Or ces chevaux filaient droit à l’abattoir. Leur cavalière ne pouvait pas l’ignorer, aussi, émit-elle un son situé entre le gémissement et le honnissement (difficile à établir) : " Rappelle-moi Billy... combien je suis mauvaise, fais-moi voir mon intérieur de pourriture. Je suis nuisible et la nuisance doit dégager le plancher.
– Dis pas ça ! À chacun son péché... Je chuchotai : Son mignon. Ça sert à rien de pousser comme ça le bouchon. Car nous sommes tous des bouteilles à la mer.
– Arrête ton char, ô mon preux poète. Moi, je coule. C’est tout ce que je sais. C’est tout ce que je mérite. Je suis une bouteille vide et trouée qui toute sa vie a sécrété du poison. Et toi pauvre idiot tu t’escrimes à sauver ton bourreau. Allez, va... Va-t’en fripouille !
– Merde Lola ! On n’a pas idée de proférer pareilles horreurs, même au bord du gouffre – surtout au bord du gouffre, merde ! Tu déconnes à vau-l’eau, tu vas tous nous foutre en l’air si ça continue. Ce coup-ci tu m’as foutu en rogne pour de bon. (En fait j’avais les chocottes comme jamais).
– Trop tard de toute façon.
– Lola ! Ne me dis pas que...
– Si. J’ai craqué.
– Arrête de mentir ! Je vais venir te casser la gueule. T’y repenseras à deux fois si jamais l’envie te reprend. "
Je perdais mes moyens de contrôle. Je lâchais mes dernières forces dans la bataille. Sans trop savoir où je tapais. Pourvu de jamais – jamais ralentir. Je chargeais droit devant comme un jeune taureau fou. Lola redressa son visage. Je vis ses larmes aux yeux. Un tel spectacle coupa net mon élan, et encore, si ça n’avait été que les salées... mais sa figure entière souffrait sans répit, une douleur de loin et profonde, par-delà tout ce que je pourrais dire, par-delà tout ce qu’elle pourrait dire, par-delà le dicible. Ça m’initia du bas-ventre, une pointe suivie d’une seconde et une troisième... Une salve. Un éventail de brûlures, de bouffées, par les parois abdominales d’abord, ensuite se projetant au corps entier par vagues successives. Le front picore, des bourdons se fracassent contre les tempes, le palet s’assèche d’un seul trait, la mâchoire se crispe et ne démord plus. Mes doigts moites tremblotaient au-dessus du clavier : Un Cherry.
" Lola, excuse-moi. Excuse-moi pour tout ! Oublions ! oublions ! oublions tout ! "
Je me savais engagé dans un combat perdu d’avance ; rien, évidemment, ne pouvait être oublié ; c’est pourquoi je mettrais toute mon énergie au service de cet oubli. Par amour de l’impossible.
" Je t’en prie petit canari, ne joue pas le cœur des autres ainsi, à force je tombe malade moi aussi... S’il te plaît Lola, dis-moi, on ne joue plus, dis-moi que c’est pas vrai, dis-moi que tout ceci n’est qu’une farce depuis le début. Tu m’as fait marcher, n’est-ce pas ? Ah, tu m’as bien eu, une fois de plus ! Je t’en conjure... Une farce, rien qu’une petite farce inoffensive.
– Je vais mourir. C’est trop tard.
– Mais comment ? Ne me dis pas que...
– Si, les médocs à grand-mère.
– Grand-mère, ta grand-mère ?
– Non, celle du pape.
– Tu as repris ta grand-mère chez toi ?
– Elle pleurnichait tellement lors des visites au home que maman a décidé de la reprendre à la maison.
– Ta mère ? mais je croyais que... Depuis quand tu crèches au nid familial ?
– Qu’est-ce que ça peut te foutre ! Tu crois pas que le moment est mal venu ? Bordel, je me jette par la fenêtre si tu continues à me harasser avec tes interrogatoires de la CIA.
– Je sais pas ! Je sais pas ! Je ne sais plus ce que je dis ! Je dis n’importe quoi, pardon, pardon mille fois !... Je suis stressé.
– Pendant que je crève tu chipotes. "
Bientôt ce serait moi le responsable. Je la sentais venir.
" C’est quoi comme droguerie ?
– Tu veux peut-être que je t’envoie la notice par la poste ?
– Non, la lecture à voix haute me suffira. (Quel caractère de cochon !)
– Depuis quand t’es toubib ? Tu me fais bien rire. Au moins grâce à toi mon agonie sera divertissante. "
Lola ne perdait pas le sens de la pique. Ni celui du désespoir : " J’ai peur, j’ai froid, je vais mourir, je suis nulle. " La pernicieuse série se succédait ; impossible à rompre. Son amour-propre sabordait le navire. Je lui intimai à maintes reprises, en vain, de rester calme.
" Toi tu t’en fous, protesta-t-elle, tu t’en es toujours foutu... Tout le monde s’en fout de tout le monde. C’est comme ça, vous n’êtes que des salauds sans cœur. Je peux bien clamser.
– Mais non ! Vilaine tête de mule, sois pas ainsi défaitiste ; ça va aller ! Je me renseigne... Je te promets que ça va aller. "
Les centres d’appel des services d’urgence français se découpaient en département et, j’ai honte de le dire, je m’emmêlais les pinceaux. Rien que formuler l’indicatif correct me prit pas loin d’une éternité. En tout cas c’est ce qui me sembla sur le coup. En attendant je devais absolument la faire parler afin de prévenir la perte de connaissance.
" Ta mère est là ?
– Non. Chez mon frère avec mon père.
– Ah... Ces bonnes vieilles réunions de famille... (Je faisais diversion pour détourner ses mauvaises pensées.)
– Ma poitrine s’ouvre, prétendit-elle, et c’est tout ce que tu trouves à dire ? "
Si seulement son cœur s’était ouvert... Mais maintenant que j’y pense... Idiot ! Idiot de Billy, mais c’était la première mesure à prendre.
" Lola. Écoute-moi attentivement, voilà ce que tu vas faire : Vomis ! Fais-toi rendre tout de suite et très fort. Les ambulanciers te gratifieront sûrement d’un lavage d’estomac... Il n’empêche, tu détiens là une occasion en or de prendre de l’avance. Allez ma chérie, exécute-toi ! Le temps presse.
– J’ai des palpitations.
– Tu vas la fermer et les ouvrir bien grandes. J’ORDONNE toi de rendre. Capisce ? La vie si fragile réside au bout des deux doigts que tu vas t’enfoncer dans le gosier. "
Un bon moment se passa sans aucune nouvelle. Pas de nouvelle bonne nouvelle. De toute façon les secours surgiraient d’une seconde à l’autre (j’étais parvenu entre-temps à joindre les pompiers de sa région).
" Les pompiers ? reprit Lola, mais j’ai pas le feu ! "
Les filles sont jamais contentes. L’erreur c’est d’y mettre le pied. Après on passe son temps à se justifier, surtout quand on a rien à se reprocher. Notre sincérité les rend méfiantes...
" Les soldats du feu ont l’habitude, expliquai-je, ce sont des touche-à-tout. Comment te dire... Ils sont des généralistes de la catastrophe... Ils vont là où personne va. Tu vois ? Tout ira très bien. Ne t’en fais plus, ton calvaire touche à sa fin.
– Tu parles... C’est la grosse merde oui ! Ma mère va me haïr pendant les siècles des siècles. "
Apparemment Lola craignait davantage sa mère que la mort.
" Au contraire, maman sera soulagée de savoir sa fille – son enfant ! son bébé ! – sauvée. Chez les Perviers demain soir je te garantis qu’on célébrera la vie. Ta vie ! sa fille !
– Ça se voit que tu ne la connais pas. Elle soupçonnera d’entrée de jeu la comédie et quel que soit le résultat elle me reprochera d’avoir sciemment attenté à mes jours dans le but exprès de lui nuire, la persécuter, la faire se sentir coupable – culpabilité qui soit dit en passant ne l’effleurera JAMAIS. À présent la meilleure issue qui me soit proposée est la mort. C’est la seule chance qui me reste de m’en sortir. Au cas contraire c’est l’enfer qui m’attend. Elle me fera payer au centuple de centuple.
– Mais Lola voyons, ta vie est en jeu. Dans ces cas-là les plus endurcis des endurcis fondent en larmes. Profites-en, t’as une chance de pucelle ! Et puis, crus-je bon d’ajouter, c’est pas un monstre, non plus, ta mère.
– Ça tu n’en sais rien. "
La souffrance se passe de commentaire. " OUIN !... OUIN !... OUIN ! " Voilà ce que veulent ouïr les souffrants : les pleureuses. Consoler est un art subtile. Une activité à très haut risque (et à rendement faible voire négatif). Le consolateur marche sur des œufs prêts à lui exploser à la face. On ne s’attaque pas impunément au trésor de guerre – au sacro-saint statut de victime. Crétin de Billy ! Au lieu de te lamenter sur son horrible sort tu prétends joyeusement à Lola que tu vas lui soigner sa fièvre. Immense faute stratégique mon ami. Quelle idée saugrenue qu’aller dégrader la dégradation du malade. Espèce de boulet ! Fallait la lui chérir, la lui enchérir !... La fignoler !... La misère est précieuse de nos jours, les gens y tiennent comme à leurs enfants, ils savent qu’ils pourront en tirer d’inlassables doléances, excuses, compensations, courbettes et autres larmes à l’œil. Non, je mens ; les malades tiennent à leur mal bien plus qu’à leurs propres enfants, entends-tu Billy Leskens ? Plus qu’à tout. Parce que d’abord les chiards sont de grosses pompes à fric toujours insatisfaites et ingrates par-dessus le marché. Ce sont des machines à reproches sans pitié, surtout pour nos vieux jours ; ces vampires n’attendent que ça.
Le martyre ! – voilà : ça c’est un investissement ! Le martyre nous aime pour ce que nous sommes. Sans demander plus. Il nous embrasse tel quel ! Alors, le vrai amour à donner, à présent tu connais son adresse : Rue des Éclopés.
Après déconnexion un grand vide s’installa en moi. Un vide de soulagement. Quelle horrible journée avais-je traversé, quelle chance ! Je tenais une opportunité à nulle autre pareille : L’accès au drame. Moi aussi, en un sens, j’étais une victime.
Je fomentai divers scénarios, déclamant dans ce genre-là : " Elle était mon tout. Et voici, j’ai tout perdu. "
Dans mon film, j’ôtais mes lunettes de soleil, laissant percevoir des cernes de vingt-cinq kilomètres de long tandis que la mère éplorée de Lola se jetait à corps perdu sur le cercueil de la chair de sa chair. La foule se pressait pour relever la malheureuse. Sitôt relevée, l’endeuillée replongeait. Je serrais fort les dents, des larmes glissaient doucement le long des joues, la pluie se lançait dans le bal et un orage comme un troupeau d’ours éclatait. Je me mettais dans tous mes états. Devant la glace afin de vérifier ma tristesse. J’aurais partagé mon chagrin au monde entier.
C’est alors qu’un visiteur fit retentir la sonnette. Qui dont à telle heure ? À prime abord, aucune idée. Puis, je me souvins... Oui, fatalement, ça ne peut qu’être... (Je fouillais mon imagination.) C’est acquis !
Je commençai à m’émouvoir.

Ecrit par Jokeromega, à 21:50 dans la rubrique "1.La farce des abîmés".
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Lundi (28/05/07)
L'espoir fait vivre et Lola savait attiser.

--> épisode 7

" Bonsoir. Je suis Billy. Ce n’est pas un pseudo, je suis vraiment Billy. Et toi, qui es-tu ?
– Je ne sais pas. "
Lorsqu’elle n’a pas lieu d’être, cette réponse – la je ne sais pas – est une phrase indice. Elle prévient son destinataire que l’expéditrice est soit modeste, soit paumée. Les instincts de Billy lui hurlèrent de fuir mais sa curiosité a désobéi. Il kiffait trop la page d’accueil de Lola :
Je meurs, je meurs, je meurs... et j’aime ça. Je l’attends, il viendra, je le sais.
Non, ne meure pas ! J’arrive... Tu as eu raison d’attendre.
Tel fut le plan de Billy. Bien sûr l’objet de son désir n'en devait rien savoir. Préservons les apparences de la rencontre fortuite, se disait Billy avec sagesse, et trouvons-nous un solide alibi : " Oui, moi aussi j’adore la danse classique ! " La danse était la passion de Lola. Je trouvais les tutus ridicules et pris soin d’affirmer le contraire. Lola se prit au jeu et me transféra des photos en bas collants. Comme elle est fragile ! me dis-je, prenant presque peur, elle ne doit pas peser bien lourd, je pourrais facilement la porter sur un bras. Au pifomètre je dirais que son estomac se contente d’une pomme par jour plus une carotte le soir à condition d’avoir effectué 3 heures de vélo. Lola ressemble à ces brindilles qu’on n’ose pas toucher de peur de les casser en deux. Même si, il est vrai, on meurt d’envie de rompre la glace. Miam miam...
" Bonsoir Lola, désolé pour l’autre jour, ma bécane avait planté. Black out complet, pas moyen de redémarrer. J’espère que tu n’as pas trop poireauté que je revienne. Tu m’excuses ?
– Tu n’as aucun souci à te faire Billy. Tu sais, je n’avais même pas remarqué ta présence. "
L’écran martelait d’une étale étendue blanche. J’attendais la suite de ses idées qui ne vint jamais.
" J’ennuie mademoiselle à ce point-là ?
– Écoute, tu as commencé par t’excuser. Très bien, je te félicite, faute avouée faute à moitié pardonnée. Maintenant ne gâche pas tout en te montrant si susceptible. Non, tu ne m’ennuies pas – pas encore.
– C’est pourtant l’impression que tu donnes.
– Ne t’impatiente pas. Ça viendra si jamais. "
Fin de conversation.
Je trouvais ses manières si brutales que j’y devins accroc. Plusieurs semaines s’écoulèrent peu ou prou sur le même ton. J’avais l’impression de jouer à tu me tiens je te tiens par la barbichette. C’était faux. Je me nourrissais d’illusions. Dans ce jeu, je n’avais rien entre les mains, seule Lola s’amusait. Elle me tenait par le bout du nez et j’avançais comme un nigaud.
Parfois je grognais un peu (imaginez un âne exaspéré de se faire exploiter arrivé à saturation).
" À quoi tu joues ?
– Je joue à toi. "
On alternait tchat dactylographique et tchat microphonique ; malheureusement la webcam défectueuse de Lola n’émettait plus d’image. Qui plus est je captais à peine sa voix ténue. Elle est si inhumainement frêle, songeai-je plein d’amour, si fluette, fragile... Une demi-pomme !
La vérité est que Lola est un pioupiou. Personne fait régime avec autant de conscience professionnelle. Personne se contraint autant. Lola campe sur ses réserves. Ses maigres, ses très maigres, ses inhumainement maigres réserves. En réalité, vu son ventre creux de Fakir, sa faim puise sur du vide, ce qui a tendance à la raidir, si vous voyez ce que je veux dire ; son humeur est souvent tendue... Alors parfois elle fume un joint pour se détendre. Selon moi c’est le meilleur moment, elle s’ouvre enfin à autrui. Je regrette cependant que ce soit de courte durée. Lola est accoutumée au haschich, ce qui implique que son cœur se referme aussi vite qu’il ne s’ouvre. C’est un style que Lola a inventé (a-t-elle fait exprès ?). Dès qu’on l’approche elle se met sur la défensive.
Je voulus percer cette cuirasse. Mais peu d’occasions se présentaient. Lola parlait peu et ses rares sorties consistaient à rabaisser son interlocuteur. Ce n’est pas bien grave, me dis-je, tout vient à point à qui sait attendre.
Et en effet, le jour tant attendu arriva. Le cadran de mon GSM indiquait minuit bien fait. Grâce à la conjonction de l’herbe et du gin les défenses psychiques de Lola s’estompaient à vitesse grand V ; elle était sur le point de lâcher le fromage. C’était le jour J.
Alors, pourquoi tant de haine ? Eh bien, c’est assez simple, il y a quelques années, en rentrant de l’école, l’adolescente était tombée en sortant du bus sur un groupe de jeunes à casquette. La jeune Lola essaya de se débattre mais ils étaient trop forts et en nombre. Elle appela au secours mais les passants changèrent de trottoir ou firent semblant d’être sourds et aveugles. Enfin, elle demanda pitié et reçu en guise de réponse un coup de poing sur la figure. À ce point de l’histoire Lola refusa de développer davantage son récit. Ce n’était pas nécessaire ; pas besoin d’être un génie pour deviner la suite des événements.
Lola avait arrêté ses études ainsi que la nourriture. Accessoirement elle se mit aussi à doucement haïr les garçons.
De tout cela fallût-il compatir ? Sans doute, mais en toute franchise ça me tapait sur le système. Sans compter que la distance nous séparant ne retirait rien à la haine phallophobe de Lola. Que du contraire, quel espèce de cinglé peut bien perdre son temps derrière cet amas de pixels ? (Ce n’est sûrement pas parce que Lola pratique Internet avec avidité que les internautes comme elle en sont moins une bande de salopards vicieux.) Lola c’est Lola. Le reste du monde est suspect. Mais comme Lola s’ennuie, de temps à autre elle lâche un os à un admirateur. Laissons-le chipoter avec son clavier, se dit-elle, on le teste et on vérifie que c’est un obsédé. Le dégueulasse finira par se trahir et révéler au grand jour sa vraie nature.
Mais en même temps Lola avait envie d’aimer car ça met de bonne humeur. Elle était prête à aimer n’importe qui ou n’importe quoi. Elle reconnaissait néanmoins qu’il est plus facile d’aimer un être humain qu’un caillou. Par contre aucun amour ne se hisse à la cheville de son chihuahua.
Bref, de temps à autre Lola témoignait une certaine affection à un être humain. Naturellement elle prenait soin d’y aller pas à pas. Elle sait vraiment y faire la Lola. Nul ne met mieux en appétit, car Lola sait mieux que quiconque ce qu’est la faim. Elle sait que dans le don, ce qui compte, c’est ce qu’on ne donne pas. Rien ne fait plus effet que la frustration.
À l’occasion Lola se remettait une mèche que je ne verrais jamais (webcam toujours pas réparée), avant d’éteindre tous les feux.
Elle distilla ainsi pendant un semestre l’émotion au compte-gouttes. Je ne savais pas à quoi m’en tenir, tous les scénarios étaient envisageables à égalité. Il est à noter que je n’avais à ce point de l’enquête pas encore détecté aucune forme de cohérence chez cet être compliqué. Le doute était donc permis et l’espoir aussi, à condition d’être de nature optimiste. Très optimiste. Ou tout simplement aveugle, ce qui bien sûr était mon cas. Mon espoir était sans faille ; il m’introduisit à bien des chimères... que le doute exacerbât. On s’agace ! On s’enivre...
C’est ce moment-là que choisit la cible de tous mes espoirs pour annoncer son intention de " prendre le temps nécessaire à la réflexion. Vois-tu Billy, il ne faudrait pas précipiter.
– Oh mais je comprends parfaitement Lola ; d’ailleurs il ne faudrait pas non plus abuser. "
Je jouais gros sur ce coup-là... Sortant la carte de la fermeté. C’était risqué, car je naviguais à l’instinct en eaux troubles à travers une épaisse brume cybernétique attiré par le chant mélodieux d’une sirène des temps modernes. La sirène répliqua :
" Tiens dont... Alors t’es un comme ça.
– Parce que t’es une comment ?
– Une couci-couça, miaula-t-elle.
– À l’image de toutes les meufs ", genéralisai-je pour la chambrer. Sans se démonter Lola rendit la politesse :
" Réponse typique, dit-elle, du jeune mâle en manque de sensation.
– Dans ce cas tu peux te réjouir jeune chatte. Considère que chacun tient son rôle.
– Je vois... Mais désolée de te décevoir, minet, je crois que ton rôle n’est pas encore au point. Va falloir revoir ta copie. "
Et voilà chère Lola, sans grande surprise tu fous le camp comme d’habitude. Ça ne m’étonne même plus. Franchement, explique-moi pourquoi une jeune fille comme toi – sans scrupule – irait changer une formule qui gagne ?
J’aurais réparti en ces termes si Lola n’avait pas abruptement interrompu notre conversation. Trop court d’une répartie... Une fois de plus mon attentionnée correspondante s’était emparée du dernier mot.
J’étais profondément dégoûté. Mais que faire ? Impossible de contraindre une adresse IP à la courtoisie. C’est la jungle...
J’étais là, assis à rien faire en face des icônes de mon bureau. Le temps n’en finit plus derrière un écran. Comme si la fameuse goutte ne tombera jamais. Les nerfs s’aiguisent. On s’occupe l’esprit en faisant du tourisme virtuel. On feuillette les pages web. On s’hypnotise le cerveau. Les pensées s’agglutinent à milles fenêtres d’exploitation. Là où s’établissent les vies parallèles. Vies pas nécessairement dénuées de sens. Simplement immatérielles.
" Tiens, au fait Billy, je ne t’ai jamais demandé, tu fais quoi dans la vie ?
– Pas grand chose. Je ne suis même pas foutu d’être un simple rentier ! Et toi ?
– Qu’est-ce que t’as contre les rentiers ?
– Tu es vive d’esprit Lola, tu as tout de suite remarqué l’ironie de la formule.
– Va te faire foutre. Socrate du dimanche.
– Merci du compliment, ma chère crâneuse à la petite semaine. "
On jouait à se châtier. C’est toujours ça de pris, songeai-je. Je me consolais... Or le temps poursuivit son imperturbable progression sans donner beaucoup de signes encourageants. Nos contacts s’aiguisaient sans jamais se concrétiser. J’étais fasciné par sa capacité de discrétion. Quel tact ! Cette fille mettrait Paris en bouteille sans jamais y toucher.
À ce train-là ça pouvait encore durer longtemps. Je dus mettre les pieds dans le plat... en essayant de susciter le moins de remous possibles.
" Ce ne serait pas chouette de se faire confirmer par le réel ? Comme ça, sans se prendre la tête, histoire de. T’as pas envie de voir à quoi je ressemble en 3D ?
– Non. Mais merci pour la proposition. "
Sa candeur me soufflait. Lola sortait ses énormités sans forcer. Elle évoluait au sein des conversations avec féminité, c’est-à-dire en petit monstre.
" Au fait Billy, tu habites encore la maison familiale ?
– Oui. Et toi ?
– À mon âge ce serait indécent. "
Lola savait humilier l’air de pas y toucher.
" Enfin, se reprit-elle, il m’arrive de passer un week-end. J’apprécie la villa de papa. J’ai toujours eu un faible pour les grands espaces.
– Qu’entends-tu par "grands espaces" ?
– Oh... rien de bien extraordinaire, rassure-toi. Un modeste cent cinquante ares.
– La vache ! C’est la fortune oui ! Comment ton père a fait ? Attends, laisse-moi deviner, je parie qu’il coupait les mains des mauvais payeurs.
– Sur un point je t’accorde, mon père se révéla en effet homme d’affaire avisé.
– Il tape dans quoi ?
– Entreprise d’aménagement intérieur.
– C’est lui qui te finance ?
– Pas un rond ! À ce qui paraît je dois "apprendre à voler par mes propres ailes". J’ai roulé ma bosse dans le mannequinnat pendant dix ans. Comme tu l’imagines j’ai eu le temps de gratter.
– Tu as commencé jeune ? À quel âge ?
– Treize mais c’est courant dans le métier. Si tu voyais ces grandes perches de Russes... Ça me dégoûte, on dirait que les filles du monde entier se sont données rendez-vous à Paris pour venir bouffer dans notre gamelle.
– Je sais... Mais ne t’en fais pas, c’est partout pareil. Tu sais, d’un certain point de vue la concurrence généralisée nivelle les injustices.
– Je te laisse. "
Lola ne supportait pas la moindre contradiction. Un rien la vexait, l’irritait, la navrait, la blessait. Le pire est que mon intention n’avait jamais visé à contredire. J’avais bien trop besoin d’elle pour me permettre l’incartade. Mais peu importe mes intentions, Lola ne supportait tout simplement plus la réalité. Alors, dans de telles conditions, pouvait-elle nous supporter, moi et mon cerveau ? Bien sûr que non. Il ne faisait que peu de doute que je payerais très cher ma passion d’elle, j’étais conscient de la chose... mais incapable pourtant d’y remédier, prisonnier de mon désir d’amour, spectateur écœuré de ma propre impuissance.

Ecrit par Jokeromega, à 16:18 dans la rubrique "1.La farce des abîmés".
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Vendredi (18/05/07)
Les bienfaiteurs

--> épisode 6

" Aère-toi les méninges ! "
Mes parents, et les gens en général, avaient toujours une pièce à mettre au trou. Ça partait d’un bon sentiment : Sauver une vie (la mienne). Mais, comme tous les ravaudeurs, ils s’attaquaient à l’effet sans rien comprendre de la cause. Autant prescrire des rustines au Titanic ! Je n’ai jamais supporté les remontrances, ni les conseils, ni même les bonnes intentions, car jusqu’à présent j’ai toujours été seul à savoir ce qui se tramait sous la ligne de flottaison.
" Aère-toi les méninges ! "
Le problème avec les aides-soignants, surtout s’ils vous ont enfanté, c’est qu’ils se sentent investis d’une autorité absolue. Avez-vous jamais observé plus hiératique posture que celle de votre médecin de famille lorsqu’il vous prescrit l’ordonnance du jour ? Cet homme vous sauve la vie. Mieux, cet homme vous sauve de vous-même, car lui, contrairement à vous, possède la connaissance. Un diplôme difficile à obtenir est même accroché au mur dans un joli cadre doré. Le document surplombe la tête impassible de l’homme de science qui vous considère avec une bonhomie empreinte de gravité derrière ses lunettes de marque, assis sur son trône – pardon, son fauteuil – attablé au massif bureau en chêne. À plat ventre misérable vermine ! Voilà, Francis était mon médecin personnel. Et lui n’avait besoin d’aucun papier. Sa conviction suffisait.
" Aère-toi les méninges ! "
Les bienfaiteurs ne lâchent jamais. En proie à leur amour, j’avais intérêt à manifester la joie de vivre. Si possible endéans les trois prochaines secondes.
" Nom de...
– J’y vais p’pa ! J’y vais...
– Sa majesté a enfin consenti ? C’est pas trot tôt ! Tête de zombie. " Francis maugréa ensuite à voix basse pour lui-même mais mon ouïe fut assez fine pour déchiffrer quelque bribe : " ...détraqué garnement... à coups de bâton... moi de mon temps... etc. "
Mon père était un guérisseur à sa façon ; car subitement j’eus envie de foutre le camp (à jamais). Je descendis dare-dare taper les cents pas au pied de ma barre. Les "cousins" s’en donnaient à cœur joie. Lâche une balle les petits font le beau. Dépêche-toi... Dès onze ans le regard durcit, la voix s’enroue les joints aidant et très bientôt (pour fêter sa puberté) le gosse ramènera sous sa ceinture, vaguement dissimulé derrière une vareuse du Brésil ou de son pays d’origine, son premier "Mohammed" (nom affectif alloué aux pistolets. L’initié dira par exemple : " Eh ! Fais gaffe, lui manque pas de respect, Mohammed est venu avec. "). Dans la foulée viendra la première gicle, une fille facile du quartier, serrée vite fait au sous-sol. Les poteaux en embuscade ne manqueraient ça pour rien au monde. Ils savent qu’après ce sera chacun son tour... Probablement une peau claire, volontiers suceuse du moment qu’on est un peu gentil avec elle. " Dis-lui qu’elle a de beaux yeux tellement qu’on s’y perdrait comme dans le dernier Luc Besson ". On se transmet les clés de la maturité de grand à petit frère. La virilité grimpe à vue d’œil. Je dois dire que c’est assez effrayant comme processus. Mais une fois dépaysé ça vient tout seul. On se rend vite compte que l’incivisme est ce qu’il y a de plus naturel.
Bon, c’est pas tout ça, je philosophe béatement mais jusqu’à nouvel ordre on m’a demandé d’aérer mes méninges.
Je monte à bord du bus de la ligne 13 à destination du centre-ville. Les arbres défilent, semés au hasard, tout claqués... Je m’en tape de la verdure ; avec ma playstation la définition est meilleure. Tandis que je déchiffre les vandalismes ornant le dos de la banquette ci-devant (" nike sa mér l’Amérique, I lov Ben Laden "), un jeune issu des minorités visibles décide d’améliorer encore sa visibilité et, muni d’un gros sac à dos, déclare à tue-tête avec force et conviction : " Allahou akbar !! "
C’était prévisible, le bus se vide à l’arrêt suivant. Pourtant je reste fidèle au poste. Eh oui ! Ce petit farceur n’en est pas à son coup d’essai. Je l’ai repéré dès qu’il a mis un pied à bord. Lui et son acolyte se font des caméras cachées. L’un filme, l’autre interprète, les internautes en redemandent.
À présent les barres prennent le dessus sur le paysage, immeubles à six ou sept étages, petite ville urbaine malfamée, les tags piranhas tailladent les façades, d’aucunes voitures calcinées jonchent la route et un chat, à moins qu’il s’agisse d’un gros rat, se cache sous la roue avant droite d’une Peugeot 407 tunée. Là plus bas j’aperçois l’ancien Mestdagh, hier racheté Champion, aujourd’hui squat de vagabonds. Les pouilleux du quartier se regroupent sur le parking désaffecté où éclateront des bagarres d’ivrognes ou de junkies (ce qui est la même chose). Il arrive que les couteaux agrémentent la soirée. Le feu passe au rouge, le bus ralentit et s’immobilise, mon imagination poursuit lors que voilà une petite frappe qui déambule deux rues plus loin, épaisse veste en cuir, orbites enfoncées, balafré, pantalon à lignes en velours assorti d’une paire d’Air Max de contrefaçon chinoise (excusez la tautologie). Notre tête de Turc porte de grosses bagues aux doigts et c’est sans difficulté que je lui imagine une lame dans la poche. Sur son chemin il croise un groupe de rappeurs play-boy du genre à tomber les " salopes ", les " tassepé " ou les " biatch " sur du Bob Marley ou du R. Kelly. Le bandit et les branleurs sont sur le point de se croiser. La tête de Turc fixe droit devant tandis que le groupe de minettes fait semblant de regarder ailleurs. Pour ma part je sais que la partie sera serrée. Maghrébins, Noirs, pays de l’Est... les uniformes en bleu ont du pain sur la planche. La mixité s’annonce explosive : Trafic d’être humain, armes, stupéfiants, racket, terrorisme... Y en aura pour tous les goûts. Divers modèles sont mis à la disposition du délinquant escomptant gagner des galons. Au moment de choisir, il ne peut qu’avoir les yeux qui brillent. Plus tard, au moment de régler les comptes, il verse des larmes de crocodile sur la discrimination qu’il a subi toute sa vie. L’homme – quel qu’il soit – profite au début et passe le restant de ses jours à regretter. La racaille ne fait pas exception. Elle a juste un peu d’avance et la mémoire très courte et sélective.
Je mets pied à terre pour flâner. Je suis agréablement surpris, observant que les couples métissés sont à la hausse. " La race délite ! " se récrie Francis chaque fois qu’il sort (c’est-à-dire de moins en moins ; ça lui brise trop le cœur). Le vieux mercenaire l’a mauvaise ; des sales cauchemars remontent. Il faut dire qu’il mélange tout ; Perses, Afghans, Maures, Nègres... " Une balle dans le cul. C’est la seule solution ! " Il ne désespère pas totalement. Mon habitude est de lui rétorquer : " Qu’on crève tous ! " Je suis fatigué du genre humain dans son ensemble, j’ai perdu en cours de route la force de discriminer.
Un couple retient mon attention. Deux blancs-becs amourachés. Je m’identifie. On sent les corps complices ; son regard à lui descend sur son sourire à elle qui remonte ; la tendresse dégouline. J’hésite entre me fendre la poire ou le cœur et d’ailleurs je sens un début de fêlure. Ces deux-là me remémorent... Je rebrousse chemin. Marche interminable, j’habite loin et il faut se rendre à l’évidence, je ne suis pas un bus. Je m’obstine à pattes parce que je suis malheureux. Obstine-toi ! car sinon... Je mets en garde mon cerveau lui expliquant que je dois surtout pas y penser. Une averse éclate. Examen, analyse... peu de signifiance ! Je hais ces souvenirs. La pluie mitraille, mes mâchoires se crispent, amères, mains dans les poches je serre fort mon cafard, pour peu je chancellerais dans le caniveau empli de seringues et merdes de chien ; je vois rouge dans un décor délavé de gris. Les pavés glissent rapidement sous mes pas pressés, le muret de droite cavale, verdâtre et mal cimenté, quelques voitures parfois vrombissent du décibel. En plus de la drache je dois me taper le dernier rap tendance. En outre les bolides rentrent exprès dans les flaques d’eau pour t’arroser. Au diable ! Je suis pire que cette flaque. Elle n’en peut que retirer ! Ah ! ah ! Ma vie !... je suis bien morveux... battu par le vent et la flotte... J’ai montré l’infâme audace d’un jour plaire, oui plaire ! il y a si longtemps... à un être, une beauté oh malheur ! La plus belle du quartier ! que je croisais chaque jour et qui me tournait le boyau. J’ignorais chacun de ses si craquants sourires. M’approche pas ! Je pourrais te plaire... Je suis resté droit. Démarche rectiligne ! Comme à l’armée, j’ai de qui tenir. Bien calé dans le malheur... plus jamais apte au sourire.
La marée déverse le long des joues, le temps s’écoule, refoule, emporte... On est deux ans plus tôt, l’année précédente elle a eu terminé troisième de promotion, dès le départ tout le monde a craqué sur elle, profs comme étudiants, et recteur ! Même les femmes laides l’apprécient car jamais elle met en avant son sex-appeal, bienveillante envers tous et réservée quand il faut. Elle n’a qu’un défaut, comme dirait Arnaud Montebourg, c’est son François ; rencontré six mois plus tard ; section médecine ;... beau gosse, beaux sapes, bel air. En somme elle sort avec son futur époux. Voilà ce qui arrive – Billy Godefroy Leskens – quand on traîne des pieds. Il ne me reste plus que mes yeux pour pleurer et mater. De toute évidence c’est du sérieux. Elle dépose tant de bisous au creux de son cou... Je me sens mal, vite, donnez-moi un sac ; ça me retourne...
La météo devenait furieuse, jouissance ! férocité des éléments ! ballotté d’un pavé l’autre, les oreilles trempées je sentais le liquide glisser froid le long des tempes... chevilles ! genoux ! dos ! panse nez bras ! Je ruisselais. Et l’ivresse de plus belle se débobine dans tes neurones, mémoires assassines, mélangées, confondues, macédoine. Beau gosse, dulcinée, moqueries, humiliations, claques ! faible ! honte ! bassesse... mon père saoul déchu, maman dévote, Dieu ricane, la terre tournait nonchalante, zing ! zang ! d’autres mémoires ! sales marmots de maternelle, coups vaches de banlieusards, humiliations encore, bagarres perdues, les niques en public, et rien répondre, baisser le regard, oui, on finit par baisser son froc, mais tous ! un jour courberont l’échine. Je jubilais à la perspective, tous ! voués d’un même et commun destin fraternel, tous !... la poussière. On verrait bien ce qu’ils frimeraient les caïds à Mercedes coupé sport, on verrait bien qui de l’orgueil qui de la mort, on verrait ça et ce serait le plus délectable des spectacles, pure merveille de justice, tous enfin à sa place, point de parole plus haute que l’autre, tous ensemble... unis à jamais.
Retour à l’expéditeur. Aère-toi les méninges... je t’en donnerais moi ! On n’est plus tranquille nulle part, les visages sont partout. À la maison la sociabilité ne l’emporte pas mais la bouteille de trop arrive toujours à point nommé. Le salopard s’endort... La flotte noie le chagrin et envoie roupiller les plus récalcitrants dans un fauteuil dégueulasse. Mais moi, buveur de Cécémel... J’ai pas hérité du même coude. Moi, j’ai qu’à faire comme j’ai toujours fait. Tirer les tentures. Hermétique. Je fais ça proprement. Je m’accroupis dans le placard. Les pleurs d’abord, désespéré ensuite et tapi dans l’ombre jusqu’au bout de l’obscurité. À cent mètres la gosse ! Je me souviens... Je vacillais !... y penser suffisait... à la moindre évocation mon cœur se déchirait. Je le sais ! Je survivrai pas... Voilà, j’osais plus m’aventurer. Eh oui, déjà ! hélas...
La petite fée crut que j’étais un monstre de froideur. C’était presque ça ! J’étais, en fait, un monstre tout court. Je subissais des fantasmes infernaux, j’avais la dalle de Belzébuth et rien à me mettre sous la dent. L’imagination se chargeait du reste. Prendre. Salir. Posséder. Faire avaler l’amour et l’éternité de soi. Petite biche apeurée dans l’obscure forêt d’un couple impossible. Je m’imaginais !... C’est dans cet esprit que, sur le dos confortable, je m’étais fait. Au moment où, ma mère était entrée subrepticement. Dans mon élan j’avais omis de verrouiller la porte de ma chambre.
" Ciel Dieu ! "
Ginette avait d’urgence remis mon lieu dans son état initial.
" Seigneur pardonne-nous nos offenses, bla-bla-bla, bla-bla-bla. " Elle fuyait d’horreur, poursuivie par mon fou rire de dératé.
Après lequel coming out si vous me permettez l’expression, je pris une fois pour toute le pli du réseau. Que voulez-vous, c’était trop loin. Déjà taciturne avant l’avènement, les contacts matériels s’estompèrent. Je privilégiais la cybercommunication poste à poste. Un bon petit soldat... On creuse nos tranchées. On rencontre par le réseau ; on abandonne par le réseau. Des liens s’initient. Nous mettons en commun nos échecs. Nous sommes des échecs. Beau paquet d’âmes paumées. Nous formons une sous-catégorie environ humaine, mirifique magma d’errors data, gaffe à l’infini, nous sommes la communion, dégouttante de partout, implacable plurinévrose. Entre maudits on sait se sourire. Nous l’ignorions en ce temps-là, mais nous étions les précurseurs d’une génération de mutants hostiles à la vie concrète de l’animal ; nous annoncions une créature abstraite, inédite et comme jamais nuisible. Ça y était vraiment ce coup-ci. On avait franchi un cap décisif. Plus loin encore ! Déjà qu’on venait de loin... Parce que... L’enfant doit mourir, c’est ainsi, on n’y peut rien, il faut accoucher. Chaque homme est l’assassin d’un enfant. Son enfant intime, là tout là-bas, dans le bide de jadis.
Les innocents ne sont pas encore nés.
Je me souviens, la maternelle. Deux mioches à la balançoire, un groupe de sept joue aux billes, mon meilleur copain me bourre de sable les orbites. Je n’y vois strictement plus rien. Très bien. Si j’avais su, me serais-je dessablé ?
Le sablier expire bientôt, je dois raconter une dernière fois l’histoire. Une dernière fois...
Un cabinet de dentisterie, des spots, le dentiste. " On va remettre ça en ordre ! " Miroir m’est présenté. Je voudrais le briser. Mais on m’a dit que ça porte malheur... J’enterre donc la hache de guerre. Mais c’est ce con qu’y faudrait enterrer. " Vos dents je vous le jure, constituent un cas d’école ! Croyez-moi, à Louvain le professeur organiserait une opération en public. Quelle opportunité ! À part la dentition japonaise je ne vois rien de similaire. Soyez-en fier ! "
Apparemment fallait fouiller côté nippon. Je me représentai la bouche d’une gentille nipponne. Ça n’allait pas aller. Moi, je voulais une petite pépée avec des yeux bleus qu’on voyait dans les magazines. Je pris peur ! S’ensuivit ce qui devait s’ensuivre...
" Ha ! Bordel... Ma main ! Ha !! Putain ça fait mal... " jura le dentiste en arrachant ses doigts de mes incisives. " Qu’est-ce qui t’a pris ! Je t’ai fait mal ? " En effet, je souffrais ; mais d’un mal ineffable.
" Sais pas m’sieur. Un réflexe je crois.
– Attention ce coup-ci ! Tiens, prends ça... " Il m’enfonça un mors dans le gueulard. Impossible de mordre autre chose. Fait comme un rat... Un rat muselé ! Mutique donc. Mutique toute ! Alors il s’employa à me rassurer. " Oh oui ! Les plus émérites mèneront une carrière entière pour une fois seulement, s’ils ont la chance, beaucoup de chance, connaître un cas proche – mais comme toi ? – c’est la chance d’une vie ! C’est pour la postérité. Toi : Tu peux écrire l’histoire. " Solennel, les yeux émus. J’étais soigné c’est sûr. " Ça va ? " Je grognai trois fois en guise de réponse. " Tu dis ? " Trois grognements de plus. " Ciel ! J’oubliais !... " Il ôta l’embouchoir pour que je puisse répondre " ça va ". Il remboucha, son visage s’illuminait sans plus aucun obstacle. J’en croyais pas mes yeux. Telle dévotion... Fallait voir ça. Mais le plus beau c’était encore son assistant. L’état dans lequel il se mettait... yeux mille fois fascinés !... me reluquait comme si j’étais Mona Lisa, la lèvre vibrante, un peu d’écume, le regard plein d’amour... La vocation. J’en craignis pour mes fesses, des fois que. Mais non, c’était une idée, une indue. L’assistant se contentait d’épauler son maître dans sa transe. Le chef paraphrasait plein d’emphase, d’éclat, triomphe !... L’élève s’émouvait, gesticulait, chaque bon mot faisait prétexte, chaque son, chaque phonème !... il mimait à l’image de son maître.
Pour apprécier le drame à sa juste valeur, faut se représenter la scène. Le maître braquait son spot. " Vous voyez Herbert (son assistant) ? Là ! Vous voyez ? Ha ! Je vous l’avais bien dit ! " Sa torche me livrait au grand jour, j’avais l’impression que Ra dieu du soleil m’en lançait, Herbert frissonnait, n’y tenant plus, mais du tout !... mouillait ! Un fou ! Ça le prenait jusqu’en bas, j’ai vu ! Herbert s’est empoigné, comme ça ! Vla ! D’un coup ! Elles lui ont remonté d’au moins dix bons centimètres. Facilement ! Le vice médical... Sortis d’une vie de défonce, disait la rumeur, les deux !... De nombreux trips. En connaisseurs... des goûteurs ! Les pires – ceux qui avalent n’importe quoi, à commencer par la poudre à lessiver de grand-maman (avant de chiper du capital dans le vase où elle cache sa pension). Leurs peaux étaient atrocement poinçonnées... des râpes à fromage... vrai champ de bataille. 14-18 ! Dès lors... Franchement... Fallait pas s’attendre à beaucoup de considérations extra-médicales, le chef défendait le sens pratique des choses. " La praxis et c’est tout ! " Il en revenait lui, d’une vie de jouissances, il savait lui ! Chiqué ! Vanterie ! Il s’inquiétait de la mécanique – " pas de fioritures !
" Tu ne souffres d’aucun problème de mastication ? Non, évidemment... tes molaires sont préservées. Pas de problème de diction ? " Je grognai à nouveau. " Parfait ! " Herbert se frotta les mains tandis que son chef aiguisait sa fraise. " Eh bien mon petit, je vais te faire une confidence, entre nous n’est-ce pas ! Tu sais quoi ? Tes dents... je les envie. " Il indiqua à son compère. " Admire-moi cette qualité d’émail ! Herbert confirmera ! (Herbert confirma hochant la tête comme un toutou surexcité) Mais surtout, et tiens-toi bien... " Le maître attrapa la maxillaire. " Tes écarts là... c’est une bénédiction ! Ta bénédiction ! Tu ne me crois pas ? Je vois bien ! Hésite ? Mais penses-y mon petit ! Sans tel jeu d’écarts la nourriture pourrait se coincer entre les dents et peu à peu pourrir. Pourrir ! " L’assistant acquiesçait, s’épongea le front et s’invita dans la conversation. " Après quoi il faut implanter des fausses. " Il se mit à glousser. " Mais toi ! reprit son chef, toi ? Jamais !... Ça ne t’arrivera jamais ! Sinon avant des décennies... Tu conserveras tes propres dents très vieux dans la vie. Tu as beaucoup de chance, tu sais, mon petit.
– Oh oui, s’exclama Herbert, tu peux faire confiance au docteur. "
Papa fut réconforté d’apprendre qu’il n’était aucune nécessité, autre que celle facultative d’esthétisme. " Bouche robuste ! " Je ferais un bon soldat. Par ailleurs je serais épargné d’un appareil dentaire toujours délicat à cet âge des moqueries. Eh oui, Herbert et son maître s’étaient ravisés au dernier moment : " Laissez-lui se faire les dents. " Papa était soulagé. " Sale garnement, tu auras causé bien du souci à tes pauvres parents. " Pourtant maman lui avait bien dit que c’est pas la caserne ici. " Fais preuve d’amour ! C’est un enfant, après c’est fini... " Ils se chamaillaient en dépit du bon sens. Quant à moi, en tant qu’enfant j’étais mort. Dieu avait cessé de remplir le Pourquoi de son omniprésence. Restait plus qu’à apprécier la visite touristique qu’est la vie.
" Maman j’ai mal !
– Non Billy, tu n’as pas mal. " Je protestais. " Non chéri, c’est une illusion. " Je montrais mon bleu. " Mon cœur, rappelle-toi que la matière ne possède aucun pouvoir. Elle est suggestion.
– Le mal est matière ?
– Le mal est malin et le malin est illusion et origine des illusions. Le mal ne peut exister que si tu lui accordes crédit. Si tu reconnais son illusion il n’aura aucun... " Elle s’était posée, avait gonflé les poumons. " AUCUN pouvoir sur toi. Ni lui ni sa suggestion de maladie, de souffrance ou de tristesse. " Je fis une pause. Maman continuait de repasser soigneusement.
Dès qu’on gratte ça démange. La théologie est un jouet facultatif et périlleux, la vraie foi réside chez les vierges de treize ans. Tant que ça va cool on préfère rester dans son hamac. C’est la chute de hamac qui m’a traumatisé, elle a cassé l’auréole à mon univers.
" Dis maman, il vient d’où le malin ?
– De nulle part mon chéri, il n’existe pas.
– Comment il m’embête alors ?
– Il ne t’embête pas mon chéri. Il ne saurait point puisqu’il n’existe pas.
– Quand j’ai mal ça n’existe pas ?
– Exactement mon chéri, exactement. "
C’était bien vu comme système mais je suis du genre à me rassasier difficilement. C’est pas facile d’être mon parent. Je trouve toujours un moyen de tout gâcher.
" Si le mal existe pas, pourquoi alors tu dis que je dois pas mettre la main dans le feu ?
– Ce serait mettre Son pouvoir à l’épreuve. Douter de Lui est un péché grave.
– Quand sait-on que c’est un péché grave et pas une illusion de péché ?
– Étudie mon chéri, étudie, et la connaissance de cause viendra. "
La connaissance de cause…
Ainsi de mémoire en mémoire... longue lasse fanfare, loin loin loin... tout le noir y passa, tout !... Togo il appelait, appelait ! appelait !... " Non... non Togo, non... demain, plus tard, je te dirai, oui, t’inquiète, on verra ça... " – "  Mais oui, sûr... " – " Mais non, tout baigne. " Je débranchais plus mon cortex du système d’exploitation. Après un an non stop la situation devient irrécupérable. Maman se posait des questions mais le système sut répondre à mon vide. Le système comblait chacun. Et chacun comblait le système.

Ecrit par Jokeromega, à 08:46 dans la rubrique "1.La farce des abîmés".
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Dimanche (13/05/07)
Réinscription!

--> épisode 5 (ver.2)

Je me réveillai en sursaut le front trempé. J’écartai une dernière fois la tenture. Du gris partout. Ciel, blocs, gens. L’univers faisait la gueule. Tant mieux, comme si l’univers en personne m’invitait à rester chez moi. Laisse Billy... laisse suffisamment d’eau couler sous les ponts. Laisse courir les mauvaises rumeurs. Faut les essouffler ! Patience... La mauvaise herbe est résistante. L’heure viendra... Mords sur ta chique ! La solitude sollicite tes nerfs mais perds-tu au change ? Réfléchis gros malin ! Ici ou ailleurs... La paix ! Du moment que.
Si seulement la paix !... Or mes émotions livraient bataille. Mais je refusais de capituler ; dérivant tout seul comme un grand.
Bien des événements se présentèrent à mon souvenir... mais cela est si loin, si loin... et le temps me manque, il accélère ! sans pitié. Il ne restera que les grandes lignes. Vraiment, on ne se souvient que de l’aigu. Le souvenir est une vaste ruine.
Je revois cette fille prénommée Lola. Â Lola... Comment déjà que ça avait commencé tout ça ? Lola... Oui, comme cela. Mais d’abord il y avait eu cette lente et longue descente. Cette lente et longue descente. La pieuvre binaire bouffait les brebis égarées.
L’expérience virtuelle attire de son chant mélodieux... Elle comble le vide qu’elle met en évidence. En fait, elle remblaie.
Nous disions solitude ? Des interconnectées... On aligne les zéros que nous sommes. Ô être humain... victime de ta propre invention, tu l’aimes ton Frankeinstein ! Nous sommes des excroissances reliées. Des no life.
Mais qui peut prétendre vivre ?
Le grésil de pixel brûlait nos prunelles. Nous participions à une expérience géante. Une expérience dont personne ne sortirait indemne. Car nous étions le fruit de l’homme. Créature de créature.
" Salut, connectée depuis longtemps ?
– Non. Comme toi je viens d’arriver.
– Tu vas bien ?
– Non, et toi ?
– Aussi mal.
– Tu fais quoi ?
– J’essaye d’aller bien. Et toi ?
– Je me scarifie. Bon, je te laisse.
– :’-(
– Keep cool. "
Le chômage, l’immigration, la pollution, le terrorisme, le divorce, la drogue... Le monde s’ouvrait. La terre était notre mère. Notre mère était une catin. Toutefois, début millénaire nous n’étions qu’une minorité à surfer du lever au coucher. Nous étions l’écume annonçant l’océan.
Il y eut des suicides en direct et en public. Toronto, Sydney, Tokyo, Paris, Bruxelles, Bali, Beyrouth, New-York... Webcams partout.
" Elle l’a fait, tu as vu ?
– J’étais connectée.
– C’est triste. "
Le curseur scintilla lentement.
" Sans doute.
– Pourquoi sans doute ?
– Je sais pas.
– Pourquoi tu parles alors ?
– Pour tuer le temps.
– Elle est morte c’est triste.
– Vivre est encore plus triste. "
Il y eut de bonnes choses. Il y en eut de moins bonnes. Nous étions simplement confrontés à un séisme.
" Je vais me suicider.
– N’en fais rien ! S’il te plaît...
– Trop tard.
– Pourquoi ?
– Aucune idée.
– Pourquoi le faire si tu ne sais pas ?
– Justement. Parce que je ne sais pas. Je ne supporte plus mon ignorance.
– Arrête tes caprices. C’est absurde !
– Raison de plus... Bon, je dois y aller.
– Attends !
– Non, c’est important.
– Quoi ?
– On m’attend. Un anniversaire. "
Il y avait de tout. Méfiance ! Surtout les adolescentes ; elles crient souvent au loup.
Ding dong.
" Billy ! Nom de Dieu Billy ! Merde ! Il roupille encore ce lascar... " Francis s’émoussait sans se douter un seul instant que ma temporisation visait à le chatouiller. Je m’ennuyais ferme depuis trop longtemps... L’idée que le volume montât enfin n’était pas pour me déplaire. Je me souvenais avec délectation que papa était passé entre les mains du "Limbourgeois" sergent-chef instructeur de son état, homme fort en excellente santé n’ayant jamais caché son léger faible pour Mick Jagger. Ça avait laissé des traces au niveau des pavillons et le gosier s’était naturellement accordé, il savait quoi... Pour couronner le tout papa s’était payé le luxe de rentrer à moitié sourd d’Afghanistan. " On a été pris au piège d’un tir croisé de snipers ", m’avait-il avoué en hurlant à son retour et, comme souvent dans ces cas-là, la déveine ne s’était pas arrêtée en si bon chemin. " Malheureusement, il faut que tu saches, mon fils, que la veille notre stock de mortier avait été pillé. Ton gentil papa était fait comme un rat.
– Dis maman, ça veut dire quoi "Faire un rat ?".
– Ça veut dire mon chéri, développa Ginette, que c’est le moment ou jamais de s’en remettre au Tout Puissant.
– Ouais, c’était l’enfer, on se serait cru à Woodstock. Tu vois le tableau ? hurlait papa dans mes oreilles. Voilà, je suis encore vivant. "
C’est donc avec nostalgie que j’accueillis cette nouvelle poussée de décibels.
" Biiiiill...Y !!! Noooom de nom de renom d’ennn...foiré de fils du chameau ! "
Histoire de ne surtout pas l’agacer je me fis le plus ingénu possible :
" Papa chéri ? susurrai-je, mon oreille a-t-elle bien apprécié, aurais-tu, à tout hasard, émis un appel ?
– C’est pas trop tôt tas de fainéant ! Espèce de triple vaurien ça t’amuse ? Quelqu’un pour toi. " Francis ajouta : " Sale petit con. " Murmurant entre ses dents : " Je t’apprendrais moi... Si seulement ta mère m’avait pas foutu ses bâtons dans les roues. " S’arrêta un instant pour méditer sur ses propres dires ; et hurla à bout de nerf : " Pauvre idiote ! On devait le dresser !
– J’ai fait ce que j’ai pu ! entendis-je maman sangloter au loin.
– Ah oui ? Je m’en vais te le dire moi : C’est tes caresses qui l’ont foutu en l’air ! s’enragea-t-il de plus belle. J’en ai marre, apporte-moi une bière. "
Des caresses ? Eh bien le Francis, on n’aura pas assisté au même film...
" BI-LLYyyyy ! renchérit-il (une fois lancé plus rien ne pouvait l’arrêter), qu’est-ce qu’y glande encore ce salopard ? Ça t’amuse, tu le fais exprès, t’en redemandes ? Je te préviens, joue pas au plus malin avec moi. BI...
– J’arrive, j’arrive... Inutile de hurler. Père, voici ton fils.
– Vaurien... ", maugréa-t-il épuisé tandis que je me dirigeais enfin à la porte.
J’ouvris.
" Ah, c’est toi Togo. Quoi de neuf mec ?
– Tranquille... et toi ? On ne t’a plus vu, ni de face ni de profil. C’est ce qui s’appelle sortir du radar !
– Devine pourquoi... "
Silence. On se tenait là, debouts comme deux couillons en manque de répartie. C’est pas ça, il me restait de l’intention, mais l’habitude se perd quand même. Vivre en société exige, l’homme sensible s’en aperçoit assez vite, une réelle dose d’humour. Mais une blague peut vite tourner court. Chaque regard introduit l’inquisition, chaque bouche viole, chaque rictus est de trop. Rare l’âme bienveillante ; et plus rare encore l’âme congrue. Chaque interlocuteur cache un envahisseur, chaque protagoniste un oppresseur. Bien souvent les importuns ne le font même pas exprès. Le terrorisme commence souvent par un sourire.
À toi de passer inaperçu, me dis-je, et j’ajoutai à voix bien haute : " Je t’ai bien eu ! "
Mais Togo n’était pas un vélo. Il reniflait ce genre d’escroquerie. " Qu’est-ce qui cloche chez toi, Billy ?
– Ma sonnette, 7euros50 au Brico.
– Esquive pas ! Mon petit pote... Ça fait un bail que t’es planté là on se demande à quoi... T’as dû la cogiter, non ? Tu t’y connais toi, en théories. " Il avait tout en s’expliquant de son poing tapoté mon crâne. Un bon gars... Un vrai gars à moi. Il ne pourrait rien y changer mais c’était bien essayé.
" Viens Togo. On va taper des sprints.
– Des sprints ?
– Des sprints Togo. Comme au bon vieux temps. À l’arrache. Pas d’esquive !
– Ça roule ma poule. "
La nuit s’était infiltrée en les moindres recoins, seuls les lampadaires accompagnaient nos ombres. Les corps laissaient les instincts s’exprimer, les sentiments se simplifiaient. Tout bien pesé, décrétai-je en moi-même au terme d’une cavale particulièrement éprouvante, l’homme n’est jamais tant à sa place que lorsqu’il court comme un cheval. Alors il rayonne, heureux sans chichi, alors il cesse la triche, heureux pour de bon sans tout le barda dans la tête. Rien ne peut approcher la plénitude de l’effort, là, juste au zénith, dans l’adrénaline et la sueur, en latence de soi-même, on survole son existence. Mieux. On s’en balance de son existence. On existe sans rendre de comptes. Comme un chien, une girafe, un phoque. Parce qu’on est restés des singes, des singes qui un jour se sont fourrés trop d’embrouilles dans le cassis.
" Eh bien Togo, j’aurai rarement autant savouré une séance de décrassage. Et toi, pas trop cassé ?
– Justement... Qu’est-ce que t’en dit, on se ferait bien un petit lupanar, y a une demi-douzaine de thaïlandaises qui viennent de débarquer. Viktor m’a passé le mot. Alors, partant ? "
Togo me sidérait, je le voyais pas trop pince-cul et pour tout un tas de raisons, à commencer par sa madame et la gosse, puis sa belle petite gueule et la tchatche facile. Il savait tomber n’importe quelle canon un tant soit peu disposée. Quelle mouche l’avait bien piqué ? Aller s’enferrer dans pareil projet...
" Allez, viens... insista-t-il afin de déjouer ma tergiversation. Putain !... T’en fais une de tronche... T’es jamais allé ou quoi ? "
Perplexe, j’évitais son regard. Du coup son regard redoubla d’intensité. La marche arrière lui était exclue. Il ne pouvait plus ; il avait été trop transparent trop vite ; fallait maintenant aller au bout. Ça me navrait de le lui dire, mais il devait comprendre coûte que coûte, que ça n’allait pas être possible (pour tout un tas de raisons dont je me réserverais l’intimité).
" Je ne comprends pas, articulai-je.
– Mais y a rien à comprendre couillon ! C’est baiser qu’y faut faire. "
Quelque chose me chiffonnait. J’eus la faiblesse de le confier.
" Je te vois mal dans te tels draps, ça colle pas. Puis, franchement, serait-on pas ignobles d’aller fourrer ensemble... comme des bestiaux ? "
Le retour fut morose et silencieux. Entre êtres humains, au bout d’un certain temps, on s’aperçoit qu’il n’y a réellement que le silence qui puisse nous lier. C’est pas pour rien les cimetières. Ils mettent d’accord tout le monde.
" Togo... "
Sur le point de partir, Togo s’interrompit, questionna mon visage.
" Sinon... la famille... comment va ?
– La famille... " reprit-il pensivement.
Comme si c’était le moment d’évoquer ! Crétin de Billy. Trop tard maintenant...
" La famille... Tous les jours que Dieu fait, quand je me lève, j’ai ce petit bout de chou que ses prunelles écarquillées me fixent... Ça vaut tous les shoot du monde. Crois-moi. T’entends, le vrai trip c’est donner la vie. "
Je l’écoutais attentivement. Sinon j’en donnais l’apparence. Sans trop savoir moi-même. Peu importe.
" Et ça... " Il ponctua sa thèse. " Y a que le jour de l’accouchement que tu le pigeras. " Pensif deux secondes. " Ce jour-là deux naissances ont lieu. "
Togo commençait à se prendre pour un poète. J’aurais dû la sentir ; quand ils s’attendrissent faut se méfier. Ça sent l’oignon, ils finiront par se prendre pour le curé ! Si on ne réagit pas à temps faudra supporter leurs sermons évidents comme le nez au milieu de la figure. Le pire, songeai-je, Togo a probablement raison. Oui, probablement... mais moi je bite que du Baudelaire. Le reste sent trop le fumé.
" Et la petite femme ? (Je le sondais.)
– Rebelote, dix kilos de plus. "
Quoi de plus normal, me dis-je, une fois qu’elles sont casées. Avant de reprendre la parole je me souvins toutefois qu’un malheureux n’a pas besoin de la réalité per se mais bien plutôt d’encouragements.
" Oh tu sais Togo, les poulettes ont leurs phases gâteaux mille-feuilles. Mais vois-tu, ça peut se rétablir d’un coup net, comme ça – en quoi ? – deux-trois mois, parfois trois-quatre semaines. Tu serais bien étonné, fidèle ami, des résultats du régime "une pomme par jour". Allez vieux, te fais pas de mouron. Ça viendra...
– Je la serine Billy !... " Togo soupira. " Rien à faire, ce sera jamais une sportive. Elle attrape des crampes en soulevant le balais. Pas moyen, une vraie barque. "
J’allais le contredire mais je nous aurais manqué de respect. " C’est moche ", formulai-je sobrement. Et effectivement c’était moche.
" J’attends la majorité de ma gosse.
– Le temps que la petite se trouve un mac... "
Togo me dévisagea. Il n’avait pas apprécié le trait d’humour.
" Je plaisante...
– Je m’en doute, dit-il, je m’en doute. Je te fais marcher.
– Et je cours. Tu me phones alors ?
– Compte sur moi. "
Je laissai la grosse porte de fer se rabattre dans son cadre métallique. J’avais un drôle de goût en bouche. Le bavardage ne me disait rien vaille. Je me sentais indigne. Ça n’allait pas. Les hommes... nous tous ces existences... on se marche sur les pieds... on se piétine l’honneur. Vagabonds l’un sur l’autre. Ha...! Les évocations en profitent... attendent que ça ! On se refile les saloperies, on s’inscrit le disque dur, tout le catalogue défile... humiliations, abaissements, avilissement, à l’odeur incrustée, qu’on traînera jusqu’au bout, jusqu’au bout.
Ce soir-là je m’endormis d’exhaustion. Le lendemain après-midi je m’éveillai veule et battu, entouré d’évocations. Rien n’avait changé depuis la veille.
Les évocations...
" Salut, moi c’est Julie. " Ses yeux ajoutaient : " Je te trouve mignon. " Des tout bleus, tirant sur le gris. Un truc de chatte ! Du coup... je me sauvais. Tout vilain... Je voulais pas ! Sans moi la caille. La drague ? Non merci, elles exigent trop de sourires, des bien grands bien cons. Évidemment se pose alors le problème de la relation autosexuelle. On se trouve vite plein les doigts.

Ecrit par Jokeromega, à 05:17 dans la rubrique "1.La farce des abîmés".
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Samedi (12/05/07)
Inscrit sur le disque dur

--> épisode 5

Je me réveillai en sursaut le front trempé. J’écartai une dernière fois la tenture. Du gris partout. Ciel, blocs, gens. L’univers faisait la gueule.
Le temps passa, je faisais en sorte... Il devait absolument passer. Des mauvaises rumeurs traînaient à mon sujet...
La solitude sollicitait mes nerfs mais perdais-je au change ? Ici ou ailleurs... La paix ! Si seulement... Mes émotions livraient bataille. Et je refusais de capituler ; dérivant tout seul comme un grand.
Bien des événements se présentèrent... mais cela est si loin, si loin... et le temps me manque, il accélère ! sans pitié. Il ne restera que les grandes lignes. Vraiment, on ne se souvient que de l’aigu. Le souvenir est une vaste ruine.
Je revois cette fille prénommée Lola. Â Lola... Comment déjà que ça avait commencé tout ça ? Lola... Oui, comme cela. Mais d’abord il y avait eu cette lente et longue descente. Cette lente et longue descente. La pieuvre binaire bouffait les brebis égarées.
L’expérience virtuelle attire de son chant mélodieux... Elle comble le vide qu’elle met en évidence. En fait, elle remblaie.
Nous disions solitude ? Des interconnectées... On aligne les zéros que nous sommes. Ô être humain... victime de ta propre invention, tu l’aimes ton Frankeinstein ! Nous sommes des excroissances reliées. Des no life.
Mais qui peut prétendre vivre ?
Le grésil de pixel brûlait nos prunelles. Nous participions à une expérience géante. Une expérience dont personne ne sortirait indemne. Car nous étions le fruit de l’homme. Créature de créature.
" Salut, connectée depuis longtemps ?
– Non. Comme toi je viens d’arriver.
– Tu vas bien ?
– Non, et toi ?
– Aussi mal.
– Tu fais quoi ?
– J’essaye d’aller bien. Et toi ?
– Je me scarifie. Bon, je te laisse.
– :’-(
– Keep cool. "
Le chômage, l’immigration, la pollution, le terrorisme, le divorce, la drogue... Le monde s’ouvrait. La terre était notre mère. Notre mère était une catin. Toutefois, début millénaire nous n’étions qu’une minorité à surfer du lever au coucher. Nous étions l’écume annonçant l’océan.
Il y eut des suicides en direct et en public. Toronto, Sydney, Tokyo, Paris, Bruxelles, Bali, Beyrouth, New-York... Webcams partout.
" Elle l’a fait, tu as vu ?
– J’étais connectée.
– C’est triste. "
Le curseur scintilla lentement.
" Sans doute.
– Pourquoi sans doute ?
– Je sais pas.
– Pourquoi tu parles alors ?
– Pour tuer le temps.
– Elle est morte c’est triste.
– Vivre est encore plus triste. "
Il y eut de bonnes choses. Il y en eut de moins bonnes. Nous étions simplement confrontés à un séisme.
" Je vais me suicider.
– N’en fais rien ! S’il te plaît...
– Trop tard.
– Pourquoi ?
– Aucune idée.
– Pourquoi le faire si tu ne sais pas ?
– Justement. Parce que je ne sais pas. Je ne supporte plus mon ignorance.
– Arrête tes caprices. C’est absurde !
– Raison de plus... Bon, je dois y aller.
– Attends !
– Non, c’est important.
– Quoi ?
– On m’attend. Un anniversaire. "
Il y avait de tout. Méfiance ! Surtout les adolescentes ; elles crient souvent au loup.
Ding dong.
" Billy ! Nom de Dieu Billy ! Merde ! Il roupille encore ce lascar... " Francis s’émoussait sans savoir que j’attendais non sans plaisir qu’il montât le volume encore un peu.
" Billy nom de nom de renom d’un fils du chameau ! "
– P’pa ?
– C’est pas trop tôt tas de fainéant. Espèce de vaurien ça t’amuse ? Quelqu’un pour toi.
– J’arrive, j’arrive... Ah, c’est toi Togo. Quoi de neuf mec ?
– Tranquille... et toi ? On ne t’a plus vu ; sorti du radar !
– Devine pourquoi... "
Silence. On se tenait là, debouts comme deux couillons en manque de répartie. C’est pas ça, il me restait de l’intention, mais l’habitude se perd quand même. Vivre en société exige, c’est peu de le dire, une réelle dose d’humour. Mais une blague peut vite tourner court. Chaque regard introduit l’inquisition, chaque bouche viole, chaque rictus est de trop. Rare l’âme bienveillante ; et plus rare encore l’âme congrue. Chaque interlocuteur cache un envahisseur, chaque protagoniste un oppresseur. Bien souvent les importuns ne le font même pas exprès. Le terrorisme commence souvent par un sourire.
À toi de passer inaperçu, me dis-je, et j’ajoutai à voix bien haute : " Je t’ai bien eu ! "
Mais Togo n’était pas un vélo. Il reniflait ce genre d’escroquerie. " Qu’est-ce qui cloche chez toi, Billy ?
– Ma sonnette, 7euros50 au Brico.
– Esquive pas ! Ça fait un bail que t’es planté là on se demande à quoi... T’as dû la cogiter, non ? Tu t’y connais toi, en théories. " Il avait de son poing tapoté mon crâne. Un bon gars... Un vrai gars à moi. Il ne pourrait rien y changer mais c’était bien essayé.
" Viens Togo. On va taper des sprints.
– Des sprints ?
– Des sprints Togo. Comme au bon vieux temps. À l’arrache. Pas d’esquive !
– Ça roule ma poule ! "
La nuit s’était infiltrée, les lampadaires accompagnaient nos ombres. Les corps laissaient les instincts s’exprimer, les sentiments se simplifiaient. Tout bien pesé, l’homme n’est jamais tant à sa place que lorsqu’il court comme un cheval. Alors il rayonne, heureux sans chichi, alors il cesse la triche, heureux pour de bon sans tout le barda dans la tête. Rien ne peut approcher la plénitude de l’effort, là, juste au zénith, dans l’adrénaline et la sueur, en latence de soi-même, on survole son existence. Mieux. On s’en balance de son existence. On existe sans rendre de comptes. Comme un chien, une girafe, un phoque. Parce qu’on est restés des singes, des singes qui un jour se sont fourrés trop d’embrouilles dans le cassis.
" Hé ! On se ferait bien un petit lupanar. "
Togo me sidérait, je le voyais pas trop pince-cul et pour tout un tas de raisons, à commencer par sa madame et la gosse, puis sa belle petite gueule et la tchatche facile. Il savait tomber n’importe quelle canon un tant soit peu disposée.
" Allez, viens... insista-t-il pourtant, pourquoi tu tires cette tronche, t’es jamais allé ou quoi ? "
Perplexe, j’évitais son regard. Du coup son regard redoubla d’intensité. Il en voulait.
" Je ne comprends pas, articulai-je.
– Mais y a rien à comprendre couillon ! C’est baiser qu’y faut faire. "
Quelque chose me chiffonnait. J’eus la faiblesse de le confier.
" Je te vois mal dans te tels draps, ça colle pas. Serait-on pas ignobles d’aller fourrer ensemble... comme des bestiaux ? "
Le retour fut morose et silencieux. Entre êtres humains, au bout d’un certain temps, on s’aperçoit qu’il n’y a réellement que le silence qui puisse nous lier. C’est pas pour rien les cimetières. Ils mettent d’accord tout le monde.
" Togo... "
Sur le point de partir, Togo s’interrompit, questionna mon visage.
" Sinon... la famille... comment va ?
– La famille... " reprit-il pensivement.
Comme si c’était le moment d’évoquer ! Crétin de Billy. Trop tard maintenant...
" La famille... Tous les jours que Dieu fait, quand je me lève, j’ai ce petit bout de chou que ses prunelles écarquillées me fixent... Ça vaut tous les shoot du monde. Crois-moi. T’entends, le vrai trip c’est donner la vie. "
Je l’écoutais attentivement. Sinon j’en donnais l’apparence. Sans trop savoir au juste. Peu importe.
" Et ça... " Il ponctua sa thèse. " Y a que le jour de l’accouchement que tu le pigeras. " Pensif deux secondes. " Ce jour-là deux naissances ont lieu. "
Togo commençait à se prendre pour un poète. J’aurais dû la sentir ; quand ils s’attendrissent faut se méfier. Ça sent l’oignon, ils finiront par se prendre pour le curé ! Si on ne réagit pas à temps faudra supporter leurs sermons évidents comme le nez au milieu de la figure. Le pire, songeai-je, Togo a probablement raison. Oui, probablement... mais moi je bite que du Baudelaire. Le reste sent trop le fumé.
" Et la petite femme ? (Je le sondais.)
– Dix kilos de plus. "
Quoi de plus normal, me dis-je, une fois qu’elles sont casées. Avant de reprendre la parole je me souvins toutefois qu’un malheureux n’a pas besoin de la réalité per se mais d’encouragements.
" Oh tu sais Togo, les poulettes ont leurs phases gâteaux mille-feuilles. Mais vois-tu, ça peut se rétablir d’un coup net, comme ça – en quoi ? – deux-trois mois, parfois trois-quatre semaines. Tu serais bien étonné, fidèle ami, des résultats du régime "une pomme par jour". Allez vieux, te fais pas de mouron. Ça viendra...
– Je la serine Billy !... " Togo soupira. " Rien à faire, ce sera jamais une sportive. Elle attrape des crampes en soulevant le balais. Pas moyen, une vraie barque. "
J’allais le contredire mais je nous aurais manqué de respect. " C’est moche ", formulai-je sobrement. Et effectivement c’était moche.
" J’attends la majorité de ma gosse.
– Le temps que la petite se trouve un mac... "
Togo me dévisagea. Il n’avait pas apprécié le trait d’humour.
" Je plaisante...
– Je m’en doute, dit-il, je m’en doute. Je te fais marcher.
– Tu me phones alors ?
– Compte sur moi. "
Je laissai la grosse porte de fer se rabattre dans son cadre métallique. J’avais un drôle de goût en bouche. Le bavardage ne me disait rien vaille. Je me sentais indigne. Ça n’allait pas. Les hommes... nous tous ces existences... on se marche sur les pieds... on se piétine l’honneur. Vagabonds l’un sur l’autre. Ha...! Les évocations en profitent... attendent que ça ! On se refile les saloperies, on s’inscrit le disque dur, tout le catalogue défile... humiliations, abaissements, avilissement, à l’odeur incrustée, qu’on traînera jusqu’au bout, jusqu’au bout.
Ce soir-là je m’endormis d’exhaustion. Le lendemain après-midi je m’éveillai veule et battu, entouré d’évocations. Rien n’avait changé depuis la veille.
Les évocations...
" Salut, moi c’est Julie. " Ses yeux ajoutaient : " Je te trouve mignon. " Des tout bleus, tirant sur le gris. Un truc de chatte ! Du coup... je me sauvais. Tout vilain... Je voulais pas ! Sans moi la caille. La drague ? Non merci, elles exigent trop de sourires, des bien grands bien cons. Évidemment se pose alors le problème de la relation autosexuelle. On se trouve vite plein les doigts.

Ecrit par Jokeromega, à 06:52 dans la rubrique "1.La farce des abîmés".
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Dimanche (22/04/07)
Un drôle de zouave

--> épisode 4

Fac de gestion. Le prof barbe l’auditoire. J’en veux pour preuve, tout le monde prend des notes. Les gens adorent perdre leur temps et ne ratent pas une occasion d’en perdre davantage. Quoi de plus rassurant ? Chaque minute perdue est un point de repère.
J’en garde une bien belle photo de la faculté... On y élève au bon grain. Un coq bavait ses andouilles... un peu plus bas trois cents vermisseaux ouvraient le bec sans conviction. Plouf dedans... " Donnez-nous un diplôme ! " On discute après. La vie de fac engendre la famine spirituelle, j’ai jamais observé ailleurs qu’en ce lieu aussi forte densité de cadavres, existences faméliques.
C’est triste, il n’y a rien à faire, il incombe d’être seul, cela semble la seule voie de l’homme de pedigree. Le groupe handicape. Faut s’amputer des autres. Difficile tâche... La mémoire est un rouleau opiniâtre. Parfois indélébile. Surtout quand on a décidé d’oublier. C’est là que ça ne part plus !
Le prof remballe son barda, heureux d’avoir correctement bourré ; l’heure du casse-croûte a sonné. Les étudiants se précipitent vers la sortie. Les commentaires ne tardent pas.
" C’est marre de gober ses merdes !
– Je m’en branle. Du moment que je dégotte un taf. "
Cet échange subsume l’esprit estudiantin. Scatologie, emploi et onanisme. C’est après qu’ils deviendront difficiles. Lorsqu’ils auront pris de la bouteille et quelques revers. Ils y regarderont alors de plus près.
J’emprunte l’escalier central débouchant sur le hall d’entrée. Soudain une révélation. La lumière tombe crûment. Je vois !... Je vois la photo du problème, sa genèse, son malheur. L’énorme verrue sur la lèvre et la pustule sur la joue surplombée par une oreille détachée et croquée en forme de chou-fleur. Certes, le profil gauche s’en sort pas mal – quand on a vu ce que peut donner le droit. De robustes lunettes rectangulaires viennent couronner le tout sur un nez de turc. Comme on dit, ceci explique cela.
Paul Clémors.
C’est par une magnifique après-midi ensoleillée que le transfuge Clémors avait débarqué chez nous. Il venait de France. De Valenciennes très exactement. Des jeunes en difficulté l’avaient passé à tabac. Ce jour-là Paul s’aidait d’une béquille ; sa tête ressemblait à un pastèque. Selon la rumeur, à la fin ils avaient fini par le saucissonner au poteau horaire d’un abribus. " Le pauvre ! " entendit-on, " c’est une victime ! " se lamenta un autre, " on n’a pas le droit de faire ça à un homme ! " L’auditoire se scandalisa un bon moment.
" Ceux qui ont fait ça sont des monstres. "
Ça devenait lourd. Il fallut désamorcer.
" N’empêche, répliqua une voix parmi les bancs, ça leur fait un monstre de moins ! "
La laideur de Paul n’était pas passée inaperçue.
" Des lâches.
– Des mous du genou qui tapent en bande !
– Parce que toi tu t’attaquerais tout seul à Elephant Man ? " Ouch... Ils étaient lâchés. Le bon mot ne discontinua plus de tout le jour ainsi que les suivants. Entre temps l’animal découvrit son pelage. Pas rien d’espèce ! Sacré morceau. Ah mon bon Paul... Avec toi, chaque moment passé était un grand moment infâme de plus.
L’étudiant Clémors s’avéra particulièrement mauvais, d’un genre presque exotique.
" Comment va Billy ! "
Paul Clémors, comme tous les fâcheux, avait pris l’habitude de me héler dès qu’il le pouvait (il s’accrochait).
" Ça va comme ça peut, dis-je, et toi ?
– On ne peut mieux. Mate-moi le cul de la chiennasse ! Je lui bouffe les hémorroïdes quand elle veut.
– Du moment que tu lui épargnes les tiens ", fit remarquer un condisciple avisé.
Le groupe de filles le plus proche rangea prestement ses affaires et disparut non sans me jeter des coups d’œil aigris. Vous savez comme la réputation se construit ; qui s’assemble se ressemble. La paire était faite. On devenait tache immense... monstrueuse affaire ! D’ailleurs la misogynie n’était pas la seule corde à l’arc de Paul. Il fit également montre d’un bel esprit d’égalité.
" Moi, ça m’est égal la peau. Je fais la peau à tout le monde. Jamais lâcher Billy, jamais... " Il me conseillait. " Toujours prendre... Jamais avoir peur d’y laisser des plumes. Perds aujourd’hui, gagne demain. La roue tourne... Lâche-leur des miettes !... Après-demain tu rases tout. " Il s’emballait... m’entretenait de projets africains. " En Sierra Leone se trouve tellement de diamants qu’on coupe les mains ! "
C’est après que l’Asie lui monterait au cerveau. Paul Clémors vivait par vengeance sur la vie. Jalousie du moche ! Plaisir crapuleux. Il n’aurait pas pu devenir heureux. C’était d’autres voluptés pour lui.
On remonta la rue bondée de minettes fort désirables, j’essayais de pas trop bigler pour pas me décourager. Paul se rinçait l’œil... mit la main ! Paf ! " Tu me dégoûtes ". La fille était sincèrement écœurée. " Tout le plaisir est pour moi mademoiselle. " Il s’excitait à force d’excuses... tant qu’il avait affaire à une bombe ; sinon il se montrait impitoyable. Paul était amoureux de la beauté. C’est pourquoi il était si laid. Afin de mettre en valeur l’objet de tous ses désirs.
On s’aventura dans un petit snack-bar. Menu boulettes sauce tomate frittes en promotion. Il faisait une chaleur de turc. " Tant pis ! me confia-t-il, la faim ou rien ! Une mitraillette mademoiselle.
– Avec ou sans sauce ?
– Non à ton avis ? Tu veux peut-être que je garnisse moi-même ! " Il dézippa sa braguette mais heureusement, contre toute attente, la fille se mit à rire de bon cœur. On avait évité le pire. Paul m’attira à la table du fond, " pour mieux les voir arriver ". Et en effet, une condisciple aux cheveux peroxydés ne tarda pas à faire son entrée.
" Trop conne, remarqua Paul, mais trop bonne. " Il réfléchit un instant. " Dans le cul direct. " Une autre entra, une rousse, inconnue au bataillon, qu’il mata l’eau à la bouche. La rouquine le niait outrageusement mais cela ne semblait pas le décourager le moins du monde ; que du contraire. La serveuse déposa nos plateaux.
" Alors ? l’interpella-t-il.
– Alors quoi ? " La serveuse le dévisageait avec autorité. Paul n’avait rien vu venir et bredouilla :
" Euh... rien.
– C’est bien ce que je pensais. "
La serveuse venait de l’achever.
" Saoulant ce cours de fiscalité ", déclarai-je avec lassitude dans le but de détourner l’attention. Paul me concéda qu’on n’avait pas eu grand chose à se mettre sous la dent mise à part cette histoire de contrôleur d’impôt qui s’était vaillamment acharné sur cette grosse boîte d’un secteur d’activité stratégique. Alors qu’il discourait Paul soudain s’arrêta net, me fit un clin d’œil et son œil restant me zieuta en coin.
" Te rends-tu compte que ce con est encore en vie ? " Il sortit un mouchoir de sa poche et se moucha vigoureusement. " Parce que, ce serait moi... "

Je me réveillai en sursaut le front trempé.

Ecrit par Jokeromega, à 16:15 dans la rubrique "1.La farce des abîmés".
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Samedi (31/03/07)
Made in USA

--> épisode 3

Des chaises, des places debouts, du monde, le Livre, d’autres livres, des explications, des feuillets, tracts, prospectus et cætera. Le silence, une estrade, un pupitre. Une conférence dans les starting-blocks. On médite en attendant. L’orateur déboule, salue, se présente, blague un peu, se reprend, ajuste une jolie cravate, brillent les yeux, raconte sa vie, ses malheurs... Sa Rédemption, Il a changé sa vie. Mais attention, pas n’importe quel il. " Voyez mes frères et sœurs ! Il m’a guéri. " Plus contestable... On applaudit à fond.
Le conférencier parle, palabre, explique, précise, revient, retourne, s’empourpre, s’apaise, repart ! Encore... On applaudit. On est bien huilé. Le petit Billy Leskens pige pas grand chose, ça le dépasse mais les grands doivent savoir c’est sûr, sinon ils s’emballeraient pas comme ça. Moi aussi plus tard je saurai. Les guérisons tout ça, les vœux, requêtes, puis moi aussi je viendrai rendre grâce pour tous les bienfaits accordés. Mais là tout de suite, les heures s’allongent, s’allongent, les minutes si longues, si coriaces, si lentes... Ce Il est un peu trop infini pour moi, Ses voies trop impénétrables, hermétiques un peu... Je m’impatiente, d’autres enfants aussi. " Maman regarde tu vois bien que je suis pas le seul... tu vois bien...
– Ne t’en fais pas, ils seront punis.
– L’autre jour Christian a pas été puni.
– Le pécheur se punit de lui-même mon chéri. De lui-même. "
Vient la pause. Je respire profondément parce que les trois prochaines heures seront galère.
" M’man j’ai mal aux pieds.
– Fais ta prière mon chéri, tu n’auras plus mal. "
Deux minutes plus tard.
" M’man j’ai mal aux dents.
– Je t’avais bien dit de faire ta prière. "
Trois minutes plus tard.
" M’man...
– Ça suffit !
– Je peux aller aux toilettes ? "
Ginette n’eut pas d’autre choix que m’accorder. Plus jamais revu ! Le pot à merde et moi meilleurs poteaux du monde. Par cœur la cuvette ! Évidemment, la chiasse, ça n’a qu’un temps. Au bout d’une heure on commence à se lasser.
C’est le jardin à présent. J’ai eu raison de quitter les waters. Certaines mamans, des moins pénétrées que la mienne ont laissé la progéniture à la garderie. Une garderie jouxtée d’un immense jardin. Des arbres tout entoure. Avec eux je pourrais m’entendre. Quant aux mioches... ce n’était pas gagné.
" Bonjour toi. "
Il est mignon le corps gracile d’où sort cette voix câline. Cette fille méritait une réponse.
" J’ai onze ans et rien à foutre des filles. "
La fille répondit : " Ça tombe bien moi aussi. "
Kimberley, purée... Kimberley Miller. C’était vraiment une fille ? Pas possible... Ça collait pas ! Du coup, j’ai dû approfondir la question. D’ailleurs Kim a pris les devants.
" Viens avec nous, me fit-elle, on joue à cache-touche.
– Non merci.
– T’en fais pas, je suis là. Je te protégerai ! "
Kim a tout de suite su comment me prendre. À l’orgueil... Ce qu’elle m’a remué la môme... On était enfant et tout semblait mignon. Kimberley Miller devint rapidement ma meilleure amie, c’est-à-dire mon seul ami. Je crois même qu’elle voulait me fourrer des bisous dans le cou, mais j’étais pas trop pour ces choses-là, ces choses " pas de mon âge ! ". Elle vint quelques fois jouer à la maison. Nous étions comme canards en foire. J’étais Donald Duck et elle était Daisy Duke. Elle disait qu’elle serait missionnaire plus tard " pour aider les gens à guérir " ; moi je me sentais pas la trempe du labeur. " Je serai cascadeur ". Il serait toujours là pour me protéger parce que j’avais appris ma leçon tous les jours. Sur ces bonnes paroles ma meilleure amie m’avait envoyé un fort joli sourire je m’en souviens ; elle aurait beaucoup plu aux garçons ; d’ailleurs elle plaisait déjà, je crois. Puis, ses parents ont dû regagner les States après que son père eut achevé son mandat de diplomate.
Kimberley...
On s’écrivit. Mes premières lettres... On glissait des photos pour voir qui poussait le plus ; j’avais promis que je la dépasserais. J’étais jaloux ! " On se revoit aux grandes vacances, nos parents ont promis que oui ! " Mais bientôt mon amie ne glissa plus de photos et c’était étrange, on aurait dit comme quelqu’un d’autre à la mise en page.
Un jour, sa maman expédia une missive. " Kim doit se consacrer à ses études. À ses études et à elle-même. Elle traverse un moment crucial de son existence. " Oh... un cap difficile, le contact reprendrait et elle viendrait séjourner à la maison comme promis.
Comme promis...
Kimberley, la vie, ses motifs, et nous qu’on décide rien. Plus jamais les nouvelles. J’avais douze ans maintenant. Opiniâtre comme un mulet. Les parents Leskens je les ai empoisonnés. Leur vie un enfer ! Un vrai petit diable... On a pris l’avion pour Denver.

Le couloir s’étend, long, lent, infini. C’est l’habitude... L’infini n’arrête pas... Oh mais l’habitude... On parvient à un carrefour, on prend un autre couloir. Tournons à gauche... C’est alors que ça a commencé... ça prenait tout le nez et jusqu’à la peau, des frissons... une odeur comme jamais connue, impossible, une odeur partout, plein narines, qu’emplissait le cerveau, le cœur soulevait, l’esprit était frappé... comme de morbide... On avance. Cette porte-ci ? Non, plus loin. Celle-ci alors ? Non, plus loin. On avance... Jusqu’où comme ça ? Jusqu’à l’odeur. C’est là qu’on allait. Au fétide.
C’est une chambre. Elle empeste. Un lit, maussade... un corps, sur le dos... des draps, recouvrant... une tête, de côté. Des cheveux fanés... Quand papa maman et moi sommes entrés on a figé l’ambiance. Le silence, jamais il a été si épais. Jamais il ne le sera plus. Personne dit rien. Même papa !... il tient ses mains, crispées, fragiles, avec le regard qui tombe dans les poches, et moi je veux rien savoir alors effectivement je sais pas. Je veux pas... Et cet arôme, cet arôme de cloaque.
Maman elle tremblote. Ce coup-ci ça a capoté comme on dit. Y a eu un couac. Une sorte comment... une sorte d’embûche. Ah oui... hélas, le Mal a ses prérogatives... il rampe, guette, cerne, assiège, s’insinue. Détruit. Oui, parfois le ciel vous tombe sur la tête. C’est la bénédiction inverse. Le coup de réalité en pleine gueule. Parfois... Pas toujours, c’est selon. Certains s’en sortent bien. Ils ont de la bonne Providence. D’autres par contre...
La tête aux cheveux fanés refuse de nous affronter. Quelque chose se passe, je le sens, l’éprouve, frémissements ! Je veux pas... Non je veux pas !
Fuir ! Échapper ! Le large... j’ai grandi mais je suis trop petit pour ces choses-là. Des hurlements veulent sortir de mon âme. " Laissez-moi sortir ! Laissez-moi mourir ! " Oui mais voilà, ma langue aussi elle veut pas. Rien plus sort. Les mâchoires ont pris le relais ; elles serrent, serrent, serrent... Papa toujours dans ses poches, maman approche, hésite, contourne. À présent la tête aux cheveux fanés lui fait face. Elle peut contempler. Maman tressaille, s’agite, frissonne. Soubresaut ! je l’ai vu ! oui j’ai vu... toute l’existence à maman a tiqué. J’y ai vu sur son visage, le mouvement musculaire, le spasme, l’irrépréhensible malheur, l’affront objecteur de conscience... révélation maligne. Mais non. En fait c’est qu’un mauvais passage. Un doute !... un doute d’une nanoseconde... déjà se reprit, en sourire... sourire timide, certes ! mais sourire revint ! La main sur la joujoue de la tête aux cheveux fanés. Elle lui sourit ma daronne ! Ha ! Ah.. â... Elle sourit ! sourit ! sourit ! sourit ! la monstre elle sourit ! Moi je sais ce qu’y avait derrière ces cheveux fanés, je sais ! j’ai vu... je sais. Les parents... ils disaient rien, que le sourire de maman, et les poches à papa. Moi aussi je les voulais les poches, mais dehors c’était fournaise, dès le tarmac du Denver International Airport 110 degrés Fahrenheit nous avaient frappé sans pitié. Nouveau record thermométrique. Alors on m’avait mis en short. Jamais de mémoire d’homme le soleil du Colorado fut si lourd, et mon short avait pas de poches ! Le soleil glissait dessus sans problème. Je comptais les carreaux par terre, 374, je m’en souviens, avec de jolis motifs ocrés. L’infirmière passa, portait un masque, nous proposa de ces masques. C’est vrai !... un oubli, on aurait dû nous équiper à l’accueil pour " the special room.
– No tank you ! ma petite dame. "
Le daron c’était un dur. " Les sous-off. nous gazaient aux fumigènes. Obligés de rester ! Cinq minutes comme ça... Oh ! Mais y avait des petits malins. Les "apnéistes" qu’on les surnommait. T’en fais pas ! Les apnéistes perdaient rien pour attendre. Le chef les avait en coin de l’œil... Partie remise, c’est tout ! A l’armée tout le monde a son heure. Certains ont même cinq fois l’heure ! J’en sais... C’est moi qu’a battu le record... Ils te soignent ! jusqu’à ce que t’ouvres tes narines... merde ! c’est une garce ce gaz. "Pour accoutumer les poumons" qu’il disait le sergent-chef. Un Limbourgeois. Sale gueule... " Papa s’embéguinait dans ses pensées. Tout le staff médical toisait mais il captait pas. Soudain ça a tilté. Honteux, il a cousu ses lèvres. Faut qu’il s’extirpe du bourbier ! Comme à l’époque... " Viens m’gamin, c’est pas des choses pour toi. " On était sortis. J’étais l’excuse à mettre les voiles. Pratiquement arraché le bras. Mon père avait jamais su gérer ce genre de situations. C’est-à-dire qu’il avait – soyons exhaustif – jamais rien su gérer.
On attendait. Mais même le couloir embaumait ; dilué c’était presque pire : suffisamment fort pour se rappeler à vous mais pas assez pour vous noyer. Il planait un fumet de culpabilité...
" Are you from the family ?
– No Sir ! From Belgioum... Belgioum Sir ! "
Fier comme un paon. L’anglais en dix leçons avait payé.
" Je vois, répondit le monsieur en blouse blanche, bonjour monsieur, bonjour mon grand, je suis le docteur qui se charge de Kimberley. Docteur Jean Thibault. " Son regard doux... Papa et moi dubitatifs. Qu’est-ce qu’il nous fait ce con ! Où veut en venir ? Mystère. Sûrement une enroule... " Oui, je parle français, je suis originaire de Québec.
– Eh bien ! s’extasia papa, on y enseigne foutrement bien les langues étrangères ! "
Papa avait du mal quand il s’agissait de faire autre chose qu’armer le fusil ou le gosier. En règle générale, en public, valait mieux pas trop qu’il s’exprime.
" En fait... ", répondit le docteur mais je l’interrompis.
" Elle va mourir. "
J’avais apostrophé. Ils demeuraient stupéfaits. Apostrophe tombée de nulle part, l’impromptue, la finale. L’enfance aime déclarer. J’avais douze ans. Un dernier fond d’enfance, un résidu. Le médecin se racla la gorge. D’un ton monocorde : " On ne peut plus rien, c’est vrai. " Marqua une courte pause. " Je suis désolé. " Papa n’avait plus assez de ses poches. Dans le slip les yeux... C’était moche.
" Maman dit qu’on peut toujours quand on veut. "
Le docteur Thibault fit une grimace. Je ne lui facilitais pas la tâche. " Tu as raison, qu’il bredouilla, il faut toujours écouter sa maman. "
Je dis rien, renfrogné. Malgré tout, ça me grattait. " Elle va quand même mourir. " Je devenais méchant. C’est ce qui arrive lorsqu’on sent que ça va faire mal... on s’enivre de douleur.
" Je suis désolé ", dit le docteur.
Je suis désolé, je suis désolé... Il avait que ça ? " Désole ton cul ! " Voilà ce que j’avais dit et j’avais mis tout mon noir dans les yeux.
" Billy !...
– Et toi je t’encule les couilles ! "
C’est la première fois et la dernière fois que j’ai manqué de respect à mon père. Lorsque Francis me rattrapa (j’avais fui en courant) il mit les choses au point. " C’est pas poli d’enculer. " Paf ! Paf ! Scling scling ! " T’as intérêt à demander pardon ! Sinon ce sera la ceinture. " C’était déjà la ceinture... Scling, scling ! " C’est toi, dis-je, qui dois me demander pardon ! " Le médecin ne bronchait pas malgré le voile de terreur qui passait et repassait sur son visage. Papa lui télégraphia un sourire. Flagrant comme la maison... Il faisait de son mieux. Une tête de tueur quoi. Le Québécois ne put davantage en contenir. " Monsieur Leskens, vous savez, ce n’est pas nécessaire.
– Détrompe !... Au contraire !... Très nécessaire. Alors, quelque chose à dire à monsieur ? "
Je restais indocile. Paf ! Scling scling ! (une baffe deux ceintures) " Toujours rien ? " PLATAF ! (une très grosse baffe) Non, toujours rien. Au finish connard. La brute s’apprêta à me désosser pour de bon...
" Monsieur ! " Les yeux du docteur plaidaient en ma faveur. L’autre se fronça. La blouse blanche finit par lâcher : " C’est un enfant. Ce n’est... qu’un enfant. Sa réaction est naturelle. Les enfants réagissent à leur façon.
– Un enfant, ça ? "
Le sourire me fut destiné cette fois. C’était le sourire du docteur. Un sourire triste. Voulait-il communiquer peut-être ? Je lui passai la langue ! La famille foldingue... il a dû se dire. On disait plus rien. Nos visages s’envisageaient. Des sales têtes... comme le Limbourgeois !
" Bon, trancha papa, qu’est-ce qu’elle a chopé la petite ?
– Elle souffre de troubles néoplasiques.
– Hein quoi troubles ? "
Le spécialiste aux embrouilles vit bien que ça servait à rien de jouer au plus fin avec le dru gaillard. Il précisa. " Cancer...
– Cancer, uh... Mais de foutre quoi bourdel ! "
L’ambiance s’interloqua. Vraiment, à cet instant, le médecin ne le comprit que trop bien. Nous étions un mauvais moment à passer, juste un mauvais moment.
" Cancer des os.
– On peut vraiment rien foutre ? Vos trucs-là, comment ils disent encore... " Papa se perdait. " Ah ! Voilà... Chimiethérapie, hein, c’était pas moyen ?
– La chimiothérapie vous dites... " Le docteur inspira profondément. " Ses parents... Ils ont... Ils ont leur croyance, comprenez bien, c’est leur choix, enfin, la liberté de culte, jusqu’à un certain point. " Il était amer, la bouche tirée en arc vers le bas. L’explication finit par tomber. " Ils nous l’ont amenée beaucoup trop tard.
– Ils vous l’auront amenée, répliqua Francis, c’est déjà ça. " Papa avait toujours été un homme pragmatique. Le pragmatisme : " c’est comme ça qu’on fait sauter les ponts ! " N’empêche que papa était très dépité. Il aurait bien fait son signe de croix... lui l’impie ! Ha ! Lui qui s’était toujours enorgueilli de n’avoir " ni Dieu ni Diable ! " Maman priait beaucoup pour lui et ses blasphèmes. Quel couple drôlement assorti... La révélation était tombée sur Ginette pendant ma grossesse sinon c’est sûr, son Francis, jamais le mariage ! " Plutôt à bourdel ! et deux fois qu’une ! " Francis se sentait lésé, on l’avait trompé sur la marchandise.
" Ils nous l’auront amenée... reprit machinalement le toubib, dire qu’on en sauve 6 sur 10. " Il s’arrêta. " 7 de nos jours. " Mais que pesait la statistique face à la conviction métaphysique ? Une praticienne avait mis en œuvre les prières adéquates, repoussant chaque attaque de la suggestion maligne. Les parents Miller lui seraient éternellement reconnaissants. " Quel merveilleux travail avez-vous opéré ! " Madame Miller avait serré la praticienne dans ses bras. Elle l’aimait de tout son cœur. Car elle savait combien la volonté du Seigneur avait et aurait toujours le dernier mot.
" Et le pire, dit le docteur, vous savez ? "
Mon père, tout ébahi, avait fait signe que non.
" Le pire ! Les Miller étaient si attentionnés qu’ils trouvaient réponse à tout. La première parade fut adressée à l’établissement scolaire accueillant jusqu’alors Kimberley. "Notre fille a un problème a la jambe." C’est comme ça qu’ils désignèrent une tumeur noirâtre déjà grosse comme mon poing. Mais cette parade n’eut qu’un temps et l’enseignement à domicile devint lui aussi impossible. "Ça ira mieux demain !", assuraient-ils chaque jour à la préceptrice dépêchée par les organismes sociaux. Ils repoussaient ses services "juste le temps que Kim récupère". Madame Miller accompagnait chaque parade de son inusable sourire. "N’ayez crainte" disait-elle à la préceptrice, "naturellement madame... il n’y a pas de quoi madame." Et... et.. " Jean Thibault s’égarait dans ses pensées. Son expression devint amère. " La préceptrice a finalement alerté les institutions. " Il fit une pause. " Un jour qu’elle avait vraiment insisté la mère lui déclara du tac au tac : "Nous en sommes arrivés au point où vous placez Dieu avant votre propre vie." "
Le petit père Leskens opinait gentiment d’un air tragique.
" Quand l’inspecteur de police se présenta chez les Miller, la mère lui confirma que "tout va bien". "
Le petit père Leskens opinait comme un automate.
" Jamais vu ça... " Le docteur temporisa. " ...de toute ma carrière. " Il arborait un air de condamné à mort. " Certes je suis jeune, mais faut remonter aux collègues à la retraite depuis quarante ans, autant dire morts depuis vingt ans, pour retrouver pareil désastre. Et encore. Quel calvaire, pauvre enfant. Son taux d’hémoglobine est pratiquement incompatible avec la vie. Son cœur s’est hypertrophié rendez-vous compte, à constamment pomper le sang vers la tumeur. Son pouls est le double de la normale... Le cancer a répandu aux poumons. Elle est en danger immédiat de mort par arrêt cardiaque. " Il s’immobilisa un instant dans ses pensées. " Ce serait moi... Évidemment, ici on prétend que c’est le prix à payer pour la liberté de culte. Vous vous rappelez la secte, comment déjà, allez, le suicide collectif... "
Le daron en menait pas large.
" Enfin soit, la liberté quoi ! Bande de salopards. La liberté de croupir... Ses parents l’auront laissée des mois selon la même posture. La petite était trop handicapée pour se mouvoir ou même remuer. Mais maintenant c’est fini tout ça. Il n’y a plus rien à faire. Des plaques noires ont mangé ses fesses et je ne vous parle pas des parties intimes... Devinez un peu pour voir, la circonférence de la tumeur... On a dépassé le mètre. Le mètre bon Dieu ! Vous y croyez vous ? Moi j’y ai mis le temps... Nom de Dieu... Ils ont refusé que j’ampute la jambe. C’était... pour que ses derniers mois – ses derniers jours... fussent moins pénibles. Ils ont décliné poliment. C’est fini tout ça ! Plus rien à faire... "
Je n’écoutais plus depuis un bon moment. J’avais d’emblée senti que ça deviendrait insupportable. Et je sentais que ça empirait. Alors j’ai filé vers la chambre, maman en sortait complètement hagarde. Il y avait de quoi. La cuisse dextre était devenue énorme, démesurée. Je me tenais à bonne distance, tremblant de toute mon âme. Kim me contemplait les yeux excavés, teint mat, si mat, et son petit visage, tout raviné comme un enfant-vieillard ou un nain. Un champ de souffrances sur le visage... Petit bout de femme meurtri. Mais non... pas meurtri... Pourri, c’était pourri. Des milliards de métastases me défiaient, partaient de chaque lésion, des lésion-cratères, s’étalaient en cloques et bulbes, des cloques cramées et des bulbes noirâtres. Ça tirait sur le bleu en périphérie, avec quelques taches rougeâtres, le reste du corps couleur brûlé, tout gonflé, tout boursouflé, tout ignoble. C’était insoutenable pourtant j’étais incapable d’en décoller mes yeux, hypnotisés par l’extraordinaire atrocité. Mon être palpitait comme un seul homme, j’entendais mes pulsations, les sentais. Pa-pam... papam ! pa-pam... papam. Elle avait le teint de la mort.
" Je suis pas désolé moi. " J’avais les larmes aux yeux. " Pas désolé. "
Elle ferma les yeux, ça coulait des paupières. Doucement.
" Pas désolé. "
Un tressaillement, son corps s’était contorsionné.
" Non pas désolé. "
Le malheur nous possédait, dictait son rythme. On serait plus jamais, jamais, jamais désolé.
" Billy... " Elle avait la voix rauque, si rauque, c’était pire de l’entendre. Elle sentait la mort. Je l’aurais étouffée si mes jambes m’avaient pas quitté depuis longtemps. Ha ! Toutes ces pensées monstrueuses. On est salaud jusqu’au bout. La compassion n’est qu’un leurre, immonde artifice à couillons. Non, la vérité... Le mal s’engendre lui-même. On empire définitivement. Attiré par le fond.
" Tu n’imagines pas à quel point j’ai souffert. "
L’odeur des chairs putréfiées empêchait de penser. Et quand elle ouvrit la bouche ce fut pire. C’est la peur qui m’empêcha de vomir. J’aurais tant voulu la serrer dans mes bras, lui dire combien j’avais mal, qu’elle était un ange, mon ange, ma colombe... allez... envole-toi mon amour. Dans les faits, j’osais même plus la regarder.
" La douleur est partout. J’ai mal... " S’était mise à sangloter.
" Putain bande de raclures ! Y a pas de morphine ici ou merde ! "
Maman accourut du couloir adjacent.
" Toi fous le camp salope ! "
L’intéressée n’avait pas cru comprendre.
" J’ai dit DÉGAGE sac à merde ! Hors de ma vue ! C’est ta faute ça ! Salope ! "
J’avais commencé à taper.
" Non... Billy, non... " Une toute, toute petite voix... " non Billy "... une toute petite voix rauque. Kim avait toujours voulu aider les autres. Même lorsque plus personne ne pouvait l’aider. Même après que personne ne l’eut aidé. Elle fut admirable jusqu’au bout.
Je me retournai sur son visage. Considéré dans son entièreté pour la première fois. Émacié, on aurait dit une sorte de pelure ratatinée, tirée mille fois, cou minuscule avec les veinules hypertrophiées, les artères, tout... Elle peinait à trouver son souffle, c’était trop d’efforts, elle ouvrait grand, je contemplais l’intérieur, sans plus dent... langue enkystée... palais gonflé, lèvres mangées... seuls les yeux rappelaient sa beauté de jadis. Deux pointes bleus de résistance, entourées d’une énorme corruption vivante.
" Salope c’est toi qu’aurais dû crever ! "
J’avais cogné maman.
C’était pas mal comme ville, Denver. Ses modestes gratte-ciel à 200 mètres, son gros stade de baseball, son Capitole au dôme doré, son complexe à théâtres, ses innombrables parcs verdoyants, ses 50.000 fleurs plantées chaque année sur la 16e Street Mall, ses grands lacs plus loin dans l’État du Colorado, les réserves d’Amérindiens et ses Rocheuses qui bordaient son versant occidental. Bref, un passage obligé du Centre-Ouest états-unien.
On était rentrés. J’avais reçu la raclée de ma vie.
Une semaine plus tard, une enveloppe. C’est toujours moi qu’on envoyait en bas chercher le courrier. L’enveloppe avait traversé l’Atlantique. Made in USA. Ça m’a rendu curieux. Je savais que j’aurais pas dû... mais la tentation l’emporta.
" Kimberley nous a quitté. Elle était heureuse et sereine quand elle est partie. Nous invitons tout un chacun à prier ensemble pour savoir que Dieu prend soin de chacun de ses enfants. "
Ce fut tout, absolument tout. J’ai beaucoup pleuré, je m’en souviens. J’avais du mal à interpréter la série. Je préférais tout enfouir dans un trou de mon âme. Permettre que les années passent. Elles passent toujours. Tout passe... tout passera !
Kimberley, toute innocente toute mignonne aux longs cheveux marrons bouclés.
Jusqu’au bout on aura strictement encadré nos pensées. Ni douleur ni tristesse !... T’égare pas... Aie pas peur. Jamais peur. Impératif ! Chasse la peur de la peur ! Nie-le. Vite une prière ! deux prières ! trois prières ! des prières ! quotidiennes ! vigilance ! Les membres du culte avaient la façade calme et amène. À l’intérieur ils étaient rongés de conflits. Infidèles reflets du Seigneur... apprentis sorciers dressant leurs propres bûchers. À l’autopsie, ils étaient pétris de tourments, suspicions, frousses et terribles épouvantes. Coupables mille fois, terrorisés par leur propre ombre. Personne devait savoir. Cache tout ! Nie-le ! En bloc ! Ça devenait des comédiens. Ils étaient beaux... Personne devait savoir. Le culte du déni, voilà tout. Maman avait mordu à l’hameçon. C’était pas de chance.

Ecrit par Jokeromega, à 15:10 dans la rubrique "1.La farce des abîmés".
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