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Ces pensées qui abîment, Agence cybernétique de songerie adulte

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Ton parapluie et ton bunker

--> épisode 2 (nouvelle mouture)

" Dites monsieur Destouches, quelles sont, selon vous, les qualités essentielles qui fondent un écrivain ?
– Oh ma p’tite dame, ça... On est taré, vous comprenez, on est taré. Voyez-vous, si on avait su jouir comme tout le monde, on aurait fait notaire, avocat, professeur... homme d’affaires ! Mais non, on a la tare, on ne sait pas jouir. Alors on l’écrit. "
J’aimais à fouiller la toile, y dénicher la pépite, la cinématique d’avant réseau, dûment numérisée. Le réseau archivait le passé et préparait minutieusement le souvenir de chacune de nos existences. Octet après octet. Blogs après blogs, journaux sur journaux, chroniques, portails, annuaires, messageries, forums, podcasts... Les archéologues de demain, songeai-je, s’équiperont d’un clavier. Aucun doute, l’internaute le plus insignifiant participe en temps réel à la mémoire de l’humanité.
Une brutale intervention chassa ces songeries de mon crâne.
" Hwu !... HWU !... C’est pas possible ! saloHWU!perie d’estomac. "
Francis, pris de hoquet, m’apportait un morceau de réalité. Son morceau de réalité.
" Dis dont m’gamin, qu’est-ce que ti m’fous là ! Hein ? Toudi à scol... "
Mon père s’exprimait en patois quand l’urticaire lui démangeait. Il ignorait que je séchais les cours depuis – grosso modo – cinq ans.
" Ça te mène où tout ça ? "
Excellente question. Justement, ça – ce cursus scolaire – ne menait plus nulle part, dès lors qu’on avait décidé d’élever son âme. Chaque jour autodidacte supplémentaire m’en apportait la preuve. Naturellement, il va de soi que ce genre de subtilités JAMAIS n’atteindraient le cerveau militaire de Francis, immunisé pour toujours contre les sottises philosophiques. À mauvaise fortune bon cœur, j’hasardai quand même une réponse, la voix solennelle :
" Papa, je vais te dire ce que je fous. "
Impressionné par ma pompe, Francis recula de trois pas. J’épelai lentement :
" Je fous que j’ai envie d’exister. "
– Ah ", dit-il. Sa voix lente et profonde... " Exister. C’est pas un peu risqué ? Ah ! C’est l’âge... Plus un mot ! " Il flanqua sa main énorme sur mes fines lèvres. " Ils sont là ! murmura-t-il, ils sont... LÀ!! " répéta-t-il encore plus bas, fébrile, transi, prêt à faire un carnage.
Les (grosses) séquelles de la guerre... Le plus grand tact du monde me serait sans secours. Jamais il n’admettrait souffrir d’hallucinations post-traumatiques.
" Djeu ! rugit-il, silence... " Susurrant. " On s’fait repérer... " Sa lame se glissait sous ma gorge, longue et aiguisée chaque matin sur sa meule ; l’objet coupant, TRÈS coupant, m’invitait trente ans plus tôt dans les grottes de Tora Bora à même pas dix kilomètres de la frontière pakistanaise. Melvin, le black de l’équipe, avait entendu parler d’un fabuleux trésor caché... La joyeuse troupe de gros bras s’était précipitée sur l’hypothétique butin. Ils cherchèrent longtemps... et finirent par trouver la mort ; aucun des mercenaires improvisés chercheur d’or n’était revenu – en un seul morceau c’est-à-dire – de l’expédition, sinon le seul l’unique, l’inusable Francis mon géniteur Godefroy Leskens.
" Compton ! " lançait-il dans son anglais cassé. À chaque rechute " Lossanjelaisse capitale mondiale du gangstérisme " revenait hanter nos dîners à la chandelle (interdiction de se faire repérer). " Trou pourri d’une ville de tarés !! On n’a même pas vendu notre âme au diiiia-a-a-a-ble ", gémissait-il d’une voix frémissante. Il me prenait par la main, m’approchait de lui, je pouvais sentir son haleine alcoolisée. Il déclarait soudain : " On l’a vendue à un stupide singe. "
Melvin avait fumé bien trop de PCP dans son enfance. Ce magnifique abruti chantait à qui voulait l’entendre que mommy foutait du hennessee dans son biberon pour calmer les nerfs de Evil Baby.
" Les Afros ont la langue créative... Bon Dieu ! alors imagine sous l’effet... Cet enfoiré tirait comme une cheminée, mieux qu’un Afghan ! t’aurais dû voir ça mon petit, les gars du coin hallucinaient ; un fou pareil ? jamais vu ! il suçait la pipe à opium comme une actrice po... enfin voilà ! un sacré nègre à la con. "
Si on se fait repérer (dans son rêve), me dis-je, je suis un homme mort. Il me fouillera de sa lame bien réelle.
J’en profitai pour faire mes prières. Maman me rejoignit dans cet effort, tâchant de ne pas trop déranger le forcené ; on se tenait gentiment la paluche sans ciller. Nous voilà enfin réunis tous ensemble, me consolai-je, il ne manque plus qu’une photo de famille pour immortaliser l’instant.
DRIIIIIIING ! ! !... ding.
Quand la sonnette et Francis sursautèrent comme un seul homme, je divisai mon espérance de vie par deux.
L’homme au long couteau aiguisé se figea, tel un prédateur aux aguets. Puis, lentement, éberlué, l’animal se déplaça sur la pointe des pieds, se laissa choir dans son fauteuil et téta un grand coup pour se remettre de ses émotions. Jupiler, la bière des hommes.
Je l’avais échappée belle ; la surprise l’avait sorti de son delirium. Je me précipitai à l’avant du logis, et d’accueillir mon sauveur.
" Togo ! "
Mon visage se lâchait d’un immense sourire de soulagement.
" Salut Billy ! "
Le sourire de Togo s’étendait à son tour.
" Un problème au rasage ? " Togo indiqua la trace rougeâtre. Papa avait, semblait-il, perdu la main. Parkinson se déclare ? Décidément un très mauvais coup de dés.
" En forme ?
– On verra Togo. "
Deux heures plus tard nous étions fixés.
" En forme le Billy ! Malgré tout... " Mon partenaire se félicitait. Nous avions traversé la ville à petite foulée, traçant jusqu’au parc. On s’était étirés avant de passer aux choses sérieuses. Barres parallèles, tractions, flexions, sprints sur escaliers. On prenait de la masse et de l’explosivité.
" On se défoule. Pas vrai Togo ? "
Nous arrivions à la dixième série. Les muscles commençaient à brûler. Je flottais sur mon nuage.
" Alors Billy, tu passes à la salle demain ?
– On verra.
– C’est bon, se résigna Togo, j’ai compris. " Avait-il compris ? C’était mieux que non. J’avais soupé de mes semblables. Ils m’avaient gavé. Mais c’était pas une raison pour qu’ils le sachent.
" Allez, fis-je, on bouge. "
On bougea jusqu’à la cité. Au pied de la barre il m’interrogea.
" Je te revois quand ?
– Je l’ignore Togo, je l’ignore. "
Togo me scruta. Quelle foutue mouche t’a piqué ? pouvait se lire sur sa bonne bouille malicieuse. Il se doutait de quelque chose mais ce quelque chose lui échappait. Alors il employait le langage du silence. Un silence qui en disait long. J’y coupai court.
" Togo !... Je t’enverrai un SMS.
– Comme la dernière fois ", se désabusa-t-il, lassé de mes bobards. Il connaissait que je n’étais plus fiable question rendez-vous. Plus fiable du tout. Qu’y ajouter sinon un vilain rictus ?
Togo Matebe, â Togo, Togo... On est les vagues d’une veille marée, cette histoire est l’écume d’autant de tempêtes... déjà s’affaisse. Rappelez-moi de vous parler du colosse d’ébène. Un jour au détour d’un chemin, route faisant nos destins se télescopèrent. Le reste, que d’histoires !
Togo s’était retiré ; l’écran m’hypnotisait.
" Que désires-tu, ma chérie, pour ton Noël ? s’enquérait une mère attentive.
– Des fesses comme J-Lo, rétorqua la fille.
– Et moi ! et moi ! tempêta le petit frère, pas cadeau ? J’étais sage ! "
La mère prit l’enfant sur ses genoux :
" Pas avant tes quatorze ans Ludo, tu es trop jeune.
– C’est dans combien de temps quatorze ans ?
– Dans neufs ans ", l’informa sa grande sœur.
Les sanglots éclatèrent sur-le-champ.
" Je veux un menton comme Achille ! Je veux ! je veux ! je veux !... " Tirant les cheveux de sa mère. " J’étais sage ! sage ! sage ! SAGE ! ! ! J’avais pas laissé dans mon assiette... tous mes Big Mac – mangé ! Tu avais promis... "
Dix minutes plus tard – trois mois dans le reportage – la petite Cendrillon se réveillait sur un nouveau derrière. Son jeune frère accusait une sévère crise de jalousie suivie d’une dépression carabinée ponctuée par une double tentative de suicide. Cependant tout rentrait dans l’ordre grâce aux psychologues spécialement attachés aux candidats de télé réalité. C’est du moins ce que laissait entendre la bande annonce du prochain épisode.
J’ignorai le générique de fin pour échouer, au hasard, sur un programme sportif. Écran fendu en deux, la fiche statistique annonçait la couleur : 20 ans, né en Arizona, 1m95, 200 kg. L’athlète se positionna sous une barre longue de deux bons mètres maintenue sur cage à squat. C’est le moment que choisit le régisseur pour passer en plein écran. De nombreux disques lestaient cette barre. " 12OO pounds !! My god... " s’égosillait le commentateur sportif d’ESPN. Deux coéquipiers assistèrent notre athlète dans sa prise : fardeau sur les épaules, derrière la nuque, retenu de part et d’autre par la paume des mains. Tandis qu’ils s’écartèrent la caméra recadra sur le seul colosse qui lentement descendit fesses aux talons avant de péniblement remonter. Poussant, poussant, poussant... Voilà, ça vient. Hourras et embrassades.
Eurosport France proposait quant à lui l’interview exclusive de Zinedine Zidane.
Zizou, Français d’origine algérienne d’origine kabyle, semble un peu perdu. Les journalistes se félicitent de son calme. " Un exemple pour la jeunesse ", dit l’un, " un modèle de réussite ", dit l’autre. Un troisième pousse un peu le compliment en évoquant un " mythe absolu. " Je baille et laisse mes doigts pianoter à souhait sur la commande.
" Belle, protectrice, écologique. " La voix off ne tarit pas d’éloges. " Audi S8. Pourquoi s’en passer ? "
Je pianote.
" Selon vos désirs. "
Je pianote encore.
" Un produit unique pour une existence unique. "
Je zappe jusqu’à atterrir au beau milieu d’un débat de société. Un jeune homme habité s’empare du micro :
" J’en ai rien à secouer ! Je fais ce que je suis. "
Applaudissements. Je consulte ma montre ; c’est l’heure du JT.
" Selon l’INSEE, annonce le présentateur vedette de TF1, 7 français sur 10 divorcent dans les 5 premières années d’union. "
Je prends peur mais son collègue d’Antenne Deux me rassure.
" Sur dix ruptures un seul couple aura eu le temps, malheureusement, d’enfanter. "
Ce n’est pas nouveau, les Européens veulent passer la main aux Africains. C’est beau l’entraide des peuples.
Je mets la console en veille. Ça me turlupine. J’ai des flashs (et quelques spasmes). " Taré/unique/désir/divorce/enfant/mythe/taré/unique/désir/divorce "... Je crois que je tiens enfin mon histoire. Une histoire à cinq protagonistes. Maxime, son pote Louis ; Emma et sa petite sœur Chloé ainsi que Jade leur meilleure amie.
Mes doigts courent sur le clavier.
Maxime apostropha Louis. " T’es qu’un taré.
– Rien à battre ; je suis unique. "
Louis roulait calmement son pet, Jade lui fit signe qu’elle désirait goûter en premier. C’est donc elle qui alluma le cône.
" Sacré bob ", conclut-elle en expirant d’extase le poison. Maxime n’avait quant à lui pas quitté son narguilé. Emma, blottie contre son sein, pipait sporadiquement.
" Je voudrais une chiée de gosses ", susurra-t-elle à l’oreille de Maxime. Mais Chloé, 12 ans, avait la fine ouïe. Aussi Chloé s’indigna.
" T’as pété un câble !
– Complètement jetée ", que Jade paraphrasa. Jade était donc du même avis que Chloé. Même Louis alla dans leur sens.
" Vous inquiétez pas les gars, Emma a juste le feu au cul. "
Cette révélation confirma les craintes d’Emma – à présent sur la défensive. Faisant fi du bourdonnement des rires, elle perdit la notion du temps et des sons ; elle ne s’aperçut pas que Jade l’adressait.
" Ouais poulette, disait Jade, pourquoi tu lances des horreurs pareilles ?
– Laisse pisser, tranquillisa Maxime.
– Ouais, ajouta Chloé, puis chier des mômes c’est pas plus con qu’autre chose. "
Emma, attristée, n’avait rien écouté, absorbée dans ses propres chimères, elle qui désirait tant baiser avec Maxime. Depuis son gâteau à quatorze bougies la semaine dernière y avait eu comme un déclic ; elle se sentait libérée. D’ailleurs elle prenait la pilule sans faute. Mais un bébé, tout de même, elle s’imaginait bien. Que c’est grave ringard elle en avait rien à secouer. " Je suis unique ", se jurait-elle en son for intérieur.
" Nos parents ont brisé hier soir, déclara Chloé tout de go, ça faisait dix-huit ans.
– La vache !
– Purée !... Tout ce temps ? Ils ont dû méchamment se les geler.
– Tu parles ! s’esclaffa Chloé, j’avais mal aux boules. Mais là trop cool, maman va se remettre avec un Valentin.
– Tu veux dire... " Jade était stupéfaite. " Un vrai de vrai ? Un Valentin avec la pompe et le carburateur ?
– Carrément... confirma la sœur de Chloé. "
Chloé en profita pour avouer qu’elle avait toujours secrètement rêvé d’être " une fille à son papa " mais Jade n’était pas du même avis.
" Un père, pourquoi pas, mais pour quoi faire ? A part des gros renvois tu ne rates rien. Crois-en mon expérience.
– Laquelle s’entiche avec un ceum ? demanda Louis.
– Ben tu sais, répondit Chloé, forcé que ce soit maman Brigitte. Maman Pauline nous a toujours certifié qu’elle est pour toujours notre papa. C’est pas demain la veille qu’elle fricotera avec un bonhomme.
– Tu m’y fais penser ! La Pauline devait pas passer sur le billard ?
– C’est pas remboursé... Je t’avais dit pourtant. T’as oublié ou quoi ? "
Louis présenta ses plates excuses, il avait " trop la tête dans le cake ". Le bédo déchirait. Tout le monde, d’ailleurs, planait pas mal, même carrément à l’ouest.
" Ça t’envoie sur Krypton !
– Dis plutôt que ça vient du Maroc... "
Maxime se félicitait du savoir-faire marocain.
" Le Maroc... reprit Emma, ce serait des vacances ça.
– Au lieu de se faire super chier avec ses vieux en Egypte. "
Nos cinq jeunes gens partirent en vrille de rires indomptés.
" Ouais, fit Maxime, on le vaut bien. "
Fin du script. Mes doigts se reposèrent délicatement sur le clavier sans plus enfoncer aucune touche.
Tandis que je relisais silencieusement ce premier jet une voix au-dehors interrompit mes corrections.
" Nique sa mère aux chtars ! "
Plusieurs cris remontaient, entremêlés, du contrebas.
" Les pompiers avec ! – Et la sœur à Majid ! "
Sur cette dernière grivoiserie un chœur de ricanements fit entendre son allégresse.
Un double constat s’imposait. Primo, nous étions mal insonorisés. Secundo, l’immigration n’était pas sans présenter quelque risque. Le civisme souffrait...
Je mâchouillai une sucette sans sucre, songeant avec un pincement au cœur au Saint Empire Romain, son éclatement et la formation de grandes et belles nations. Mais franchement !... fulminai-je en moi-même, l’Européen ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Ça lui apprendra à élever l’Individu au-dessus de tout en dépit du bon sens. Bon, élever, c’est pas mal – faut-il encore savoir au-dessus de quoi ! Les élites nouveau cru ont estimé de leur noble devoir d’élever leur vil peuple au-dessus de lui-même, tellement au-dessus de lui-même qu’il fallait que l’ignoble créature sortît d’elle-même, qu’elle se fût extraite d’elle-même, de sa fange raciste, antisémite, intolérante, égoïste, méfiante, xénophobe et cætera. Résultat des courses, non seulement nos " élites " ont abaissé le peuple, faisant de lui un bébé sans goût, assisté et pleurnichard, mais elles-mêmes se sont vautrées plus bas que terre, devenant des mères poules castratrices, tantôt hystériques tantôt cyniques désabusées.
La sucette n’était pas terrible mais, anxieux, je la tournais et retournais sous ma langue. Bon Dieu ! songeai-je, c’est ce qui arrive quand on prend ses rêves pour des réalités et qu’on ordonne aux autres de faire le même rêve.
" Aucun goût cette sucette ! Pouah... "
Je balançai la camelote dans ma corbeille à papiers.
La bouche vacante, ma méditation cherchait à se mettre quelque chose sous la dent.
Comment ! comment ! interpellai-je mon attention... Comment intégrer dix millions d’âmes égarées lorsqu’on a désintégré deux mille ans de civilisation ? Alors assimiler... – n’y pense même pas ! De ce mouvement egocratique à l’œuvre, les faibles ne peuvent que mal finir. En prison ou au loft. Chacun accouche de lui-même par lui-même. Comme si l’inculture effectuait une boucle sur elle-même. Chaque jour des associations de crétins en tout genre militent avec acharnement au nom de la diversité et des acquis sociaux. Je me demande ce que nos progressistes de choc vont bien pouvoir nous diversifier avec tous ces clones engendrés par leurs soins. " Nous sommes tous égaux ! " Très bien, montrez-moi donc, ma curiosité s’aiguise, comment s’y prendre pour diversifier l’identique de l’identique. J’attends ! Bon joueur, je vous laisse le bénéfice du doute ; vous, alchimistes de l’humanité, avez peut-être trouvé une recette miracle... Prudence ! Une recette progressiste qui échappe à mon petit esprit perclus de vieilles tambouilles. Ou mieux ! Peut-être même vous trouvez-vous aux abois, peut-être même enragez-vous car votre gros pif subodore malgré tout qu’il s’agit de la fin de race. Votre fin de race.
Vous l’aurez pas volé celle-là !
Peut-être... mais consolation amère. Le champ de bataille s’est mondialisé. Cette guerre de libération amorale n’épargnera personne. Ses retombées ne feront pas de discriminations... C’est le genre de libération où t’apportes ton parapluie et ton bunker.
" Ti vas la fermer ! Karba !... "
Schlah !...
" Ta gueule ji dis ! "
Schlah schlah.
" Ti sauras li respect maintinant. Ti sors pas sans mon accord. "
Plus un gémissement ne se fit entendre. J’en déduisis que la liberté se frottait les tectoniques, notamment chez mon voisin du dessus, toujours avisé en matière matrimoniale.
Schlah !
Il en avait remis une au cas où. Il faut dire que sa femme, récemment convertie, lui donnait du fil à retordre à cause de ses mauvais penchants de " prostituée occidentale ".
" Di toute façon ji vais faire vénir mon pétit frér du bled, Aziz le bien-aimé, y va té surveiller quand ji sérai pas là. "
Pchssst...
Je décapsulai une canette de Coca-Cola (light). Breuvage typiquement yankee, me félicitai-je intérieurement, de ces lèvres frémissantes je bois à la santé des cultures – je tendis au ciel (mon plafond) le cylindre noir et rouge – de toutes les cultures ! Santé ! Santé ! Santé ! ! !
La libération, me dis-je en sirotant calmement, la libération...
Ça laissait songeur à plein temps.
Soudain, une énorme chatte pointa son minou à la fenêtre. Sans rigoler ! Je n’y étais pour rien. L’animal s’était invité sans crier gare sur mon 37 pouces Full HD. Autant dire que chaque poil avait de la gueule. Un animal de pedigree, bien soyeuse... Mais j’étais pas à ça maintenant et fis appel – en vain – à la fonction de fermeture de la fenêtre. Chaque fermeture s’accompagnait de deux fenêtres intruses supplémentaires.
Je m’acharnai une bonne demi-minute. L’écran se quadrillait de parasites – Poker en ligne – paris sportifs – voyages gratuits – gadgets érotiques – ad libitum jusqu’au fatidique " critical error. System Alert popup ! Error data. "
L’écran vira au bleu, pleinement le bleu, obstinément le bleu. Les commandes ne répondaient plus. La technologie n’était décidément pas mon amie.
Cette fois c’était assez. Je pris mes cliques et mes claques, fuyant la jungle du cyberespace, pour descendre jouer une part de balle.
Chouette sport que le football. Tout le monde s’amusait gaiement jusqu’à ce que l’attaquant de mon équipe trébuchât dans la zone de réparation.
" Penalty ! hurlèrent les miens.
– Va te faire foutre ! " répondit l’auteur de la faute, leur " capitaine ", c’est-à-dire leur meneur, leur tête brûlée (ou le casse-couilles de service si vous préférez). Notre attaquant se releva entre ses jambes et le toisa méchamment. L’autre le dévisagea avec haine et colla son front contre le sien.
" T’as un problème ? "
Sincèrement, le penalty n’était pas évident, mais bon, nous avions clairement un problème... Le ton monta, les coéquipiers de part et d’autre rappliquèrent, bref, la bousculade s’intensifia. Un des spectateurs voulut intervenir, calmer les esprits, trancher la question :
" Je crois qu’il a raison... "
Au début sa voix fluette passa inaperçue.
" Je crois qu’il a raison. Y a penalty ! " ajouta-t-il en poussant sa voix au maximum.
La mêlée s’immobilisa et tous les regards se jetèrent avidement sur l’arbitre improvisé.
Un petit jeune, fluet, tout pâle, avec une voix de gonzesse. Définitivement pas le profil idéal pour apporter son grain de sel à ce genre d’affaires épineuses... Sa mère, la quarantaine, avait atterri en logement social suite à son récent divorce. Dieu soit loué ! ils ne dormiraient pas sous les ponts. Malheureusement un problème en cache souvent un autre : son rejeton n’était pas adapté au climat méditerranéen.
Comme les yeux de l’équipe adverse le fichaient durement le petit mec leur envoya un sourire de bienvenue.
" Putain ! s’écria le casse-couilles, vous avez vu ça la gueule de salope ? "
Sachant le genre de dénouement, chacun dégaina son outil numérique afin d’immortaliser la scène. Casse-couilles s’empara de la balle qu’il dégagea de toutes ses forces en direction du jeune mec pâle.
BINGO ! ! ! En pleine poire, il savait viser, et fort... Des grosses jambes poilues de footballeur.
" Et maintenant, y a penalty ? " interrogea Casse-couilles, aidant le jeune mec pâle à se relever, le saisissant par le col de sa chemise. Effrayé, saignant du nez, l’autre balbutia :
" J-je suis pas sûr...
– Cômment... Té pas sûr ? " reprit l’autre d’une voix menaçante, sourde et méprisante. Il lui tapota la joue, des larmes y coulaient petit à petit.
" Réfléchis bien... Y a penalty ou Y A PAS ? "
Il suffisait de lâcher ce que Casse-couilles avait envie d’entendre mais Jeune-mec-pâle, traumatisé, avait perdu sa langue. Casse-couilles approcha son oreille de sa bouche et déclara aussitôt :
" Y a pas penalty ! Il a dit ! Y a pas penalty !!!
– Tu te fous de notre gueule ? s’agaça Dany Mabiala, notre gardien de but du moment, tu vois bien que tu lui fais peur. Puis d’abord j’ai rien entendu moi. " Dany arracha la victime à son agresseur et dit : " Alors, y a penalty ou pas ? "
Les jambes de l’autre flageolèrent.
" Je plaisante petit, je plaisante... avoua Dany, panique pas, je crois qu’on n’a plus besoin de tes services. Tu peux t’en aller.
– Alors, qu’est-ce que t’attends ?! " s’écria un petit sorti de la foule. Impatient, il mit un coup de godasse au derche de cet empoté qui tardait à plier bagages.
Il se fit pourtant que le malheureux empoté ne put accepter qu’un gamin le traitât ainsi. L’empoté leva la main sur le gamin.
" T’es fou ! proféra le gamin, mon frère va te buter !!! Lâche-moi sale pédé... "
Un grand frère (un autre) intervint et mit deux claques à l’empoté révolté (Jeune mec pâle).
" Bon, dit le grand frère, dégage maintenant. On t’a assez vu. "
L’autre s’exécuta sous les rires et quolibets.
Cette prouesse virile a le potentiel ! me dis-je, pour figurer au top5 des happy beatings.
J’avais assisté à la scène dans son entier sans sourciller. Après toutes ces années il s’en fallait de beaucoup pour m’étonner. L’ambiance générale invitait la dégénérescence. Rien qu’à flâner on pouvait mal finir. Partout des incitations... On attrapait le vice comme on attrape la grippe. Ça ne me touchait même plus. J’étais simplement lassé... et aussi surtout – impuissant.
Je pris la tangente à bord de mon vélo trois vitesses. L’air frais fouettait mon visage contracté mais pédaler réchauffe. La nuit tombait une fois de plus, consolatrice obscurité, pour cacher les figures.
Des pavillons, le chemin serpente, des espaces... puis un manoir, délabré et squatté, des lierres agrippés aux grilles et qui habillent les briques usées. Une architecture en vert. L’écologie avait improvisé. Je me contentais de pédaler le vent sifflant le long des oreilles, les yeux plissés sans s’arrêter au paysage qui défile. C’était entre moi et la nuit. Un tête-à-tête qui te sortait de tes soucis. Tout devenait possible... Krwëh ! Tout devenait possible, comme par exemple un chat noir pas détectable au GPS. Elle débondait abondamment ma pelote de poils, toute douce en plus : une femelle. Elle m’a gentiment léché le doigt. Fort jeune, deux ans pas plus. Tout le jus fuyait, il se perdait dans la gerçure du macadam pour aller nourrir la terre mère. L’animal miaulait à peine. Elle n’aurait pas tenu d’ici le véto et j’aurais facturé comment moi ? Dans l’étang, un artificiel de gens bien équipés... ça c’est réglé. Elle n’a pas eu le temps de souffrir, pas beaucoup.
Les étoiles luisantes, petit à petit la campagne, j’avais mangé les kilomètres ! Les petits secrets allaient se révéler. Un cycliste désœuvré faisait la tournée des mal foutus du pays des hommes, les inutiles et les abattus. Des tas de tôle, caravanes de Rroms, des chiens errants, des criquets qui stridulent, la Lune aux trois quarts.
Une voix sortit de nulle part.
" Hé là toi ! Hé là toi là-bas ! "
Une vilaine voix d’agresseur... J’avais intérêt à feindre la surdité et continuer comme si de rien mais la grosse voix s’entêta.
" Hé garçon ! toi. Oui toi garçon. "
Ne pas, ne surtout pas se retourner.
" Oh ! T’es bouché ou quoi ? "
Mettre le bon coup de pédale et tout de suite.
" Tu nies ? Attends petite pute, je vais te donner. "
Fuir. Et vite. Mais ma bécane ne voulait plus, son dérailleur déraillait. La vengeance du chat ! Je mis pied à terre pour me lancer dans une course à pied, vélo sur le dos. C’était un vélo " à prêter " et le prêteur accusait 150 kilos à la pesée ; le genre de vélo dont on se sépare difficilement...
J’ai beaucoup couru mais je me suis vite fatigué. Alors j’ai largué l’encombrant. Trop tard ! la grosse voix arrivait à ma hauteur.
" Salope ! "
Un poing s’élança en direction de mon visage, accompagné d’un commentaire :
" Ramasse ! "
Sachant que la visibilité nocturne m’échappe (je n’ai pas les yeux de Batman), il ne me restait qu’à plonger dans ses jambes, espérant l’amener au sol. Essai couronné de succès. Le bruit fut sourd et je monte dessus.
Bam Bam Bam !
Maintenant que j’ai tapé ses dents on va pouvoir entamer les pourparlers. Je me renseigne.
" T’en veux encore ?
– ’scuse cousin... Je t’avais pris pour un autre...
– Ta gueule !! Je t’ai posé une question et quand on est poli on répond oui monsieur, non monsieur. Explique-toi COMME un homme. C’est la dernière fois que t’entends le son de ma voix avant de voir des étoiles. Alors : Stop ou encore ?
– Stop !
– À qui tu donnes des ordres ? Salope ! " Bam ! " Et comme ça, c’est mieux ? "
Il faisait dodo. Ils étaient beaux les gens quand ils dormaient ; ça devenait des civilisés. Mais les civilités eurent peu de répit. Déjà une ombre approchait en pressant la foulée.
" Hé Négro ! cria l’ombre en se détournant à l’arrière, hé !... Ho ! Tu m’écoutes ? Chandu ! Ho ! Georges !... Malik !... j’ai retrouvé le refré. "
Chandu, en léger surpoids, traînant le pas, se joignit en dernier à la bande et s’écria de sa voix caverneuse, essoufflée et autoritaire, dans ma direction :
" C’est à mon Nègre que t’as touché ?
– Sa mère ! renchérit son compère, Casper a osé.
– On l’ouvre en deux ! "
Vu l’état d’irritation de leur voix, leur projet me parût digne de confiance. Ils auraient sans doute du mal à s’en tenir littéralement à leur parole – sans les instruments requis, ouvrir en deux est difficile – mais ils ouvriraient du mieux qu’ils pussent, je pouvais compter dessus. C’est pourquoi je trissais dans les bois, une meute de blackos à mes fesses pour en toute logique y planter des pointes. Et les blackos quand il fait noir ça devient des ombres... Comment échapper à des ombres ! Je vous le demande. J’aurais de bonne grâce imploré le pardon... si la moindre chance de pardon existât. Je connais la mentalité des canailles ; la faiblesse ne fait que les exciter. Et merde, me dis-je, depuis quand les Renois traînent à la campagne ? Il n’existait malheureusement qu’une façon d’élucider l’énigme. Un peu trop douloureuse à mon goût.
" Babtou... murmurait la forêt dans mon dos. Babtou... Babtou... "
Ils battaient le rappel.
" Babtou ! On va te scier. "
Ils possédaient le langage urbain. Sans doute des banlieusards en quête d’une paysanne. C’était la seule explication plausible.
" Babtou... babtou... "
Ils y mettaient le cœur dans le timbre, on sentait la joie spontanée, je serais servi sans faute.
Les bois descendaient profondément et en s’enfonçant on sentait la présence des animaux. Des sauvages à l’ancienne, qui n’ont pas vu beaucoup d’humains. Et qui n’en verraient pas beaucoup plus ; les bruits de la nuit avaient découragé mes poursuivants. C’était seul ici ; encaissé et tout foncé, avec juste un peu d’évanescence de Lune crachée sur les feuillages, mais un peu comme ça, pour donner du relief à des drôles de formes, des humaines et d’autres inquiétantes. En fait, on savait pas lesquelles fallait le plus redouter. On savait seulement qu’on était mieux avant. On regrettait les stress du passé. En principe j’étais dedans. Mais il y eut ce petit quelque chose dans l’air, comme... comme une odeur de saucisse fumée ! Au flair, au flair ! C’est au flair que j’y suis retourné à la société. Au flair...
L’odeur s’accentua, et je vis. Un grand bal délirait. Les trouble-fête étaient, comme à l’accoutumée, de la partie, attirés eux aussi par l’odeur, la fine, la subtile, celle de la femelle, fille facile si possible, sinon passage en force... N’est-ce pas ? Une blonde ! Les salauds... Informé des risques, je me faufile aussi discrètement que James Bond ; je connais ce genre de parage, on sait jamais ces choses-là, ça tombe dessus sans prévenir.
Et de fait.
" Gadji !... Viens un peu. "
Une voix rauque de grizzli. Ce sont les Gens du voyage qui invoquent la gadji.
Vraiment tous de la partie ! Tout le monde veut son morceau de poulette... Mes yeux détaillent un panorama de la situation. Des Romanichels en veux-tu en voilà... eux aussi savent comment avec les cailles... tout en moustache ! Le contexte blindé de peaux mates... le sale contexte... ça pue le coupe-gorge.
" Hé ! Garçon... Toi ! la poule mouillée... "
La même voix rauque de grizzli. C’était donc bien moi qu’elle avait précédemment visé, me traitant par la même occasion de gadji, c’est-à-dire de nana, et à présent de poule mouillée. J’imaginais la suite sans difficulté... Seigneur ! Pas deux fois le même jour, tout de même.
" Toi. Face de craie ! Avec les Adidas à l’ancienne. "
Attends, des Adidas, ça ne veut rien dire, ma mère avec en Adidas !
" T’es dur de la feuille ? Hé ! Petit, où tu te barres comme ça ?
– M-moi ?... " me sortit de la bouche. Ça m’avait échappé. Pourtant je n’étais pas sans savoir que l’hésitation signe ton arrêt de mort. Pour survivre, faut que l’autre pense qu’il te survivra pas.
Je me ressaisis.
" Nan... fis-je nonchalamment, rien de spécial. Je traîne... Et toi gitan, qui tu pistes comme ça ? Tu veux un coup de main peut-être ? "
J’agitai mon coup de main, ses cinq phalanges repliées, sourire délié d’une commissure à l’autre. Un sourire de cinglé.
Le gitan ricana.
" Hé hé oh !... Fais pas le fâché. On est en démocratie, non ?
– La démocratie ? soupirai-je, c’est à la tête du client. "
Sur ces bonnes paroles, il m’inspecta le portrait sérieusement. Ses yeux me faisaient un gros plan. Pour ma part, j’étais disposé à lui faire une grosse tête. Apparemment, des deux je fus le plus convaincant. Le gitan renonça, un petit sourire en coin qui signifiait " tu perds rien pour attendre ".
C’est alors que des bruits pas anodins parvinrent à mes oreilles. Je me dirigeai vers la source sonore... Au fur et à mesure que j’approchais ça grondait... Et je vis.
À peine dissimulés, tous les vieux du coin, à mon instar, mataient. Deux jeunes tourtereaux l’un dans l’autre, complètement enchâssés. Gros noir sur brindille blanche. La seigneurie du quatrième âge, chacun derrière son taudis, reluquait entre les stores sinon par la porte entrouverte, une main sur chaque béquille si vous voyez ce que je veux dire. Ils avaient intérêt à rien rater. C’était leur amour de l’année. Ils n’y auraient plus droit. C’est ainsi, sortis du domaine de la lutte. Avec les yeux dorénavant... et le beau gosse y allait franco de porc avec sa blonde à califourchon ; elle s’agrippait comme à un trésor.
" Ah ! Ouuui ! Vas-y trésor, encore, plus fort, oui, ah ! hi ! Vas-y Malik ! "
Malik de tout à l’heure ! Les petits vieux lorgnaient à s’en tomber le dentier... fallait voir ça.
La blonde subitement repoussa l’assaillant. " C’est tout ? " fit-elle ingénue. Elle le snobait, puis écarta à nouveau, méchamment ostentatoire, les antiques faillirent tomber le binocle ce coup-ci. Y en a même un qu’a tombé tout court. Une belle mort, titra la presse régionale. Tout le patelin attesta. L’athlète retourna au charbon trois fois plus fort. Espérait-il une médaille ? On peut le croire.
Pendant ce temps j’observais les observants. Des isolés, esseulés, moribonds tout ça, des gens quoi, qu’avaient vécu, juste ça en trop. Le social s’était échoué à leur porte, ça avait été presque... pas loin... non pas loin ! Des abandonnés abonnés, des fins de parcours prolongeantes. L’époque allait rugueuse... le droit de chômage à court de souffle... les soupes populaires s’intensifiaient, l’assistanat se réduisait (tant mieux !), converti mendicité (tant pis !). Les âmes en ruine... heureusement subsistait plus que jamais le porno. On les gavera, une dernière fois le vidange... La névrose suintait par là. Carnaval d’onanismes. En couple tiens ! Même les couples... La plupart ne communiquaient qu’au moment des quatre rageuses vérités. Entre ils meublaient. À coups de garniture, des " Je t’aime " et des ballades en auto.

Ecrit par Jokeromega, le Vendredi 20 Juillet 2007, 18:09 dans la rubrique "1.La farce des abîmés".