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Ces pensées qui abîment, Agence cybernétique de songerie adulte

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Un havre de paix

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– Voilà, tu es libre.
Ces mots résonnèrent. Tu es libre. L’écho dans ma tête. Pouvais-je l’accréditer ? J’en doutais fort. Une erreur. Une plaisanterie peut-être. Il n’empêche, d’un point de vue physique la légère brise matinale venait chatouiller mon esprit incrédule. Contre toute attente, j’étais bel et bien civilement libre. À la campagne, aucun passant, pas même une vache. Certes un écureuil. Je restais là.
– Tu es libre.
Je restais là sans rien dire, l’air ventilait mes narines, le soleil se levait timidement sur ma peau blanche comme quelqu’un qui vient de passer dix ans à l’ombre, mes oreilles sifflaient un air d’euphorie, mais le reste de mes sens se méfiait, comme abasourdi, hébété, sceptique. Un tel retournement de situation ? Difficile à avaler. À force on finit par se persuader. Alors si jamais on a du mal. On ne se réjouit que du bout des lèvres. On préfère avoir le gigot dans le larynx avant de se remplir l’estomac. Il pourrait encore tomber du coin de la bouche.
– Héla ! Qu’attends-tu ? Allez, va, profite.
– Les vétérans ont perdu l’habitude.
– Ça fait que trois ans celui-là.
– Quatre.
– Comment quatre ?
– Il a tiré un an chez les vip.
– J’avais oublié. Hé ! Billy...
L’uniforme s’approcha, je fus saisi d’un brusque mouvement de répulsion : j’étais hébété, mais pas au point d’y vouloir retourner. Je comprenais. Il me fallait le temps, c’est tout. Vous comprenez, j’avais apprêté mon enterrement, ça prend du temps de changer de costume.
Je n’avais pas travaillé en prison alors j’avais droit au 150 euros de base. Prime de réinsertion. Le gardien m’appela un taxi de bonne grâce. " Merci, vous êtes un brave. " – " Y a pas de quoi Leskens, au plaisir de se revoir. " Le salaud... Le taxi fut interminable. Son GPS trouvait pas notre trou perdu ? L’air se faisait chanter par des oiseaux, lesquels je ne saurais dire, l’ornithologie me fait défaut. En tout cas c’était des oiseaux. Et le vent, oui, le vent aussi.
– Bonjour monsieur le taximan. On va où avec 150 euros ?
– Quelle direction ?
– Panam.
– Vous avez de la veine, on pratique justement un forfait sur Panam. Cent balles tout rond. Vous travaillez ici ? Mais, mais… mais ! Je vous connais ! Vous êtes Leskens, n’est-ce pas, vous êtes Leskens ?
– En effet.
– Votre barbe et les cheveux, longs comme ça... j’avais pas fait le rapprochement. J’adore votre livre. Onze relectures ! Comme vous aviez raison... Si vous saviez... Vous recevez les news, non ? En réseau restreint, c’est ça, on m’a dit... j’ai un ami incarcéré.
– Chez les vip on recevait. Ici je n’ai pas cherché à savoir.
Mon visage se lesta. Les couches s’étaient accumulées. Le contact après tout ce temps... Le taximan dut se dire que je n’avais pas tué mon père pour rien. Mais se le disait-il vraiment ? Ses yeux joyeux de me reconnaître avaient chanté autre chose. Lors des premiers temps j’avais ouï dire qu’un petit groupe d’irréductibles prêchaient mon innocence. Une bande de farfelus. Je rendis la politesse par un sourire. Le taximan n’en demandait pas tant pour s’animer.
– Ça vous change !
J’avais changé, en effet. Tant que ça ? Les pensées me traversaient, soldats inconnus d’une guerre perdue d’avance. Non, je ne capitulerais pas. Alors je dérive de spiritualité en spiritualité. Un lent filet de temps... Le temps dodelinait. Je faisais un effort de neutralité. Je restais logé dans mes pensées.
– Votre prophétie c’était pas des bêtises, pas du tout. Vous aviez vu juste !
– Prophétie ?
– La France a craqué de partout, la Chine est leader mondial avec pas mal d’Anglo-saxons à la tête des grands groupes. Ces derniers on fusionné. Ça se stabilise.
Je me tus. Je n’y étais plus. Je venais d’épuiser mes maigres velléités survivantes. On perd vraiment le contact. Mon interlocuteur ne sembla guère s’en contrarier, se lança dans un long récit.
– [...] À Dubaï le pacte fut scellé selon une jurisprudence particulière à Dubaï. Le monde se découpe dorénavant en tranches de consortiums et affinités.
Je percevais des sons.
– [...] La répartition est stabilisée. La France fait enfin partie du tiers-monde équitable.
Le soleil stigmatisait les peaux, che calor ! midi avait levé l’ancre, on entrait dans la fournaise de juillet.
– [...]
Le trajet sembla interminable, la vitesse aurait dû m’impressionner, " tu verras, c’est ce qui frappe le plus : comment que ça va vite une auto, tu verras ! tu te demanderas ce qui se passe ! " Les récidivistes m’avaient mis en garde. C’est comme ça pour les longues peines, on perd nos repères. Or l’effet se faisait toujours attendre, en toute franchise j’avais plutôt l’impression de voyager en escargot. Je passai un regard par dessus l’épaule du pilote, les luminescences indiquaient 85.
– Vous avez installé un compteur américain ?
– Pardon ?
– La vitesse, c’est en miles ?
La chauffeur eut un rictus. Il se bidonnait le plus discrètement possible.
– Non, non... Je vous confirme : c’est du kilomètre, Système international homologué. À votre service monsieur.
J’esquissai un sourire. Il vit sans doute une grimace.
– On est passé aux énergies alternatives depuis deux ans. Les mécaniques ne sont plus conçues pour l’explosivité. Endurance et propreté ! Vous savez, on fait surtout circuler les données. On évite les mouvements physiques. Des programmes de gestion des effectifs main-d’œuvre harmonisent à l’échelle globale. Ça y est presque, on entre en phase finale.
– Vous exprimez vos idées d’une façon qu’on ne vous devinerait pas au vu – pardonnez-moi de préjuger – de votre utilisation sociale. Vous faisiez partie de ce grand plan d’harmonisation ?
– Non, non. " Il pouffa pour de bon. Un rire franc et articulé. Presque métallique. " Non, je suis un dissident comme beaucoup ici... l’Occident pauvre. Le mauvais élève dit-on mais Paris remporte encore son petit succès : on vient visiter le site archéologique. "
Je pris la fuite mentale. Sa chanson me fatiguait. On sentait le rebelle. Par pitié arrêtez ça. Si seulement la rébellion pouvait se la foutre en veilleuse un instant. Rendez-moi Gaby et mes liards.
– [...] Vous savez, le combat fait rage en Afrique, poursuivait-il inlassablement, votre idée, vous vous rappelez, sur ce plateau, lorsque tant accablé par la critique et les suspicions vous aviez suggéré un partenariat privilégié intra-Francophonie. Les liens se tissent, le français était vraiment le symbole fort, vous aviez vu juste, tout à fait juste. Au début on était parti sur le multilinguisme... on s’est vite aperçu du manque de liant, la sauce prenait pas. Il nous manquait un socle commun. Or la révolte gronde. En souterrain, mais elle gronde. Elle gronde... On ne vous sera jamais assez reconnaissants.
Il s’interrompit à mi-idée, non par manque de suite mais parce qu’il avait la sagesse de tâter le terrain. Manifestement, ce monsieur espérait de moi. Faudra la jouer en douce Billy, en douce... Je n’étais pas sûr de sortir indemne de sa boîte de conserve équitable, je n’étais pas même sûr d’y être entré innocemment. Les gardes ne pouvaient pas être dans le coup. Si ? Et comment ! Ces cons ne sont plus à l’après de ça ! Trop démunis, les pauvres bougres sont aux aguets, prêts à vendre leur mère à plus offrant. Mais Billy, c’est bien toi et personne d’autre qui as eu l’idée du taxi, correct ? Correct. Comment dès lors un complot ? La prison rend paranoïaque, surveille ta boule !
– Porte de Bercy monsieur Leskens, désirez-vous...
– Notre-Dame. Allons à Notre-Dame – en l’honneur de Victor !
Nous arrivâmes promptement car les axes étaient dégagés comme si j’étais le président. Les véhicules motorisés raréfiaient par ici. De la parcimonie à la pénurie il n’y a bien souvent qu’une nuance de politesse, surtout lorsqu’on a pris le pli de la pleine consommation. Le monde avait laissé le marché français s’embourber tout seul. Huit milliards... il avait bien fallut partager le gâteau, redistribuer les cartes... La Chine avait damé le pion à tout le monde et le monde avait damé le pion à la France. Et la France avait damé le pion à ses ancêtres. Au moment où ces lignes sont numérisées Vercingétorix s’en retourne encore dans sa tombe. Le brave Gaulois n’en peut plus de révolutionner dans sa bière, il en est à son dix millième tour, là faut qu’on lui éclaire sa lanterne, comment ça a pu à ce point-là ? Eh bien cher ancêtre, sache que le raffinement a vulgarisé la France. Trop raffinée elle a manqué de tranchant, le tranchant de survie qui distingue le débat du brouhaha. En fin de compte, fort logiquement, ses politiques se sont vautrés dans des discours de plus en plus médiatico-démagogues et les votants se sont de moins en moins satisfaits d’une machine qui s’était ralentie. Le raffinement chaque Français peut désormais raisonnablement se le foutre à l’arrière. Je dirais comme ça, à vue d’œil, que l’idéal philosophique de la société procède d’un système évolutif, et non un de ces sempiternels systèmes à rupture révolutionnaire ponctuelle. Non, au XXIe siècle on peut se permettre la révolution en continu, en sorte que la révolution ne soit plus révolution mais évolution ; à l’image de la nature somme toute. Mais la nature n’aimait pas l’homme, et l’homme n’aimait pas la nature. L’homme tient à ses acquis comme à la prunelle de ses yeux. Ne jamais lui céder ! Une fois que l’homme a acquis, c’est pour toujours (se dit-il). De la stabilité – voilà ce que veulent nos cœurs fragiles. On a peur de la crise cardiaque, vite, mettez-nous une pile.
Les révolutionnaires d’aujourd’hui sont les conservateurs de demain. Les anarchistes ne sont qu’un cas particulier de la soif humaine de routines et habitudes. Les anarchistes tiennent plus que tout à leur anarchie. Leur anarchie suit un code établi – explicite ou implicite, conscient ou pas. Un code aisément identifiable, reconnaissable, familier et, bref, docile. En outre, la révolution n’est que la traduction d’une source d’insatisfactions communes à une masse qui lorsqu’elle devient critique fait péter la baraque. Notons que ça finit toujours par péter car il est humainement impossible de satisfaire l’humain. Ça doit péter, indépendamment du système en cause et des individus impliqués. Puis, chacun retournera à ses habitudes jusqu’au prochain bordel sanglant.
– Je vous accompagne ! avait scandé le taximan révolutionnaire, j’ai assez d’heures comme ça.
Le fils spirituel de Che Guevara manquait pas d’air et la Seine coulait paisiblement. Voici les tours jumelles. Des haies finement taillées, un pigeon passe, un chien pisse, une très belle jeune fille embrasse un beau jeune homme tendance tandis que le vent souffle dans les rameaux comme si c’était les jambes de Marilyn en 55. Les événements s’emboîtent. J’ai le sentiment d’être en surbrillance de la scène. Dans ma tête je bourdonne, tournoient les idées, je sens les suffocations battre ma carcasse... l’air lourd... jonché d’ultraviolets secoués par le vent de Paris. Mon esprit s’agite et ma volonté rechigne. Situation kif-kif !... rage mentale ou sourde langueur : les dés du hasard vacillent sans tomber. Or voici. Le monument me fait face. Pierres propres et soleil tapant, une ombre soudain généreusement s’abat, j’égraine le temps d’un air pensif, absent. Les flammes par-delà l’espace frappent à nouveau, la nature s’immobilise, je cours prendre refuge en l’égide catholique. J’espérais bientôt semer l’indésirable.
À l’intérieur, des choses. Vitraux tout ça. Égal. Je n’avais cure. Je voulais larguer mais l’autre collait – à la culotte. Je sortis, fus ébloui, rerentrai, sortis derechef, six mendiants faisaient mendiance, portaient des sports des années 2000, Nike, Adidas, Reebok. Les vieux modèles, délavés, on sentait qu’ils avaient vécu. La France crevait ; je ne pouvais pas dire que c’était bien fait mais c’était, comme souvent les décadences, prévisible.
– J’ai envie de prendre le métro, ça fait longtemps.
Je tenais un bon plan. L’autre suivrait comme un clebs et plus pour longtemps.
Le wagon ignominieusement bondé. Dès les couloirs et rampes d’accès la foule étouffante en sueur. Ça dégouline de partout. Des corps et des corps. Je compris que les corps se déplaçaient en commun dorénavant. Je sentis un sein stressé dans mon dos. L’indésirable était coincé à trois corps de moi. Les stations s’enchaînaient comme convenu... Concorde... les portes encore toujours s’ouvrirent... signal de fermeture, je m’extirpai in extremis, les coulisses se refermèrent sur le rebelle. Je prenais congé. Ligne 8 direction Créteil. Je salue de bon cœur Opéra, une pensée de dégoût pour Bastille. Bon, la journée s’annonçait chaotique, le soleil s’invitait de plus en plus férocement et ma peau blanche rougissait. J’ignorais le lieu de Shirine. Une journée ordinaire, seul, perdu, en manque. Le soleil brûlait pour tous.
Paris n’avait pas tant changé que les Parisiens. Les mines souvent défaites, parfois radieuses (des post hippies crasseux), et dans l’ensemble tout ceci ne me concernait qu’à titre anecdotique. Il fallait quitter cette ville au plus vite.
Trois mois. Je travaillai comme garçon de café, les filles dégageaient le parfum et l’alcool, les mâles l’alcool et l’alcool. J’étais peu payé, personne ne me (re)connaissait, les gens semblaient heureux bêtement et cela m’attristait profondément. À la vérité, dès le départ j’avais renoncé au passé. Enterrons tout ! Que voulez-vous... L’argent était perdu et j’étais sorti quoi qu’on en dise. Il faut le dire, le corps a la mémoire courte : il oublie rapidement le goût du calvaire. J’étais lancé en pleine routine espérant amasser un billet d’avion pour l’ailleurs, le mauvais souvenir de Shirine s’effaçait, Kim aujourd’hui serait une adulte, c’est-à-dire une adulte névrosée, non merci, et ma mère priait quelque part dont la localisation ne pourrait rien changer à ma vie. En outre j’étais un pécheur invétéré. Et Gaby... Non, elle aussi au passé. Elle était morte dans ma vie. C’était fou comme on tirait un trait avec aisance. Quelques années voire quelques mois suffisent à rendre ce qui fut nul et non avenu.
Après trois mois minables j’avais déjà de quoi m’envoler mais un peu plus ce serait pas mal. Mieux vaut assurer ses arrières. Un événement toutefois bouscula mon planning. J’étais à la plonge, la plupart des bars français avaient conservé le style artisanal. Par choix coutumier et contrainte économique. Par ailleurs les touristes y tenaient... Leur monument archéologique ! encore en activité. Force est de constater qu’ils en prenaient pour leur argent. On avait supprimé les écrans, les hologrammes et toute forme d’agression technologique si bien que les gens venaient boire et taper la conversation à la mode du XXe siècle années trente. Ainsi, en reculant d’un siècle, la France se persuadait maîtriser son sujet et posséder une vue d’ensemble. Soyons bons joueurs, elle n’avait pas entièrement faux. Son sujet était maîtrisé. Par contre sa vue d’ensemble se limitait à sa croupe fatiguée de vieille carne. Elle sentait la merde et plus personne en voulait. Trop myope et peureuse, elle avait pas à pas éludé la réalité contemporaine du monde extérieur. " Un havre de paix "... Indeed.
Je passais les verres sous l’eau en observant les gens s’animer. Parfois je recevais un salut auquel je rendais la politesse. Qu’est-ce que je fous là ? était ma pensée favorite. La vie en groupe ne correspondait pas à mon habitat naturel. Je frottais, rangeais, l’eau s’écoulait, un petit groupe prenait du bon temps, un couple en retrait se râpait la bouche, il lui passait une main sous le sein, elle lui passait une jambe sur le rein, plus loin ça pinaillait politique, Dubaï-ci, Dubaï-là, sujet de prédilection, ville phare d’une nouvelle ère, ville mère ville prototype, à la croisée des chemins des winners de toute la planète. Elle était le rêve et l’effroi, l’horizon de tous et le zénith de personne. Elle était haïe et convoitée mieux que le rêve américain. Pour preuve, un Américain qui avait réussi son rêve allait toujours le poursuivre aux Émirs.
J’avais trente-quatre ans, je savais que malgré mes apparentes forces mon corps se désagrégeait, la mort déjà en marche. Je continuais de lustrer la verrerie. Visiblement, certaines entités humaines parvenaient au bonheur, au moins de façon ponctuelle, voire par phase intermédiaire prolongée. J’étais impressionné et dégoûté. Je continuais de ranger les coupelles à zakouski. Ils polémiquaient littérature, j’affrontais les planètes. Ils invoquaient la philosophie, je guettais la mort. Ils se remémoraient les êtres chers disparus, j’étais incapable de compatir, me sentant concerné par ma seule vie – et encore, conviction faiblissant. Moi aussi pas mieux qu’un autre je vivais la routine. J’étais l’homme fier d’un cercle vicieux. Il était évident que seul un départ pouvait me prolonger de quelques années, sans quoi une maladie atroce m’emporterait demain ou après-demain si j’ai du pot.
Il fallait amasser au plus vite avant de déguerpir. Cependant une silhouette fendit le prisme de mes élucubrations. Corps taillé à la serpe, enrobé d’un halo de lumière, je n’en pouvais discerner que les courbes majeures, proportionnées, belles à damner un saint. Cette apparition restait là, sur le pas de la porte, commandait la pièce de sa grâce, pourtant j’étais seul à gratifier la créature de mon coup d’œil subjugué, ailleurs on papotait négligemment, on n’était pas en mesure de voir ce que je vis : à travers l’incandescence du visage, deux prunelles balayaient la plaine des âmes présentes, et ce jusqu’à ce que ces deux prunelles tombassent nez à nez avec deux autres prunelles. Alors les prunelles se firent l’amour une éternité de seconde. Ensuite, le créature s’avança ; les battants continuaient de battre lorsqu’un visage se détacha du flou originel, le buste allait entier à ma rencontre, porté haut par de longues jambes à l’allure ferme et souple, d’un élan qui semblait familier – la clarté se fit : Shirine.
Shirine Makti... Le monde est petit quand il a décidé.
Pétrifié sur place, ma première intention suggérait la fuite mais c’était trop tard, j’étais fait et refait. Et pourquoi diable se débiner ? À qui revenait la honte, le déshonneur ? N’était-ce pas moi la victime dans cette histoire ? J’avais une créance ! Juste ou pas ? Pas juste, seuls les esclaves revendiquent l’humiliation. Les princes quant à eux se rendent malades. Les âmes princières ne survivent qu’au sein des hautes sphères, ailleurs elles suffoquent. Les âmes vulgaires ont des milliers de mains qui se tendent pour inviter dans la fange. Voyez ! Ces milliers de petits monstres sans l’originalité des vrais monstres. Ne croyez pas que prince – un authentique prince – méprise les petits monstres. Que nenni ! C’est une souffrance rien que regarder en bas. Un prince dans l’âme a honte d’avoir pitié. Un prince dans l’âme ressent pour tous ceux qui ne ressentent pas ; il conçoit de la honte pour compenser le vide des autres.
En l’occurrence Billy Godefroy Leskens concevait de la honte pour deux. C’est déjà pas mal. C’est pourquoi notre prince aurait été incapable de se venger. À moins que la raison de l’amnistie soit moins glorieuse : serait-il par hasard vaguement amoureux ? En ce cas nous avons affaire à un prince mal barré. La mémoire m’avait rattrapé sans pitié.

Ecrit par Jokeromega, le Mardi 13 Février 2007, 18:43 dans la rubrique "Chantier fermé".