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Ces pensées qui abîment, Agence cybernétique de songerie adulte

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Ce n'est pas prêt de s'éteindre

--> extrait (suite à "Un havre de paix")

La mémoire m’avait rattrapé sans pitié. J’étais pris de court. On prévoit toujours tout un tas de choses. Elles s’évanouissent dès que le présent s’allume. Ça sert à rien de chorégraphier l’avenir. J’étais frais et disposé, comme si hier on s’était quittés. D’un coup subit mon humeur prise dans le flot se laissait entraîner dans l’imprévu, parce que la surprise a le don de te modifier les intentions : les préméditations volent en éclats. Que se passe-t-il ? Eh bien, en bon pantin ton corps se corrige. Pourquoi ? Car ta mémoire sait que l’autre se souvient. L’autre a forcément gardé en mémoire ton image. Tu ne vas quand même pas le décevoir ? Voilà, ça y est, tu es prisonnier. Par courtoisie un gentilhomme se sent toujours obligé de confirmer le cliché dans lequel on l’a enfermé. Le passé en commun est le pire des esclavagistes, on courbe l’échine de peur de froisser le présent. J’étais son nègre. Son nègre malgré tout. Elle possédait notre passé, l’avantage stratégiquement insurmontable. Mais d’un autre côté, je possédais son passé à elle. On se fracassait l’un dans l’autre. Des sentiments contradictoires me déchiquetaient, je n’oubliais rien mais une immense tendresse surgissait de la nostalgie. Les entrailles profondes... Parfois on désire aimer envers et contre tout ; oublier le mal, ne voir que les promesses de bonheur, laisser sa veste d’épines au vestiaire, inviter les arcs-en-ciel à sa table, danser d’insouciance et appétence, s’éprendre et se prendre, se voler les secrets et conjurer les chagrins... célébrer la mansuétude des cœurs. Parfois... C’était un de ces moments tyranniques. Un chantier s’édifiait dans mon estomac et Shirine avait des frissons. Nous étions tous deux en état de choc. Deux sinistrés.
– Oh, Billy... chéri, tu m’as tant manqué.
Sa figure était montée à la barre, ce n’était pas un faux témoignage, on pouvait lire dans ses traits qu’elle était pure de toutes manigances. On pouvait le voir mais le croire est une autre paire de manches. Après toutes ces années à me tarauder j’étais mal préparé au coup de théâtre. Je voyais double et si j’avais pas été assis je serais tombé. Comment, ces années en enfer, tout ça, c’était pour rien ? Un malentendu ? C’est possible ça ! Ça l’est ? Seigneur ! Le serait-ce ! C’est permis une telle fortune ? On a beau dire, chaque détail compte. Ça se joue à peu de choses. D’accord, mais mon fric dans tout ça ? Mon visage se durcit selon ses pensées.
– Billy... J’ignore ce qu’on t’a raconté, murmura-t-elle. Sache que j’ai tout fait pour te joindre. Tout.
Je voulais pardonner, ignorant jusqu’à quel point. Ok, je veux bien, mais alors, qu’allait-elle me servir ? Une fois qu’on se met à table elles nous remplissent. Je disposais de peu de moyens afin de séparer le vrai du faux. Tout en moi avait envie de jeter l’éponge. Quels efforts encore ? Où cela nous mènerait-il ? Quelque part... entre l’absurde et l’apocalypse. C’était le genre de moment à se faire une raison ou céder à la déraison. Et donc ? Ressasse pas ! Laisse les mots couler tout seul... Vois. Ses lèvres exquises se déforment avec sensualité, souviens-toi les douceurs... sincère ou pas ça devait compter, oui, ça devait compter, sinon que reste-t-il de sensible ? Pas grand chose, et t’en fais sûrement pas partie. T’occupe ! Vois. Et concentre-toi. Je m’exécutai et me concentrai sur sa bouche. Je m’agrippais. C’était un point de repère. Moment privilégié, le hasard avait lâché une faveur, j’eusse donné cher pour connaître l’état quantique de nos corps, l’environnement nous lovait sans contrepartie... pour combien de temps encore ?... le temps, le temps... il ne s’arrête jamais. La poursuite écrasante de l’univers est sans appel. Shirine m’entretenait sur tous les épisodes loupés, ma vie ainsi que le monde étaient concernés par son speech pourtant mon esprit s’évadait. Comme ils disent : trop de tout – entre les canonisés du système et les éternels mécontents, peu de place pour une lueur de poésie, et quand elle est, elle est souvent fadasse. Tout cela manque cruellement d’intérêt véritable, il faut cesser toute forme de pensée trop impliquée, laisser les hommes aux hommes et prendre la femme au plus profond, la prendre à jamais, le temps d’un miracle mirage. Le temps sera furtif pour tous ; dès lors, exploitons-en les moindres incandescences. Elle parlait, oui, sa lippe si exquise... oui elle m’avait beaucoup donné l’amour, ou quelque chose qui approchait, oui, oui... je m’évanouissais enfumé de nos souvenirs, tristes et lointains, je savais qu’il fallait fuir, je savais que j’allais fuir, le temps se comptait, point de doute, c’est lui qui prend nos vies en otages.
– [...] tu comprends, elle pouvait pas savoir. " Shirine évoquait Kim Bogaert. " Elle voulait bien faire, elle voulait réparer, se réhabiliter... honneur... amour ! ô Billy ! Billy chéri... si tu savais ce qu’elle a souffert, je l’ai vue larmer jour et nuit, elle ne mangeait plus, ne dormait plus, et... non, c’est trop cruel, Billy... Kim voulait bien faire, " j’ai compromis, disait-elle, j’ai tué Billy deux fois, je suis qu’une idiote, je vaux rien, je suis vide, je mérite pas de vivre. " Billy... Elle pouvait pas savoir, elle a cru te sauver, la presse s’ameutait... la rumeur comme une traînée de poudre... les médias en quête... une tempête médiatique... La Kim pourfendit leurs certitudes, déballa tout, au fifrelin, les a culpabilisés... le rebondissement ! Ils n’auraient pas pu espérer plus grand final. "
J’avais tant désespéré de raisons. Pourtant tout cela ne revêtait plus d’importance, à chaque parole je me rendais compte que la réalité révélée point par point est une réalité qui s’éloigne pas à pas. Les excuses ne font que mettre des battons dans les roues de votre refuge. La fuite s’impose peu à peu comme l’évidence à atteindre.
– [...] mais voilà, la presse a démenti... des pressions inouïes... la peur que j’eus, tu sais, ce n’est plus possible de raisonner, ça harasse, tout s’emmêle, menaces, reproches, opprobres, injures, tourmentes... Billy, Billy... Billy... ô chéri... Une fois que la meute... ce n’est pas la peine... Et dire qu’ils étaient sur le point de te libérer. Comment Kim eût pu deviner ? Rien ne le laissait présager. Un jour maître Dufour nous a contacté : " malheureuses ! qu’avez-vous commis ! La relaxe était sur le point, on attendait le moment opportun, le mieux discret ! Maintenant, c’est foutu. " L’affaire avait été portée à connaissance d’un trop grand nombre. " Pendant que Shirine s’essuyait les yeux je songeai que ce con de Dufour n’aura décidément servi qu’à pomper.  " Cette confidence d’initié fut la goutte, reprit-elle, qui fit déborder le vase de Kim. Elle avait désiré bien faire... comme quelqu’un qui passe sa main sous un château de carte pour le soutenir... c’est la rançon du pire. Bien faire. Bien faire ô Billy ! " s’écria-t-elle. On commençait à se retourner sur nous. Mon dos coulait peu à peu des sueurs. " Des bêtes fauves, le sang en bouche, ils nous ont rayé. Un bouc émissaire ! Voilà ! Voilà... " Bientôt plus personne ne regarderait ailleurs. Notre coin devenait un repère. Je prenais un air anodin afin de masquer l’affaire. " Ils enrageaient ! Une adolescente ! Une adolescente ! Ils étaient exposés !... démontrés pour ce qu’ils étaient... ils n’ont jamais pardonné, et elle n’a jamais reculé, pourtant elle s’emmurait chaque jour un peu plus. L’injustice subie lui donnait des ailes, elle était furie malgré ses atomes moribonds, Billy... Ce fut triste, si triste, si terrible, si... si...
– Si grotesque.
– Exactement Billy ! Elle a tout supporté, mais elle ne supportait pas ton calvaire, ce calvaire par sa faute et sa conviction, elle acceptait tout, tout sur elle mais rien sur toi, elle m’a dit, tu sais un jour elle m’a dit " toute ma vie, je suis jeune Shirine, n’est-ce pas ? eh bien toute ma jeune vie j’ai été égoïste : le mal à mes yeux ne frappait jamais que ma personne. J’étais incapable d’empathie sauf si ça me rappelait une douceur qui me manquait. Voilà que j’avais trouvé chez Gaby. Mais comment ! son Billy... enfin... oh, il avait ses raisons... " Kim s’enfonçait, elle disait, elle disait... " je n’ai vu, compris, admis que ma souffrance, ma solitude. Quand tu m’as raconté le procès j’ai reçu la révélation de ma vie, ce sentiment, là-bas, lorsque tous criaient silencieusement à mort, lorsqu’il t’a souri, j’ai été révélée, comme si de mes yeux vu de ma chair connu, j’ai été révélée et j’ai su combien nous étions tant méprisables que misérables, Shirine... c’est infernal, j’en cherche le bout, il se dérobe chaque fois que j’en perçois la lueur, comme si toute créature n’était que recommencement et fantaisie, comme si, comme si... je ne sais pas ! Je ne sais pas ! Je ne sais rien ! RIEN, RIEN, RIEN, tu entends, je ne sais je ne suis RIEN, NÉANT, MISÈRE. Tous nous nous ressemblons, là où je me croyais à part, j’ai vu combien j’étais dedans, oui dedans, parfaitement dedans, parfaitement à l’image de nos espaces d’inexpression. "
La réalité était pire qu’une relique, elle était un fantôme. J’avais la hantise pour compagne. Shirine remuait le couteau malgré elle, mille plaies répondaient à l’appel. La réalité n’était plus acceptable, plus du tout, il fallait la remplacer, la remplacer, remplacer.
– Écoute Shirine, je vais être honnête, il faut que je parte.
Voilà ce que j’aurais dû déclarer si j’avais entrepris de réduire la casse. Pensez dont... Les mots détalaient, ils s’exclamaient avec un silencieux au bout des lèvres, incapables d’avouer. Courage : fuyons ! Demi-sourire de circonstance, visage pour ainsi dire figé et pour tout dire foiré. Je fuyais sur place. Soyons aimable, affable, prévenant... Elle ne pouvait pas soupçonner. Oui mais voilà, qui trop embrasse mal étreint, on finit par trop en faire, moi qui savais combien n’est que mascarade. Elle découvrit le pot aux roses. Je souriais autant que possible, elle souriait autant que disponible. En d’autres temps on se serait réjouis. À présent le ciel s’obscurcit à mesure du terrain parcouru et je ne suis plus le seul avisé. Il faut fuir au plus vite ; bientôt nul abri ne permettra plus refuge, il faut lever l’âme, relever le passé de ses fonctions, le noyer dans le placenta, couper court aux intentions, elles dégénèrent... trop loin là-bas un jour qui n’est plus – qui n’est plus...
La vie ailleurs, ailleurs, la vie ailleurs, oui... ailleurs, oui…
– J’ai terminé mon service.
Voilà ce qu’ai déclaré. Shirine Makti me prit sous le bras, l’âme dessus dessous, oui mon Billy, mettons nos mauvaises pensées une dernière fois en friche, nous observerons une dernière correspondance à la hâte. Je savais, elle savait, on profitait d’un ultime. Au diable ! La trahison réciproque est le plus beau des serments. J’avais envie maintenant, très envie. Elle aussi, ça crève les yeux...

Ce fut médiocre. J’aurais dû m’en douter : la culpabilité ne fait pas nécessairement jouir. La honte plutôt rôdait. Soit. L’essentiel de cette histoire : à l’aube tardive d’un matin d’octobre d’automne, je mis les voiles.
Loyer payé d’avance. Quinze jours de bon. Je lui laissais un deux pièces. Jetant mon baluchon par-dessus l’épaule je filais droit devant à travers la brume matinale et la grisaille des feuilles bientôt mortes, destination Roissy-Charles-de-Gaulle. L’envol de ma vie. L’envol enfin. L’envol parce qu’on est tous des Icare en puissance, notre génération se brûle les ailes qu’elle n’a pas, errant d’une phase à l’autre. Une phase jamais aboutie, une phase indéfiniment à l’œuvre. Ce n’est pas prêt de s’éteindre, nous sommes les éternels derniers Mohicans, notre but est la survie, notre espoir le prolongement. Nos rêves respectent les horaires de notre époque : connexion, gloriole, désenchantement, déclin. Ça arrivait, voilà tout, ça arrivait. Et ça repartirait comme c’était arrivé. La vie ce merveilleux processus de recyclage, suave mécanique si bien huilée si minutieuse, si parfaite d’indifférence, pur joyau de l’univers. À moins que l’univers ait d’autres projets ?... Billy se disait qu’en tout cas il tardait à les manifester. "  C’est pas fini là-haut ! " L’Airbus A380 dégagea les nuages à grands coups de réacteur Rolls-Royce, le ciel prit ses distances, le soleil surplombait, sage et silencieux. Le colosse aviaire double pont intégral surfait sur la Troposphère tandis que mes pensées plongeaient en les méandres. Je n’avais pas eu le cran d’interpeller.
– Et Kim alors, fin de compte elle se trouve en quel état ?
Comme on pouvait s’y attendre, Shirine ne répondit pas à ce que je ne demandai pas. J’avais opté pour le statut quo. D’aucuns qualifieront d’immobilisme. Que leur opposer ? Elle dormait belle comme la Vénus de Milo lorsque j’abandonnai, et ce sera tout avec ça.
Là-bas tout en bas c’était la terre, et la mer, et les êtres. Là-bas tout haut loin c’était Dubaï, tantôt nous entrerions de plein fouet dans le futur. Tout le monde en parlait, personne ne savait. Ne savait vraiment. Depuis le grand traité des grands groupes, le blockhaus était complet. On en parlait de plus en plus et on en disait de moins en moins. Puis, l’émirat instaura son cordon maximum security. L’herméticité intégrale garantissait le rejet de la menace terroriste hors des frontières. C’est ce qui se disait çà et là. Et à vrai dire ? Deux assertions à propos de la mégapole à tout le moins s’avéraient : primo, physiquement impénétrable, secundo, technologiquement élue. Il y avait Dubaï, il y avait le reste. Un Émirien accédait à tout, le reste accédait au reste. Tout le monde était tombé d’accord, surtout les Occidentaux de gauche, ils appelaient ça " le droit à la différence ". Mais n’allons pas figurer que les seuls Émiriens peuplaient Dubaï. " Bienvenue à tous, tentez la chance ! ", promettait la banderole flash du site gouvernemental de recrutement. Après la traditionnel mise à nu et la subséquente désinfection, les candidats seraient redirigés nous annonçait-on, en fonction du statut octroyé, grimperaient un à un les échelons, à moins de les dégringoler quatre à quatre. Des singes, des singes...
Mais tout cela, tout cela, c’était Dubaï, et cela mérite un éclairage supplémentaire.

Ecrit par Jokeromega, le Vendredi 16 Février 2007, 22:16 dans la rubrique "Chantier fermé".


Commentaires :

  M
23-02-07
à 00:13

Mon passage préféré . 

"Le passé en commun est le pire des esclavagistes, on courbe l’échine de peur de froisser le présent. J’étais son nègre. Son nègre malgré tout. Elle possédait notre passé, l’avantage stratégiquement insurmontable. Mais d’un autre côté, je possédais son passé à elle. On se fracassait l’un dans l’autre."

Jokeromega


  Jokeromega
23-02-07
à 00:15

Re:

Merci!