Joueb.com
Envie de créer un weblog ?
ViaBloga
Le nec plus ultra pour créer un site web.
Débarrassez vous de cette publicité : participez ! :O)
 1.La farce des abîmés   2.Intellections   3.Microthéories   4.Si j'étais poète   Chantier fermé   Mes ancêtres l’univers 

Ces pensées qui abîment, Agence cybernétique de songerie adulte

Version  XML 
C'est la maison qui offre.

Archive : tous les articles

Session
Nom d'utilisateur
Mot de passe

Mot de passe oublié ?



Au coeur du cyclone

--> épisode 2

" Mais, monsieur Céline, que vous a poussé au métier d’écrivain ?
– Oh ma p’tite dame, ça... On est taré, vous comprenez, on est taré. Voyez-vous, si on avait su jouir comme tout le monde, on aurait fait notaire, avocat, professeur... homme d’affaires ! Mais non, on a la tare, on ne sait pas jouir. Alors on l’écrit. "
Le réseau archivait nos existences. Blogs, journaux, chroniques... Portails, annuaires, messageries, forums, vidéos... On pouvait en un tour de clique se passer en boucle la bonne parole. " On ne sait pas jouir, alors on l’écrit.
– Hu ! " Ça par contre c’était papa. La réalité avait fait irruption. Il avait le hoquet. " Dis dont m’gamin, qu’est-ce que ti m’fous là ! Hein ? Toudi à scol... (toujours à l’école) " Mon père s’exprimait en patois quand l’urticaire lui démangeait. Il ignorait que je ne me rendais plus aux cours depuis deux ans et prenait mon écran pour une grosse calculette. " Ça te mène où tout ça ? " Je délibérai un bon moment et finis par hasarder une réponse. " Papa, je vais te dire ce que je fous. Je fous que j’ai envie d’exister.
– Ah. " Sa voix lente et profonde... " Exister. C’est pas un peu risqué ? Ah ! C’est l’âge... Plus un mot ! " Il flanqua sa main énorme sur mes fines lèvres. " Ils sont là ! murmurait-il fébrilement. " En vain essayai-je de lui faire admettre qu’il souffrait d’hallucinations. " Djeu silence ! On s’fait repérer... " Sa lame venait de passer sous ma gorge, longue et aiguisée chaque matin sur sa meule, elle m’invitait trente ans plus tôt en Afghanistan. Si on se fait repérer je suis un homme mort, me dis-je. Il me bénira de sa lame, c’est acquis ! J’en profitai pour faire mes prières. Maman me rejoignit dans cet effort. Nous voilà réunis enfin tous ensemble. C’était notre grand pique-nique familial. Dring dring ! Quand la sonnette fit sursauter mon père je me suis donné 50/50. À la vérité il se déplaça lentement se rasseoir téter un coup. Rien de tel que Jupiler ; la bière des hommes.
" Togo ! " Je lâchai à Togo un immense sourire de soulagement. " Salut Billy " Son sourire était encore plus vaste que le mien. " Un problème au rasage ? " Togo indiqua la trace rougeâtre. Papa avait donc perdu la main. Et si c’est Parkinson qui se déclare ? Décidément un très mauvais coup de dés.
" En forme ?
– On verra Togo. "
On avait vu dix minutes plus tard. Moi et Togo Matebe avions coutume de parcourir la ville à coups de footings intensifs. D’abord on traçait jusqu’au parc, ensuite la nuit tard sur les parkings on prenait de la masse. Pompes-bordure, tractions-lampadaire, soulever de dalle.
" En forme le Billy ! Malgré tout... " Mon partenaire se félicitait. " Faut bien se défouler. Pas vrai Togo ? " Nous arrivions à la dixième série. Les muscles commençaient à brûler. Je flottais sur mon nuage. " Alors Billy, tu passes à la salle demain ?
– On verra.
– C’est bon, dit Togo, j’ai compris. " Avait-il compris ? C’était mieux que non. J’avais trop connu les gens. Mais c’était pas une raison pour qu’ils le sachent. " Allez, dis-je, on bouge. " On bougea jusqu’à la cité. Une fois sur place il m’interrogea. " Je te revois quand ?
– Je l’ignore Togo, je l’ignore. " Togo me scruta l’air de dire " quelle foutue mouche t’a piqué ? ". Il se doutait de quelque chose mais ce quelque chose lui échappait. Alors il employait le langage du silence. Un silence qui en disait long. J’y coupai court. " Je t’appellerai Togo.
– Bien sûr... Comme la dernière fois. " Togo était lassé de mes bobards. Il connaissait que je n’étais plus fiable question rendez-vous. Plus fiable du tout. Qu’y ajouter sinon un vilain rictus ?
Togo Matebe, â Togo, Togo... On est les vagues d’une veille marée, cette histoire est l’écume d’autant de tempêtes... déjà s’affaisse. Rappelez-moi de vous parler du colosse d’ébène. Un jour au détour d’un chemin, route faisant nos destins se télescopèrent. Le reste, que d’histoires !
Togo s’était retiré et l’écran me faisait mal aux yeux.
" Tu veux quoi ma chérie, pour ton Noël ?
– Des fesses comme J-Lo.
– Et moi ! Le menton de Brad Pitt... "
Deux jeunes adolescents faisaient leurs premiers pas dans la vie d’adulte sous le regard bienveillant de la caméra et de parents ouverts mais angoissés. Dix minutes plus tard – trois mois plus tard dans le reportage – le garçon reçut son nouveau visage. Sa sœur serait jalouse et ferait une dépression carabinée suivie d’une tentative de suicide mais tout rentrerait dans l’ordre grâce aux psychologues spécialement attachés aux candidats de télé réalité. Du moins c’est ce que laissait entendre la bande annonce du prochain épisode. Le générique de fin n’intéresse personne et à force de surfer j’échouai sur un programme sportif. En bas à droite de l’écran une fiche statistique précisait 200 kg pour 1m95. L’athlète se positionna en dessous d’une barre d’environ 2m20 maintenue sur cage à squat. Une barre équipée de nombreux disques. En tout, 12OO pounds. Deux hommes de silhouette semblable l’aidèrent dans sa prise et s’écartèrent légèrement. Le gaillard fait maintenant face à la caméra. Il descend ses fesses sur ses talons et remonte, difficilement dois-je dire, muni du fardeau reposant derrière sa nuque sur ses épaules et retenu par ses mains. Il pousse, il pousse, il pousse... Voilà, ça vient. On l’applaudit. Un quart d’heure plus tard c’est au tour du ballon rond. Interview exclusive de Zinedine Zidane, dit Zizou. Le Français d’origine algérienne d’origine kabyle semble un peu perdu. Les journalistes se félicitent de son calme. " Un exemple pour la jeunesse ", dit l’un, " un modèle de réussite ", dit l’autre. Un troisième pousse le compliment un peu plus loin en évoquant un " mythe absolu. " Qui peut blâmer ? L’intention est louable, les temps sont durs... Le système de représentations s’injecte du sacré là où il peut. " Sacrément classe ", commente la voix off d’une publicité Audi S8. Réclame suivante. " Parce que vous le valez bien. " Il s’agit d’un clin d’œil aux années 90. Le XXIe siècle n’a plus qu’à écarter les cuisses. Tam-tam suivant. " Selon vos désirs. " Et qui bourre bien. " Un produit unique pour une existence unique. " Je zappe plusieurs fois pour atterrir sur un débat de société. Un jeune s’empare du micro. " J’en ai rien à secouer ! Je fais ce que je suis. " Applaudissements. Je consulte ma montre qui m’indique l’heure du JT. Je bifurque vers TF1. " Selon l’INSEE, annonce le présentateur vedette, 7 français sur 10 divorcent dans les 5 premières années d’union. " Je prends peur mais son collègue sur A2 me rassure. " Sur dix ruptures, un seul couple aura eu le temps, malheureusement, d’enfanter. " Les Européens veulent s’éteindre et ce n’est plus un scoop pour personne. Les news ça pouvait continuer comme ça indéfiniment. Je mis la console en état de veille. Soudain une voix s’écria. " T’es taré, écris-le ! " Qui avait parlé ? J’inspectai lentement. Personne. Je réfléchis. Ça me turlupinait. J’avais des flashs. " Taré/unique/désir/divorce/enfant/mythe/taré/unique/désir/divorce "... " Je le vaux bien. " J’avais des flashs et maintenait j’avais une histoire. Une histoire à cinq protagonistes. Deux garçons et trois filles. Maxime et son pote Louis. Emma, sa petite sœur Chloé ainsi que Jade leur meilleure amie. Ça commence :
Maxime apostropha Louis. " T’es qu’un taré.
– Rien à battre ; je suis unique. " Louis roulait calmement son pet, Jade lui fit signe qu’elle désirait tirer en premier. Elle alluma le cône. " Sacré bob ", conclut-elle en expirant d’extase le poison. Maxime quant à lui n’avait pas quitté sa pipe à eau. Emma, blottie contre son sein, pipait sporadiquement. " Je voudrais une chiée de gosses ", susurra-t-elle à l’oreille de Maxime. Mais Chloé, 12 ans, avait la fine ouïe. Aussi Chloé s’indigna contre sa sœur. " T’as pété un câble !
– Complètement jetée ", que Jade paraphrasa. Jade était donc du même avis que Chloé. Même Louis alla dans leur sens. " Vous inquiétez pas les gars, Emma a juste le feu au cul. " Ces révélations de Louis venaient confirmer les craintes d’Emma à présent sur la défensive. Tandis que les rires bourdonnèrent Jade enquêta. " Ouais poulette, dit-elle, pourquoi tu lances des horreurs pareilles ? " Maxime ne laissa pas à Emma l’occasion de se défendre. " Laisse pisser.
– Ouais, dit Chloé, puis chier des mômes c’est pas plus con qu’autre chose. "
Emma fut un peu triste. Elle qui désirait beaucoup baiser avec Maxime. Depuis son gâteau à quatorze bougies la semaine dernière y avait eu comme un déclic ; elle se sentait libérée. D’ailleurs elle prenait la pilule sans faute. Mais un bébé, tout de même, elle s’imaginait bien. Que c’est grave ringard elle en avait rien à branler. " Je suis unique ", se disait-elle en son for intérieur.
" Nos parents ont divorcé hier soir, déclara Chloé tout de go, ça faisait dix-huit ans.
– La vache !
– Purée !... Tout ce temps ? Ils ont dû méchamment se les geler.
– Tu parles ! s’esclaffa Chloé, j’avais mal aux boules. Mais là trop cool, maman va se remettre avec un Valentin.
– Tu veux dire... " Jade était stupéfaite. " Un vrai de vrai ? Un Valentin avec la pompe et le carburateur ?
– Carrément... confirma la sœur de Chloé. " Chloé en profita pour avouer qu’elle avait toujours rêvé d’être " une fille à son papa " mais jade n’était pas du même avis. " Un père, pourquoi pas, mais pour quoi faire ? A part les gros renvois tu ne rates rien. Crois-en mon expérience.
– Laquelle s’entiche avec un ceum ? demanda Louis.
– Ben tu sais, répondit Chloé, forcé que ce soit maman Brigitte. Maman Pauline nous a toujours certifié qu’elle est pour toujours notre papa.
– La Pauline devait pas passer sur le billard ?
– C’est pas remboursé... Je t’avais déjà dit pourtant. " Louis présenta ses plus plates excuses, il avait " trop la tête dans le cake ". Le bédo déchirait. Ils étaient carrément à l’ouest. " Sur Krypton ! " Maxime se félicita du savoir-faire marocain. " Le Maroc... reprit Emma, ce serait des vacances ça.
– Au lieu de se faire chier avec ses vieux en Egypte. " Nos cinq jeunes gens partirent en vrille dans des rires indomptés. " Ouais, fit Maxime, on le vaut bien. "

FIN

Tandis que je relisais ce premier jet une voix au-dehors interrompit mes corrections. " Nique sa mère aux chtars ! " Plusieurs cris remontaient la tour du contrebas. " Les pompiers avec ! " – " Et la sœur à Majid ! " Sur cette dernière allocution un chœur de ricanements fit entendre son allégresse. Un double constat s’imposait. Primo, nous étions mal insonorisés. Secundo, l’immigration n’était pas sans risque. Le civisme y perdait des plumes. Rien d’étonnant étant entendu que l’Occident avait élevé l’Individu au-dessus de tout. Comment intégrer dix millions d’âmes égarées lorsqu’on a désintégré deux mille ans de civilisation ? Par ce mouvement multi-ego-démocratique à l’œuvre les plus faibles ne pouvaient que mal finir. En prison ou au loft. Chacun accouchait de lui-même par lui-même. Comme si l’inculture avait effectué une boucle sur elle-même. Chaque jour des associations de crétins en tout genre militaient avec acharnement au nom de la mixité et des acquis sociaux. On se demandait ce qu’ils allaient bien pouvoir mixer étant donné que " nous sommes tous égaux ". Allez-y mixer des clones ! Mais après tout, me dis-je, peut-être les dégénérés bataillent-ils ferme car leur gros pif subodore qu’il s’agit de la dernière grande bataille. La pire de toute. Celle qui vise la libération. La libération à jamais. Oui, les fous étaient lâchés.
" Tu vas la fermer ! Garce... " Schlah !... " Ta gueule j’ai dit ! " Schlah schlah. " Tu sauras le respect maintenant. " Plus un gémissement ne se fit entendre. J’en déduisis que la liberté se frottait les tectoniques, notamment chez mon voisin du dessus, mais que rien n’était insurmontable. Schlah ! Il lui en avait remis une au cas où. Non, rien d’insurmontable.
Une énorme chatte apparut inopinément à l’écran. Sans rigoler ! Je n’y étais pour rien. L’animal s’était invité sans crier gare sur mon 37 pouces Full HD. Autant dire que chaque poil avait de la gueule. Un animal de pedigree, bien soyeuse... Mais j’étais pas à ça maintenant et fis appel – en vain – à la fonction de fermeture de la fenêtre. Une invitation Casino-Poker refusait de s’en aller. Sans me laisser démonter je réitère ma demande. " Bingo ! afficha l’écran, vous êtes l’heureux élu d’un voyage GRATUIT aux îles Caïmans. " Je réitère... " Hello, do you want sweet pussy ? " Je réitère... " Super Promotion ! " Je réitère mais s’introduit un nouveau spam m’expliquant comment me débarrasser des spams suivi d’une énième fenêtre intruse. " Critical error. System Alert popup ! Error data. " L’écran vire au bleu, pleinement le bleu, obstinément le bleu. La machine ne répond plus. La technologie n’était décidément pas mon amie. Cette fois c’était assez. Je fuis la jungle du cyberespace et descendis jouer une part de balle. Chouette sport que le football. Une rixe éclata. Chacun dégaina son outil numérique afin d’immortaliser la scène. Une scène typique. Injuste et cruelle. Une brute en manque de sensation dégomma, détroussa, puis dégomma à nouveau un mecton doté d’une tête à pisser de rire. Évidemment personne ne s’interposerait attendu que le passé à tabac présentait le double tort d’être risible ainsi que pâle. Tout au plus un petit s’écria " sale Flamand ! " (l’insulte de base). Les rires fusèrent intensément, généreux et sincères. Des voix hilares se mélangeaient à volonté. On avait droit à un spectacle. Puis un autre petit a mis un coup de godasse au cul du vermisseau pour qu’il dégage ; ce qu’il fit promptement. Un groupe lui cracha un autre l’humilia, à moins qu’on n’inclue ceux qui crachent dans ceux qui humilient, auquel cas il y eut un seul groupe de tortionnaires. Cette prouesse virile avait le potentiel pour figurer au top5 des happy beatings.
J’assistai à la scène dans son entier sans sourciller. Après toutes ces années il s’en fallait de beaucoup pour m’étonner. L’ambiance générale invitait la dégénérescence. Rien qu’à flâner on pouvait mal finir. Partout des incitations... On attrapait le vice comme on attrape la grippe. Ça ne me touchait même plus. J’étais simplement lassé. Je décidai de prendre le large à bord de mon vélo trois vitesses. L’air était frais mais pédaler réchauffe. La nuit tombait une fois de plus, consolatrice obscurité, pour cacher les visages.
Des pavillons, le chemin serpente, des espaces... puis un manoir, délabré et squatté, des lierres agrippés aux grilles et qui habillent les briques usées. Une architecture en vert. L’écologie avait improvisé. Je me contentais de pédaler le vent dans les oreilles, les yeux plissés sans s’arrêter au paysage qui défile. C’était entre moi et la nuit. Un tête-à-tête qui te sortait du crâne. Tout devenait possible... Krwëh ! Tout devenait possible, comme par exemple un chat noir pas détectable au GPS. Elle débondait abondamment son liquide ma pelote de poils, toute douce en plus, une femelle. Elle m’a gentiment léché le doigt. Fort jeune, deux ans pas plus. Tout le jus fuyait, il se perdait dans la gerçure du macadam pour aller nourrir la terre mère. L’animal miaulait à peine. Elle n’aurait pas tenu d’ici le véto et j’aurais facturé comment moi ? Dans l’étang, un artificiel de gens bien équipés... ça c’est réglé. Elle n’a pas eu le temps de souffrir, pas beaucoup.
Les étoiles luisantes, petit à petit la campagne, j’avais mangé les kilomètres ! Les petits secrets allaient se révéler. Un cycliste désœuvré faisait la tournée des mal payés du pays des hommes, les inutiles et les abattus. Des tas de tôle, caravanes de Rroms, des chiens errants, des criquets qui stridulent, la Lune aux trois quarts.
" Héla toi ! Héla toi là-bas ! " J’avais intérêt à feindre la surdité et continuer comme si de rien mais l’agresseur potentiel s’entêta. " Hé garçon, toi. Oui toi garçon. " Ne pas, ne surtout pas se retourner. " Oh ! T’es bouché ou quoi ? " Mettre le bon coup de pédale et tout de suite. " Tu te fous de ma gueule petite pute ? Attends. Je vais te montrer. " Fuir. Et vite. Mais ma bécane ne voulait plus, son dérailleur déraillait. La vengeance du chat ! Je mis le pied à terre pour me permettre une course à pied vélo sur le dos. C’était un vélo " à prêter " et le prêteur pesait 150 kilos. Le genre de vélo dont on se sépare difficilement... J’ai beaucoup couru mais je me suis vite fatigué. Lorsque l’agresseur arriva à ma hauteur j’avais déjà lâché le vélo depuis longtemps. Il hurla " salope ! " et lança son poing en disant " ramasse ! " Sachant que la visibilité nocturne m’échappe (je n’ai pas les yeux de Batman), il ne me restait qu’à plonger dans ses jambes, espérant l’amener au sol. Essai couronné de succès. Le bruit fut sourd et je monte dessus. Bam Bam Bam ! Maintenant que j’ai tapé ses dents on va pouvoir entamer les pourparlers. Je me renseigne. " T’en veux encore ?
– Je te demande pardon.
– Je t’ai posé une question. Stop ou encore ?
– Stop !
– À qui tu donnes des ordres ? Salope ! " Bam ! " Et comme ça, c’est mieux ? " Il faisait dodo. Ils étaient beaux les gens quand ils dormaient ; ça devenait des civilisés. Mais les civilités eurent peu de répit. Déjà un groupe d’ombres approchaient en pressant la foulée. " Ah ! Chandu... ça va, j’ai retrouvé le refré... " Chandu se joignit au petit groupe et s’écria dans ma direction. " C’est à mon Négro que t’as touché ?
– Sa mère les gars, Casper a osé.
– On l’ouvre en deux ! " Vu l’état d’irritation de leur voix, leur projet me parût digne de confiance. Ils auraient sans doute du mal à s’en tenir littéralement à leur parole – sans les instruments requis, ouvrir en deux est difficile – mais ils ouvriraient du mieux qu’ils pussent, je pouvais compter dessus. C’est pourquoi je trissais dans les bois, une meute de blackos à mes fesses pour en toute logique y planter des pointes. Et les blackos quand il fait noir ça devient des ombres... Comment échapper à des ombres ! Je vous le demande. J’aurais de bonne grâce imploré le pardon... si la moindre chance de pardon existait. Mais je connais leur mentalité. La faiblesse ne fait que les exciter. Et merde, me dis-je, depuis quand les Renois traînent à la campagne ? Il n’existait malheureusement qu’une façon d’élucider l’énigme. Un peu trop douloureuse à mon goût. " Babtou, babtou. " Ils battaient le rappel. " Babtou, babtou... On va te scier. " En tout cas ils possédaient le langage urbain. Sans doute des banlieusards en quête d’une paysanne. C’était la seule explication plausible. " Babtou, babtou... " Ils y mettaient le cœur dans le timbre, on sentait la joie spontanée, je serais servi sans faute.
Les bois descendaient profondément et en s’enfonçant on sentait la présence des animaux. Des sauvages à l’ancienne, qui n’ont pas vu beaucoup d’humains. Et qui n’en verraient pas beaucoup plus ; les bruits de la nuit avaient découragé mes poursuivants. C’était seul ici ; encaissé et tout foncé, avec juste un peu d’évanescence de Lune crachée dans les feuillages, mais un peu comme ça, pour donner du relief à des drôles de formes, des humaines et d’autres inquiétantes. En fait, on savait pas lesquelles fallait le plus redouter. On savait seulement qu’on était mieux avant. On regrettait les stress du passé. En principe j’étais dedans. Mais il y eut ce petit quelque chose dans l’air, comme... comme une odeur de saucisse fumée ! Au flair, au flair ! C’est au flair que j’y suis retourné à la société. Au flair...
Plus près de l’odeur tout s’expliqua. Un grand bal délirait. Comme d’habitude les genres de messieurs pas comme il faut avaient été attirés, toujours en chasse d’une fille facile. N’est-ce pas ? Une blonde ! De la campagne si possible. Les salauds... Voyant cela je me faufile aussi discrètement que James Bond ; je connais ce genre de parage, on sait jamais ces choses-là, ça tombe dessus sans prévenir.
" Gadji !... Viens un peu. " Une voix rauque de grizzli. Ce sont les Gens du voyage qui invoquent les "gadji", les filles selon leur idiome. Ah oui... au bal tout le monde veut son morceau de poulette. Mes yeux lancent un bref panoramique de la situation. Des Romanichels en veux-tu qu’il en pleut... eux aussi savent comment avec les cailles... tout en moustache ! Le contexte blindé de peaux mates... le sale contexte... ça pue le coupe-gorge. " Hé ! Garçon... " La même voix rauque de grizzli. C’était donc bien moi la gadji. On pouvait imaginer la suite... Seigneur ! Pas deux fois le même jour, tout de même. " Oui, toi. Avec les Adidas. " Attends, des Adidas, ça ne voulait rien dire, ma mère avec en Adidas ! " T’es dur de la feuille ? Hé ! Petit, où tu te barres comme ça ?
– M-moi ?... " Ça m’avait échappé. Pourtant je n’étais pas sans savoir que l’hésitation signe ton arrêt de mort. Pour survivre, faut que l’autre pense qu’il te survivra pas. Il était temps que je me ressaisisse. " Nan... Rien de spécial. Je traîne... Et toi gitan, qui tu pistes comme ça ? Tu veux un coup de main peut-être ? " J’avais agité mon " coup de main ", les cinq phalanges repliées, sourire délié d’une commissure à l’autre. Un sourire de cinglé. Le gitan ricana. " Hé hé oh !... Fais pas le fâché. On est en démocratie, non ?
– La démocratie ? soupirai-je, c’est à la tête du client. " Sur ces bonnes paroles, il m’inspecta le portrait sérieusement. Ses yeux me faisaient un gros plan. Pour ma part, j’étais disposé à lui faire une grosse tête. Apparemment, des deux je fus le plus convaincant. Le gitan renonça, un petit sourire en coin qui signifiait " tu perds rien pour attendre ".
C’est alors que les bruits d’une sauterie parvinrent à mes oreilles. Je me dirigeai vers la source sonore... Je vis !... à peine dissimulés, tous les vieux du coin mataient. Deux jeunes tourtereaux l’un dans l’autre, complètement enchâssés. Gros noir sur brindille blanche. La seigneurie du quatrième âge, chacun derrière son taudis, reluquait entre les stores sinon par la porte entrouverte, une main sur chaque béquille si vous voyez ce que je veux dire. Ils avaient intérêt à rien rater. C’était leur amour de l’année. Ils n’y auraient plus droit. C’est ainsi, sortis du domaine de la lutte. Avec les yeux dorénavant... et le beau gosse y allait franco de porc avec sa blonde à califourchon ; elle s’agrippait comme à un trésor. " Ah ! Ouuui ! Vas-y trésor, encore, plus fort, oui, ah ! hi ! Vas-y Chandu ! " Chandu de tout à l’heure ! Les petits vieux lorgnaient à s’en tomber le dentier... fallait voir ça.
La blonde subitement repoussa l’assaillant. " C’est tout ? " fit-elle ingénue. Elle le snobait, puis écarta à nouveau, méchamment ostentatoire, les antiques ont failli tomber le binocle ce coup-ci. Il y en a même un qu’a tombé tout court. Une belle mort, titra la presse régionale. Tout le patelin attesta. L’athlète retourna au charbon trois fois plus fort. Espérait-il une médaille ? On peut le croire.
Pendant ce temps j’observais les observants. Des isolés, esseulés, moribonds tout ça, des gens quoi, qu’avaient vécu, juste ça en trop. Le social s’était échoué à leur porte, ça avait été presque... pas loin... non pas loin ! Des abandonnés abonnés, des fins de parcours prolongeantes. L’époque allait rugueuse... le droit de chômage à court de souffle... les soupes populaires s’intensifiaient, l’assistanat se réduisait (tant mieux !), converti mendicité (tant pis !). Les âmes en ruine... heureusement subsistait plus que jamais le porno. On les gavera, une dernière fois le vidange... La névrose suintait par là. Carnaval d’onanismes. En couple tiens ! Même les couples... La plupart ne communiquaient qu’au moment des quatre rageuses vérités. Entre ils meublaient. À coups de garniture, des " Je t’aime " et des ballades en auto.
Les voisins d’à côté gueulaient. Une gueulante de film d’horreur. Je savais vraiment pas ce que je foutais là. Bon, c’est bien la porte d’entrée du nid familial ? J’étais de retour. Je savais pas ce que je foutais là. " Oh, oh ! Prends ça salope ! Tiens, hein que t’en veux ma garce ! " On discernait aisément la voix de Rocco Siffredi. C’est ça l’insertion moderne. Des nouveaux malheurs. Y en aura pour tout le monde. " Ah ! Ah ! Oui... comme ça... Maintenant mets-là dedans. " Il s’exécuterait, fidèle serviteur, Rocco et mon voisin main dans la main.
Tout compte fait le bercail c’est encore la meilleure des prises de tête. Laisse tomber les sorties... Rien de tel que mon père... Le chef était figé devant son poste, un vieux matos d’avant le numérique. Il ne voulait rien savoir de ces " petites choses de branleur ". Papa dormait paisiblement, la fée clochette était passée de fraîche date. Le même programme que notre voisin pour tout dire... on voit ça d’ici... La fille de joie suce en vain. Toute une vie, et jamais son existence se relèvera. La joie aux autres... à peine, vite fait ! déjà affligés, eux aussi... Il rit mon salaud ! Tout sursauté dans son rêve. Papa rit des larmes ! Le visage carrément fauché... La crotte de l’autre ça le bidonne ! Torché complet ! Il croit s’en laver les mains mais ce qu’il sait pas, des pognes de dégueulasse c’est fait pour la merde, toujours. Misérable diable ! marrant comme un jocko, chauve ! presque édenté ! Il ouvre les yeux, me surprend à le mater... il éclate de rire... c’est reparti pour un tour. D’autres acteurs d’autres voyeurs, la roue tourne.
Je sautai sous mes draps. Ce soir c’était ça. Je fus réveillé de bonne heure par l’ami Matebe. 7h30. Je devais avoir dans les 25 minutes de sommeil. " As-tu vu mon ami – à tout hasard – l’heure qu’il est ?
– Écoute ça plutôt. " Son visage s’anima sur l’écran tactile de mon PDA. " Des gars louches quadrillent le secteur. Toute la sainte putain de nuit mon vieux, ils ont rendu ses lettres de noblesse au tapage nocturne. Enquête sur enquête, ils agressent tout le monde, un Négro à eux s’est fait plier. Le coupable présente le profil d’un Blanc à vélo, la vingtaine cheveux courts, court vite et sait se battre. Les Renois ont confisqué son vélo et ils aimeraient le rendre au propriétaire. T’aurais pas une petite idée duquel cycliste ? "
J’avais intérêt à ce que mon visage reste tranquille à l’autre bout de l’écran. C’est le problème de la technologie... on l’a pas vu venir. On s’est ruinés pour se payer un mouchard à domicile. " Au-cu-ne idée Togo. Je n’y vois que du feu mais je fouille de mon côté. O.K., on fait comme ça ?
– Du feu ? Vraiment Billy ? " Il avait insisté sur le Billy. " J’en sais autant que toi. To-go. " Je lui renvoyais la balle. Je le testais. Plus personne avançait de paroles. L’échange coinçait. J’aurais dû me méfier. Un Toubab sera toujours un Toubab. Au Mali, les médecins de l’époque, les toubabs, avaient la peau blanche. Ça nous situe au bon vieux temps. Ensuite il y eut l’immigration. Les mômes des immigrés appliquèrent le verlan parigot à l’idiome africain. J’étais devenu babtou. Son babtou. Quoiqu’à la vérité Togo parle le Swahili de RDC. Mais bon, l’idée est là. Finalement mon Congolais rompit le silence de son rire granuleux. " Je t’ai bien eu ma poule ! Qu’est-ce tu croyais ? Entre nous, c’est gros Boris qui va pas être content. " Gros Boris m’avait prêté son vélo. On l’appelait ainsi en hommage à sa pesée de 150 kilos. " Stresse pas Billy... à part moi qui sait ? En même temps c’est vrai qu’ils ont la haine, tu vois la tempe, juste au-dessus, la toute grosse veine. T’y es pas allé de main morte.
– Je te remercie pour ton soutien. Je n’en attendais pas moins de ta part Togo, sale enfoiré de Négro de mes deux ! " Togo avait du mal à se rattraper, plié en quatre, non pas que mon humour raciste soit désopilant mais depuis qu’il avait évoqué gros Boris la banane n’avait cessé de lui chatouiller la bouche. On sentait que ça voulait venir... Quand j’avais commencé à me fâcher (pour de faux) Togo s’était lâché pour de bon. Il ne nous en fallait pas plus. On se comprenait. C’est l’humour des gueules cassées.
" Je vais plonger quelque temps.
– Oublie pas d’emporter un tuba.
– Très drôle Togo.
– T’énerve pas. Si ça part en vrille j’enfile ma cape de Zorro.
– Inquiète pas. Je gère moi-même, quand on a merdé faut savoir torcher.
– Tiens-moi au courant.
– Je n’y manquerai pas mon ami.
– À plus cousin. "
J’étais dans une sacrée merde. Pour la troisième fois en moins d’un an je m’attaquais à qui il fallait pas. Dans mon biotope seuls les Caucasiens sont abordables. Faut-il encore s’en mettre un sous la dent ! Où dénicher ? Ils sortent rarement de chez eux, en général à l’occasion de leur déménagement. Voilà, je m’étais attiré des ennuis pour les longues nuits d’été. " Mon dossier s’étoffe, ça devient du lourd ! " J’avais beau me faire mousser je n’en menais pas large. On t’attend toujours au tournant, dès que tu passes le portique du bloc les bras plein de commissions pour ta maman, là où 15 ou 20 racailles font le pied de grue. Passage obligé... T’as intérêt d’avoir tes papiers en ordre. Sinon c’est l’amende. Je connais les habitudes de la maison. Non, je n’oublierai pas mon tuba, même si c’est le masque à oxygène qui m’est promis. D’ici là, si vous le permettez, je vais taper des longueurs dans ma piaule. Merde, c’est ras-le-bol ! On s’enlise. Tout fout le camp... comme toujours, les civilisations empoussièrent, tombent en friche... repli, oubli, vendu ! Plus personne rien foutre ! La Belgique est une mauvaise invention et le Pays de la guillotine se guillotine lui-même. Pourtant, tout bien pesé, ce n’est pas si grave. Toutes les peaux auront des rides... C’est la seule vérité. Les artistes se trouveront toujours sous les peaux, toujours, sous toutes les peaux. Les cultures ! les cultures iront crever. L’artiste y survivra, telle l’étoile brillant malgré le crépuscule... Illuminera à jamais, bien après sa mort, au loin fin fond des mémoires, pour qui apte d’en recevoir le signal de rémanence, cette lumière posthume et nomade. Éternel souvenir immaculé. La culture en revanche, cette décadence annoncée, qu’en pouvoir sauver ? On échoue à se sauver soi-même... Et nous prétendons que perdure ? L’audace manque pas. Soit. J’écartai un tantinet la tenture. La journée arborait ses nuages matinaux, léger gris sur fond blanc, assez cotonneux dois-je dire, et du bleu dans les quelques rares trous. Quelques taches noires ; un banc d’oiseaux passait par là. Du gris encore, un peu plus bas, en-dessous ; les blocs à nous. En fait, tout cela ne présente strictement aucun intérêt. Je n’aime pas la nature. Je suis pas contemplatif moi. Je viens du XXIe siècle. Je préfère quand les pixels bougent. Je suis le poète des mégabits. Bon, très bien, et côté EuroNews qu’est-ce que ça raconte ? Rubrique Perspectives. La chaîne d’information paneuropéenne vante les chantiers extrême-orientaux. Cette fois on y est, les gratte-ciel vraiment grattent le ciel... à qui mieux mieux la gratte, à croire que les hommes cherchent des poux aux nuages. La nature se prend des liftings. Certes. Et que raconte TV5MONDE ? Ah ! Encore eux ! Tsahal a frappé. Sept morts trois civils deux enfants. Les enfants c’est pas une grande perte. Les vieux par contre, toute cette expérience galvaudée... Le membre du Hamas visé a semble-t-il échappé à l’attaque. La communauté internationale " condamne fermement cet acte déplorable ". Moi j’en connais une qui en a pour son argent. Cousine Charlotte ! Charlotte m’avait bien dit que la roue a tourné. À présent les rescapés d’Auschwitz pogroms et consort sont passés de l’autre côté de la cheminée si j’ose dire. Malheur aux prospères ! Les soupçons alors s’intensifient. Prenez plutôt des Palestiniens... si délabrés... ils contrastent, et comment ! Le vent a tourné, les cendres de l’Holocauste soufflent ailleurs. L’imperceptible inversion... Hamas et Hezbollah constituent un partenaire autrement plus crédible, les associations de défense des droits de l’homme ne démordent plus. Tous les critères sont rencontrés. Pauvreté, exotisme, détermination. Qui saurait encore pleurer un Lévy ?... Bierbaum ?... Goldmeyer ? Est-ce une blague ? Pareils fats, opulents, puissants... et si peu coopératifs, toujours entre eux. Ces hommes sont inéligibles à l’humanité. Il ne se trouve pas sur terre plus parfait salaud. En plus si ils se mettent à taper à côté... Le sujet suivant abordait une catastrophe humanitaire à l’ébauche. Quelque part sur le Continent noir une guerre civile faisait rage suite à de louches élections. On dénombrait environ 2000 morts chez les rebelles et plus de 700 dans les rangs de la milice présidentielle. Heureusement la journaliste garde le sourire. Il y a de quoi. La France éplorée ne manque pas de vivement condamner les " velléités d’ingérence " du président américain. Les membres du Conseil de sécurité applaudissent chaleureusement tandis que la Chine poursuit tranquillement son commerce équitable en respect de la diversité des matières premières. Quelques dérapages malheureusement. Des esclaves par-ci par-là. Les enragés du Bien dans le monde se font peu entendre. C’est si loin... on réclame nos Palestiniens ! Non, le vrai problème se résume à trois lettres. USA. Le jour où on fera tomber l’empire la paix s’établira dans le monde. En gros, c’est ce que nous enseignait le système médiatique français. Mais il n’était pas le seul, Al-Jezira défendait un point de vue assez similaire, légèrement partisan certes, mais assez lucide, à la française.
Tout cela commençait à me taper sur les nerfs. Je me sentais de plus en plus juif. Par esprit de résistance. Ce peuple admirable a tout traversé. Exodes, discriminations, Génocide, et finalement la haine d’un milliard de fous furieux... RESPECT. Inutile de goûter au reste de l’actualité, la France n’est que le sommet de l’iceberg européen, nos valeurs n’en finissent plus de couler. Monsieur Lévy dérange tout le monde. Y a comme un malaise. Or nous vivons le règne du no malaise. Il incombe de résoudre l’inadmissible problème. Chaque représentant de la paix dans le monde exige une Solution... à laquelle apposer son point Final. " C’est si simple, me confiait Charlotte encore hier, il suffirait qu’on vive tous ensemble. Ce sont ces putains de murs qui foutent la merde. " Ma cousine a bigrement raison. Petite futée va... Suite à quoi les dictatures arabes tomberont l’une après l’autre. N’est-ce pas ?
J’abandonnai le projet de m’informer et ça tombait à point nommé car maman m’interpellait. " On bouffe !
– J’arrive. " Je descendis la bectance en deux minutes montre en main, prenant congé de mes condisciples de table non sans emmener au préalable un multivitamines sans sucre ajouté. J’installai le portable sur mes genoux et mes fesses sur le fauteuil club. Le curseur patientait mes instructions. Pas de geste brusque, je reste songeur. L’écriture est un acte d’isolement. À moins que l’isolement soit un acte d’écriture. Loin des hommes loin des morts. On passe sa vie à refouler mais un jour ça remontera et on sera tout seul ce jour-là. Le libre penseur finira libre et seul. Parfois je me demande dans quelle mesure il est encore possible de me proclamer représentant de celui que j’ai été. Une rupture a éventré mon identité, je suis un autre, une altérité. Ce constat rend comme un goût schizophrène à l’histoire de mon existence. Mon existence... J’encode "existence" dans la fenêtre de recherche Google. L’encyclopédie libre Wikipédia parvient en seconde place d’un recensement de 300 millions de pages. Je fais appel au lien hypertexte et de fil en aiguille me voilà à potasser l’Existentialisme. Il faut savoir que mon premier contact avec l’illustre philosophe germanopratin fut La nausée. Par hasard dois-je dire, une antique édition héritée d’un oncle à mon père, le tout fourré dans une grosse caisse crasseuse. Outre la pile de Playboy avait émergé l’ouvrage racorni. Je ne fus pas déçu. Quel esprit d’analyse ! Playboy, une valeur sûre. Sur ma lancée j’avais alors tenté le Sartre pour voir. On ne sait jamais... après tout, soyons ouvert. Page 40... dans un premier temps. Un peu guindé, non ? Mais on se remotive malgré tout, parce que tout de même, au nom de la réputation ! Six mois plus tard... page 13. Je résolus d’en rester là. La philosophie c’était pas mal comme trip, mais si c’était pour consacrer sa vie entière à écrire des choses douteuses autant passer directement au roman, ça évite de barber tout le monde. J’observai à nouveau ce qui se passait derrière ma fenêtre. Le bleu avait conquis le ciel, seule une trace blanchâtre subsistait, qui découpait le bleu avec rectitude. Un avion. La journée s’annonçait magnifique. Il était hors de question que je sorte. Il suffisait d’une infime variation de luminosité pour que trente-six mille sourires en débardeur déboulent de partout. L’ignoble épandage... C’est alors que je reçois un appel en ligne anonyme que ma curiosité me pousse à accepter malgré moi. Je prends la précaution de limiter la conversation au mode phonétique.
" Billy ? Je suis bien chez Billy ? " Cette voix désagréablement familière. Je cherchais à lui mettre un visage. Je l’avais sur le bout de la langue ! " Billy ! Que deviens-tu ? Tu te caches ou quoi !
– Vivons heureux vivons cachés. " Je faisais le malin sans avoir pour autant découvert le personnage mystère. Un violent rire éclata à l’autre bout du fil.
" Tu n’as perdu ton sens de l’humour !
– On fait ce qu’on peut.
– Quoi de neuf sinon ?
– Je pense. " Silence. " Oui c’est ça. Je pense. " Un silence embarrassant vite terrassé. " Billy, j’ai un super coup ! En Chine mec, une affaire du tonnerre, t’en reviendras pas. " Les gens et leurs histoires, en effet, je n’en désirais plus revenir. Mais Paul Clémors était une mouche à merde. Une incontestable mouche à merde. Persistante, opiniâtre, collante. Une mouche à projets. Il souffrait d’une sinusite ; sinon j’aurais reconnu ce salopard depuis longtemps.
" Le zinc mon pote, le zinc !
– Le zinc ?
– Le cuivre aussi !
– Le cuivre ?
– L’aluminium ! Et le nickel ! On sert d’intermédiaire... point barre. " C’est vrai me dis-je, le cours en bourse n’a cessé d’augmenter. " Alors, dit-il, c’est tout ? " Il devait se dire que j’étais bien rouillé mais c’était pas une raison suffisante pour me parler sur ce ton. Je cherchai un mensonge de circonstance. " Tu sais, j’ai un tas de plans. " Mensonge bien trop vague. Billy... Tu crois que Clémors va comprendre qu’il s’agit d’un refus ? Laisse-moi rire. Je me rendais compte après coup. Vite, relance-le. " Ces projets m’accaparent tout le jus, c’est fou, même la nuit j’en rêve ! " Je regrettai cette phrase avant de la finir. Je sonnais creux. Les humiliantes explications... On finit par ressembler à rien. Ce n’est pas grave ! Monsieur Clémors ne se démoralise pas si facilement ; j’aurais dû le prévoir. Le seul bon mensonge est le mensonge définitif. Un mauvais mensonge crée des appels d’air. " Tu m’étonnes ! dit-il, lâche le morceau ! Tes plans, je suis preneur.
– Paul, Paul, Paul... Mais mon cher Paul, les projets ça ne se raconte pas. C’est les victoires qu’on célèbre. " J’étais inspiré. Malheureusement lui aussi. " Ah ! Je te reconnais bien là. " Il allait repartir. Je finis par arrêter ma pensée. " Tu es bien le seul.
– Ah ! J’allais oublier... " Il cherchait une excuse. " Priyanka m’attend pour dîner. Ses parents ont débarqué de New Delhi hier soir. Je t’avais dit pour ma nouvelle ? A-d-o-r-a-b-l-e.
– Eh bien, c’est chose faite. " Si après ça il n’était pas refroidi... Mais j’avais réussi. L’ambiance pesait ; de part et d’autre.
" On se reparlera Billy. Je te maile courant de semaine. Bonne chance ! "
Parfois je souhaiterais non pas la mort de tous ceux qui concoururent à cette sinistre farce mais bien leur néant pur et simple. C’est fou comme l’existence bascule, un rien et on n’en revient plus. Un jour on se met à penser et le lendemain on est condamné. Tous ces gens qui pensent ces choses sur nous, ces dossiers dans leurs mémoires, les monstres, ils nous déforment ignoblement. Chaque rencontre mutile. On ne sort jamais indemne de l’autre.
Les souvenirs se mirent à repasser, et repasser...

Ecrit par Jokeromega, le Dimanche 18 Mars 2007, 02:00 dans la rubrique "1.La farce des abîmés".