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Ces pensées qui abîment, Agence cybernétique de songerie adulte

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L'espoir fait vivre et Lola savait attiser.

--> épisode 7

" Bonsoir. Je suis Billy. Ce n’est pas un pseudo, je suis vraiment Billy. Et toi, qui es-tu ?
– Je ne sais pas. "
Lorsqu’elle n’a pas lieu d’être, cette réponse – la je ne sais pas – est une phrase indice. Elle prévient son destinataire que l’expéditrice est soit modeste, soit paumée. Les instincts de Billy lui hurlèrent de fuir mais sa curiosité a désobéi. Il kiffait trop la page d’accueil de Lola :
Je meurs, je meurs, je meurs... et j’aime ça. Je l’attends, il viendra, je le sais.
Non, ne meure pas ! J’arrive... Tu as eu raison d’attendre.
Tel fut le plan de Billy. Bien sûr l’objet de son désir n'en devait rien savoir. Préservons les apparences de la rencontre fortuite, se disait Billy avec sagesse, et trouvons-nous un solide alibi : " Oui, moi aussi j’adore la danse classique ! " La danse était la passion de Lola. Je trouvais les tutus ridicules et pris soin d’affirmer le contraire. Lola se prit au jeu et me transféra des photos en bas collants. Comme elle est fragile ! me dis-je, prenant presque peur, elle ne doit pas peser bien lourd, je pourrais facilement la porter sur un bras. Au pifomètre je dirais que son estomac se contente d’une pomme par jour plus une carotte le soir à condition d’avoir effectué 3 heures de vélo. Lola ressemble à ces brindilles qu’on n’ose pas toucher de peur de les casser en deux. Même si, il est vrai, on meurt d’envie de rompre la glace. Miam miam...
" Bonsoir Lola, désolé pour l’autre jour, ma bécane avait planté. Black out complet, pas moyen de redémarrer. J’espère que tu n’as pas trop poireauté que je revienne. Tu m’excuses ?
– Tu n’as aucun souci à te faire Billy. Tu sais, je n’avais même pas remarqué ta présence. "
L’écran martelait d’une étale étendue blanche. J’attendais la suite de ses idées qui ne vint jamais.
" J’ennuie mademoiselle à ce point-là ?
– Écoute, tu as commencé par t’excuser. Très bien, je te félicite, faute avouée faute à moitié pardonnée. Maintenant ne gâche pas tout en te montrant si susceptible. Non, tu ne m’ennuies pas – pas encore.
– C’est pourtant l’impression que tu donnes.
– Ne t’impatiente pas. Ça viendra si jamais. "
Fin de conversation.
Je trouvais ses manières si brutales que j’y devins accroc. Plusieurs semaines s’écoulèrent peu ou prou sur le même ton. J’avais l’impression de jouer à tu me tiens je te tiens par la barbichette. C’était faux. Je me nourrissais d’illusions. Dans ce jeu, je n’avais rien entre les mains, seule Lola s’amusait. Elle me tenait par le bout du nez et j’avançais comme un nigaud.
Parfois je grognais un peu (imaginez un âne exaspéré de se faire exploiter arrivé à saturation).
" À quoi tu joues ?
– Je joue à toi. "
On alternait tchat dactylographique et tchat microphonique ; malheureusement la webcam défectueuse de Lola n’émettait plus d’image. Qui plus est je captais à peine sa voix ténue. Elle est si inhumainement frêle, songeai-je plein d’amour, si fluette, fragile... Une demi-pomme !
La vérité est que Lola est un pioupiou. Personne fait régime avec autant de conscience professionnelle. Personne se contraint autant. Lola campe sur ses réserves. Ses maigres, ses très maigres, ses inhumainement maigres réserves. En réalité, vu son ventre creux de Fakir, sa faim puise sur du vide, ce qui a tendance à la raidir, si vous voyez ce que je veux dire ; son humeur est souvent tendue... Alors parfois elle fume un joint pour se détendre. Selon moi c’est le meilleur moment, elle s’ouvre enfin à autrui. Je regrette cependant que ce soit de courte durée. Lola est accoutumée au haschich, ce qui implique que son cœur se referme aussi vite qu’il ne s’ouvre. C’est un style que Lola a inventé (a-t-elle fait exprès ?). Dès qu’on l’approche elle se met sur la défensive.
Je voulus percer cette cuirasse. Mais peu d’occasions se présentaient. Lola parlait peu et ses rares sorties consistaient à rabaisser son interlocuteur. Ce n’est pas bien grave, me dis-je, tout vient à point à qui sait attendre.
Et en effet, le jour tant attendu arriva. Le cadran de mon GSM indiquait minuit bien fait. Grâce à la conjonction de l’herbe et du gin les défenses psychiques de Lola s’estompaient à vitesse grand V ; elle était sur le point de lâcher le fromage. C’était le jour J.
Alors, pourquoi tant de haine ? Eh bien, c’est assez simple, il y a quelques années, en rentrant de l’école, l’adolescente était tombée en sortant du bus sur un groupe de jeunes à casquette. La jeune Lola essaya de se débattre mais ils étaient trop forts et en nombre. Elle appela au secours mais les passants changèrent de trottoir ou firent semblant d’être sourds et aveugles. Enfin, elle demanda pitié et reçu en guise de réponse un coup de poing sur la figure. À ce point de l’histoire Lola refusa de développer davantage son récit. Ce n’était pas nécessaire ; pas besoin d’être un génie pour deviner la suite des événements.
Lola avait arrêté ses études ainsi que la nourriture. Accessoirement elle se mit aussi à doucement haïr les garçons.
De tout cela fallût-il compatir ? Sans doute, mais en toute franchise ça me tapait sur le système. Sans compter que la distance nous séparant ne retirait rien à la haine phallophobe de Lola. Que du contraire, quel espèce de cinglé peut bien perdre son temps derrière cet amas de pixels ? (Ce n’est sûrement pas parce que Lola pratique Internet avec avidité que les internautes comme elle en sont moins une bande de salopards vicieux.) Lola c’est Lola. Le reste du monde est suspect. Mais comme Lola s’ennuie, de temps à autre elle lâche un os à un admirateur. Laissons-le chipoter avec son clavier, se dit-elle, on le teste et on vérifie que c’est un obsédé. Le dégueulasse finira par se trahir et révéler au grand jour sa vraie nature.
Mais en même temps Lola avait envie d’aimer car ça met de bonne humeur. Elle était prête à aimer n’importe qui ou n’importe quoi. Elle reconnaissait néanmoins qu’il est plus facile d’aimer un être humain qu’un caillou. Par contre aucun amour ne se hisse à la cheville de son chihuahua.
Bref, de temps à autre Lola témoignait une certaine affection à un être humain. Naturellement elle prenait soin d’y aller pas à pas. Elle sait vraiment y faire la Lola. Nul ne met mieux en appétit, car Lola sait mieux que quiconque ce qu’est la faim. Elle sait que dans le don, ce qui compte, c’est ce qu’on ne donne pas. Rien ne fait plus effet que la frustration.
À l’occasion Lola se remettait une mèche que je ne verrais jamais (webcam toujours pas réparée), avant d’éteindre tous les feux.
Elle distilla ainsi pendant un semestre l’émotion au compte-gouttes. Je ne savais pas à quoi m’en tenir, tous les scénarios étaient envisageables à égalité. Il est à noter que je n’avais à ce point de l’enquête pas encore détecté aucune forme de cohérence chez cet être compliqué. Le doute était donc permis et l’espoir aussi, à condition d’être de nature optimiste. Très optimiste. Ou tout simplement aveugle, ce qui bien sûr était mon cas. Mon espoir était sans faille ; il m’introduisit à bien des chimères... que le doute exacerbât. On s’agace ! On s’enivre...
C’est ce moment-là que choisit la cible de tous mes espoirs pour annoncer son intention de " prendre le temps nécessaire à la réflexion. Vois-tu Billy, il ne faudrait pas précipiter.
– Oh mais je comprends parfaitement Lola ; d’ailleurs il ne faudrait pas non plus abuser. "
Je jouais gros sur ce coup-là... Sortant la carte de la fermeté. C’était risqué, car je naviguais à l’instinct en eaux troubles à travers une épaisse brume cybernétique attiré par le chant mélodieux d’une sirène des temps modernes. La sirène répliqua :
" Tiens dont... Alors t’es un comme ça.
– Parce que t’es une comment ?
– Une couci-couça, miaula-t-elle.
– À l’image de toutes les meufs ", genéralisai-je pour la chambrer. Sans se démonter Lola rendit la politesse :
" Réponse typique, dit-elle, du jeune mâle en manque de sensation.
– Dans ce cas tu peux te réjouir jeune chatte. Considère que chacun tient son rôle.
– Je vois... Mais désolée de te décevoir, minet, je crois que ton rôle n’est pas encore au point. Va falloir revoir ta copie. "
Et voilà chère Lola, sans grande surprise tu fous le camp comme d’habitude. Ça ne m’étonne même plus. Franchement, explique-moi pourquoi une jeune fille comme toi – sans scrupule – irait changer une formule qui gagne ?
J’aurais réparti en ces termes si Lola n’avait pas abruptement interrompu notre conversation. Trop court d’une répartie... Une fois de plus mon attentionnée correspondante s’était emparée du dernier mot.
J’étais profondément dégoûté. Mais que faire ? Impossible de contraindre une adresse IP à la courtoisie. C’est la jungle...
J’étais là, assis à rien faire en face des icônes de mon bureau. Le temps n’en finit plus derrière un écran. Comme si la fameuse goutte ne tombera jamais. Les nerfs s’aiguisent. On s’occupe l’esprit en faisant du tourisme virtuel. On feuillette les pages web. On s’hypnotise le cerveau. Les pensées s’agglutinent à milles fenêtres d’exploitation. Là où s’établissent les vies parallèles. Vies pas nécessairement dénuées de sens. Simplement immatérielles.
" Tiens, au fait Billy, je ne t’ai jamais demandé, tu fais quoi dans la vie ?
– Pas grand chose. Je ne suis même pas foutu d’être un simple rentier ! Et toi ?
– Qu’est-ce que t’as contre les rentiers ?
– Tu es vive d’esprit Lola, tu as tout de suite remarqué l’ironie de la formule.
– Va te faire foutre. Socrate du dimanche.
– Merci du compliment, ma chère crâneuse à la petite semaine. "
On jouait à se châtier. C’est toujours ça de pris, songeai-je. Je me consolais... Or le temps poursuivit son imperturbable progression sans donner beaucoup de signes encourageants. Nos contacts s’aiguisaient sans jamais se concrétiser. J’étais fasciné par sa capacité de discrétion. Quel tact ! Cette fille mettrait Paris en bouteille sans jamais y toucher.
À ce train-là ça pouvait encore durer longtemps. Je dus mettre les pieds dans le plat... en essayant de susciter le moins de remous possibles.
" Ce ne serait pas chouette de se faire confirmer par le réel ? Comme ça, sans se prendre la tête, histoire de. T’as pas envie de voir à quoi je ressemble en 3D ?
– Non. Mais merci pour la proposition. "
Sa candeur me soufflait. Lola sortait ses énormités sans forcer. Elle évoluait au sein des conversations avec féminité, c’est-à-dire en petit monstre.
" Au fait Billy, tu habites encore la maison familiale ?
– Oui. Et toi ?
– À mon âge ce serait indécent. "
Lola savait humilier l’air de pas y toucher.
" Enfin, se reprit-elle, il m’arrive de passer un week-end. J’apprécie la villa de papa. J’ai toujours eu un faible pour les grands espaces.
– Qu’entends-tu par "grands espaces" ?
– Oh... rien de bien extraordinaire, rassure-toi. Un modeste cent cinquante ares.
– La vache ! C’est la fortune oui ! Comment ton père a fait ? Attends, laisse-moi deviner, je parie qu’il coupait les mains des mauvais payeurs.
– Sur un point je t’accorde, mon père se révéla en effet homme d’affaire avisé.
– Il tape dans quoi ?
– Entreprise d’aménagement intérieur.
– C’est lui qui te finance ?
– Pas un rond ! À ce qui paraît je dois "apprendre à voler par mes propres ailes". J’ai roulé ma bosse dans le mannequinnat pendant dix ans. Comme tu l’imagines j’ai eu le temps de gratter.
– Tu as commencé jeune ? À quel âge ?
– Treize mais c’est courant dans le métier. Si tu voyais ces grandes perches de Russes... Ça me dégoûte, on dirait que les filles du monde entier se sont données rendez-vous à Paris pour venir bouffer dans notre gamelle.
– Je sais... Mais ne t’en fais pas, c’est partout pareil. Tu sais, d’un certain point de vue la concurrence généralisée nivelle les injustices.
– Je te laisse. "
Lola ne supportait pas la moindre contradiction. Un rien la vexait, l’irritait, la navrait, la blessait. Le pire est que mon intention n’avait jamais visé à contredire. J’avais bien trop besoin d’elle pour me permettre l’incartade. Mais peu importe mes intentions, Lola ne supportait tout simplement plus la réalité. Alors, dans de telles conditions, pouvait-elle nous supporter, moi et mon cerveau ? Bien sûr que non. Il ne faisait que peu de doute que je payerais très cher ma passion d’elle, j’étais conscient de la chose... mais incapable pourtant d’y remédier, prisonnier de mon désir d’amour, spectateur écœuré de ma propre impuissance.

Ecrit par Jokeromega, le Lundi 28 Mai 2007, 16:18 dans la rubrique "1.La farce des abîmés".