Traversée du désert, traversée du désespoir, entrecoupée de sursauts d’orgueil, je me rebiffe, parfois le poison s’écoule, le plus souvent je me sens oppressé et en stagnation, comme si l’immobilité me rattrapait, me gagnait, me vainquait, et puis déjà, que voulais-je vous dire… ? Oh... Tant de choses me rencontrent l’esprit, mais combien de pertinentes, je veux dire, combien atteindront la cible ? Très peu. La vie d’artiste c’est du précaire, une succession d’ébauches et de détours, beaucoup de catacombes, des chimères et quelques points d’eau. Encore faut-il être à même de distinguer les empoisonnés de ceux qui vous sauveront la gorge et laveront du péché de tristesse.
Il fallait absolument que je vous joigne au plus vite car je suis mécontent de mes dernières entrées, la fameuse rubrique ‘Mes ancêtres l’univers’, je pense qu’elle ne comptera guère trop de nouveaux arrivants, depuis le roman mes écrits ont bifurqué et avant le roman ils avaient déjà valsé, en fait, ce fut l’écriture d’un roman, sorte de pilote d’essai mais on le sait, les têtes brûlées qui se lancent à l’assaut de nouveaux espaces n’en réchappent pas souvent à long terme, surtout lors des prémices, après bien sûr la technique devient plus fiable, moins de boulons font défaut et dans l’ensemble on peut espérer un atterrissage en douceur. Il n’en est rien ! Ce roman doit donc faire place aux inspirations nouveau-nées ; quand j’en relis de ce roman, j’ai l’impression de faire de l’apnée avec moi-même, je me dois retenir de n’étouffer par manque d’air, l’idée de ma médiocrité me rend malade et impuissant, j’ai ce sentiment atroce d’être mon propre traître, que mes réjouissances d’alors deviennent mes bourreaux d’aujourd’hui, oui, je n’aime plus trop ses airs, il est devenu une aire de survie impraticable, j’en souffre, il me tourmente, car si j’en sais les éternels passages, ceux qui toujours me seront fidèles dans la qualité et la conscience, pour ce qui est du reste, le grand reste, je frémis d’en surprendre longueurs et lourdeurs, impudeurs et mal-dits, bref je ne peux plus me retourner – mais ai-je jamais pu y accéder, à la juste et sage estime de son propre travail ? – et par dessus tout de l’avant je souhaite procéder. Il est de nouveaux motifs intriguants à galoper. Je compte bien être leur cow-boy intrépide et urgent, malgré les coups vaches toujours aux aguets pour faire trébucher dans la tempête et le tourment qui dévore. Parfois c’est chaque seconde qui poinçonne votre bien-être, comme si votre vie était une carte à trous et que vos tentatives espérantes fussent le mauvais lecteur de cartes. J’ai du gruyère dans l’âme et de plus en plus de trous et par conséquent de moins en moins de chair. Des émotions à brûle-pourpoint et des vertiges tout de go, je vois l’avenir en déliquescence, il délite le fou ! La solitude est un délit d’amitié et son œuvre un délit d’inimitié, c’est très honteux. Et c’est le 250e anniversaire de la naissance de Mozart ! Mort comme un chien (et encore, on a enseveli mieux que ça des caniches)... enterré en fosse commune sans croix ni honneurs, allez comprendre... J’aime beaucoup sa Chinese Dance (concerto pour piano et orchestre N° 21, K467), je la conseille avec insistance, elle est comme son maître, légère d’une grande subtilité. C’est remarquable de conséquences harmonieuses le style Mozart. Respect. Même si ma préférence revient à l’énorme et délicat Beethoven.
Il y a quelques jours ma grand-mère a été hospitalisée pour une thrombose modérée, ça m’était bien égal. Pourquoi tant d’égoïsme ? Parce qu’il y a déjà tant de fuites dans mon corps et mon âme qu’il m’est humainement impossible d’en seulement purger toute la flotte qui se hâte de m’emporter par le fond. Je ne vois pas comment j’irais porter secours aux noyades quand moi-même je pique du nez comme un Titanic (en moins glorieux et plus lent).
Non, je mens, je pense que la vraie l’authentique raison est que nous n’avons pas grand-chose en commun ; elle ne parle pas le français et je ne parle pas son dialecte et quand bien même l’un connaîtrait les mots de l’autre je doute que nous en comprissions la syntaxe d’idées. Le décalage des générations et des sensibilités et des intelligences est abyssal, on peut dire ce qu’on veut mais c’est comme ça. On est comme deux étrangers et encore, entre deux étrangers il y aurait une part d’intrigue or ici rien de cela, on sait où on va, et c’est moche et morne, oui c’est triste d’une certaine façon mais c’est comme ça, le genre de situations qui ne se déplacera plus, suffit alors d’attendre qu’elles s’échouent jusqu’au bout.
Ce qui me fait peur, quand je vois comment la grand-mère vit recluse et isolée, et qu’elle en est à ses 82 ans, c’est que je me rends alors compte qu’on peut survivre au morose dégueulasse de la vie indéfiniment, oui, indéfiniment et ça fait très peur ça, ça veut dire que si on ne fait rien contre, le mal peut s’étendre ad vitam aeternam. Le linge du malheur étendu de toute sa longueur sur le fil de vies galvaudées par l’attente de quelque chose qui n’arrivera jamais. Les retournements de situations c’est du cinéma, ici c’est la vie et si on ne va pas à la boutique du changement et de la volonté (mais faut-il la capturer cette volonté !), on portera le même habit obstiné de bout en bout.
Glaçant.
Moi pour elle je ne peux plus rien et bon, je crois qu’on ne peut que pour une poignée de personnes, de personnes qu’il faut déjà rencontrer, et encore, durant la saison propice, lorsque les conditions de part et d’autre s’y prêtent. J’effectue le minimum syndical pour ma grand-mère et c’est ainsi. L’amour raffiné est un discriminant à l’embauche, selon qu’on est de tel ou tel pays de sensibilités, tel ou tel endroit d’affinités, et plus il est conscient de ses mécanismes et plus cet amour est terrible d’intransigeance, il aspire à l’absolu et ne fonctionne qu’à la grâce de son bon vouloir, il est infernal et soumis au plus petit de ses caprices, il est grandiose et écœurant à bien des égards, c’est ça avoir du cœur je pense, s’écœurer et persister et signer. C’est violent, je sais... Mais la violence fait de l’art un acte impétueux et désespéré, quoique parfois sublime et heureux. Ça me va comme ça.
Et vous ?
à 20:24