Joueb.com
Envie de créer un weblog ?
Soutenez le Secours populaire
ViaBloga
Le nec plus ultra pour créer un site web.
Débarrassez vous de cette publicité : participez ! :O)
 1.La farce des abîmés   2.Intellections   3.Microthéories   4.Si j'étais poète   Chantier fermé   Mes ancêtres l’univers 

Ces pensées qui abîment, Agence cybernétique de songerie adulte

Version  XML 
C'est la maison qui offre.

Archive : tous les articles

Session
Nom d'utilisateur
Mot de passe

Mot de passe oublié ?



L'existence condamnée

--> Fiction sans scupules (âmes sensibles s'abstenir), extrait

J’ai pris le bus de la ligne 13 qui dévalait sur le centre-ville, les bois défilaient pareil, je m’en tapais de la verdure, je préférais le gris, on s’y dissimulait plus facile. Je déchiffrais les vandalismes sur les dos de banquettes, des banquettes déchiquetées en de nombreux endroits et ornées de toutes sortes d’inscriptions séniles ; ça me plaisait la lecture futile. Un conard a hurlé " Allahu akbar ", la moitié du bus s’est vidée à l’arrêt suivant, la veille Bruxelles avait essuyé son troisième attentat consécutif sur moins d’une semaine. Moi je m’en foutais, je le connaissais ce petit merdique, un ‘cousin’ d’une cité avoisinante, pas mauvais au foot, excellent crochet du droit et sens aiguisé du petit pont, pas de présence physique, malheureusement pour sa carrière inexistante. Il a croisé mon regard pour obtenir approbation, j’ai nié sourdement, j’étais pas d’humeur, il a bien vu, pas faire chier, pas avec moi qu’on ferait son numéro de caïd.
À présent les bétons prenaient le dessus vertical sur le paysage, pas plus de six ou sept étages ceci dit, on était une petite ville urbaine miteuse et malfamée, les tags attaquaient les façades comme des piranhas enragés, la rouille bouffait des voitures à l’abandon sur des parkings déserts le jour et infestés de rats et de junkies la nuit, les bagarres éclataient et les couteaux sortaient vite, on reconnaissait un habitué à son épaisse veste en cuir et ses orbites noires enfoncées, éventuellement une petite balafre sur la joue, pour faire bonne mesure. Peut-être aussi un pantalon en velours ligné avec une paire d’Air Max à 40 euros chez le revendeur local (et illégal). Des bagues dures aux doigts, une lame dans la poche ou bien la certitude d’être un sauvage à mains nues. Évidemment, les imposteurs ne se comptaient plus tellement ils fanfaronnaient mais on les repérait vite fait, en général ils s’habillaient comme des rapeurs et leur look de play-boy n’intimidait même plus les chattes les plus frileuses, au contraire ils baisaient beaucoup, mais la rue ne leur appartiendrait jamais. Elle se jouait entre les flics et les autres, les endurcis. Et même si à la fin la volaille finirait toujours par remporter le secteur, il demeurerait des poches de résistance : trafic d’armes, prostitution, drogues, racket, terrorisme, et bien sûr, keufs ripoux, avocats vicieux et politiques corrompus.
J’ai flâné un peu çà et là de l’urbaine. Des couples métissés. Il y avait à présent autant de mâles blancs acoquinés d’une négresse que l’inverse, ce qui ne fut pas toujours le cas, quinze ans plus tôt c’était surtout le mâle belligérant qui corrompait une énième blanche écervelée. Mon père l’avait à mal, " la race délite " qu’il disait, moi je m’en carrais, qu’ils crèvent tous! jubilais-je intérieurement ; j’attendais avec impatience la première attaque terroriste nucléaire, ce serait un fameux feu d’artifice, mémorable.
Mais un couple retint mon attention. Deux blancs amourachés. Je pouvais m’identifier. La tendresse était extrême, elle émanait véritablement palpable de ces deux corps complices, son regard enveloppant à lui, et son sourire pudique et dévoué à elle. Ça m’a fendu le cœur, ces deux heureux m’ont durement rappelé toute mon abjection et ma crasse. J’étais seul et je me dégoûtais. Je suis rentré sous la drache à pieds, la marche fut interminable, elle était loin ma périphérie et il fallait se rendre à l’évidence, je n’étais pas un bus, mais je m’obstinai pédestrement, par plaisir mauvais, vicelard, réduit.
Je réexaminai ma médiocrité sentimentale tandis que l’averse s’acharnait sur mon torse peu protégé (une maigre veste de training Reebok saison d’été), elle avait peu de signifiance, mais j’en étais enivré, assiégé, frénétique et rancunier, je haïssais ces souvenirs détestables et avilissants. Il y avait la pute édentée, les minettes que les copains voulaient présenter, se la jouer grand seigneur entremetteur, alors que j’avais rien demandé, puis qui mimaient l’incrédulité face à mon entêtement ascète, il y avait quelques abordages hasardeux, souvent d’une mocheté proche ou identique de hideur, en général trentaine bien entamée, à la recherche d’une bite n’importe laquelle ; je pouvais éventuellement correspondre à la description, encore que. Mais tout cela digérait d’une certaine façon, c’était du malheur jetable, anecdotique, pas de quoi tuer la reine. Or, il y avait cette autre histoire, et la pluie poinçonnait ma face mouillée aux mâchoires tendues et amères, mains dans les poches je serrais fort mon amertume pour pas chanceler dans le caniveau empli de seringues et de merdes de chien, je voyais rouge dans un décor gris qui suinte, les dalles étaient glissantes et inhospitalières, le muret que je longeais se dépliait indolemment verdâtre et mal cimenté, quelques voitures parfois vrombissaient de la mécanique débile et du décibel plus débile encore, le dernier rap tendance à propos de gros culs, de gros fric et de grosses caisses, elles polluaient le macadam fissuré et sautaient exprès dans les flaques d’eau noire pour te foutre une vague puante sur ton complet nickel ; m’en foutais j’étais plus sale que cette flaque, elle ne pouvait que retirer un peu de ma bassesse. Ah! ah! ah ma vie! saleté inconsommable, j’étais indigeste, j’étais morveux, j’étais humilié, j’étais une flétrissure battue par le vent et la flotte mauvaise, et j’avais eu l’infamie d’un jour plaire, oui plaire! à quelqu’un, une beauté qui plus est ! La plus belle du tout quartier! que je croisais tous les jours et qui me faisait à chaque fois l’effet d’un tord-boyaux dans le gosier et d’un tournevis dans le bide, tellement que j’avais ignoré chacun de ses si craquants sourires, j’avais répudié chacune de ses déjà si hésitantes approches, j’étais resté droit, j’étais resté distant, j’étais resté dans mon malheur, parce que, c’est sûr que les pompes commençaient à honorer mes pectoraux, et j’avais enfin investi dans une paire de lunettes à verres amincis, mais ha, attends voir que je réponde au plus petit de ses sourires par le plus grand du mien, de sourire, ha ! Et puis, dans une semaine ou deux les boutons reviendraient en fanfare, je le savais, je les connaissais bien, ils laissaient tranquille deux ou trois jours, pour mieux triompher à leur retour, je les connaissais, pas des mauvais bougres, fallait juste apprendre à vivre avec, ce que je ne sus jamais faire, l’horreur ! J’en horrifiais tant de ces saloperies pustuleuses, que par pure prévention je perçais le moindre semblant de rougeur, bouton ou pas je n’en saurais jamais rien mais bien sûr ce faisant, avec mes petits doigts à gros ongles et mes bons biceps je massacrais ma peau faciale à coup d’entailles ongulées, toute résistance de pus qui tardait à sortir, et il fallût absolument que quelque chose sortît, me mettait comme en franche frénésie et je forçais au sang, d’un élan maladif je m’attaquais alors à l’entièreté du visage, pour égaliser mon œuvre, par goût artistique sans doute, par rage surtout, et puis il fallait oui, il fallait que quelque chose sorte, et quand elle sortirait, quelles qu’en soient les désastreuses conséquences j’exulterais enfin, exultation de désespoir certes, mais exultation à tout le moins. Je redoutais autant que vénérais ma spéciale manucure faciale, c’était bon au fond, c’était affreusement, abominablement, délectablement bon. Une fois le travail accompli, j’avais comme de la cornée à la place de la face : une piste de ski ensanglantée, une œuvre d’art détestablement sublime.
La marée diluvienne coulait sur mes joues, le temps souvenu aussi s’écoula, on était deux ans plus tard, l’année précédente elle avait terminé troisième de sa promotion à la fac, première année seulement mais tout le monde craquait déjà pour elle, profs comme étudiants, même les femmes laides l’appréciaient car jamais elle mettait en avant son sex-appeal, elle était bienveillante envers tous mais réservée en tout point ; elle avait rencontré un garçon de la section médecine, beau gosse, belles dents, belle chemise, bel air, belle attitude, belle petite voiture bourgeoise, en somme elle sortait avec son futur époux, je m’étais donner les moyens discrets de les observer, le sérieux de la liaison crevait d’évidence, et me crevait le moral. Ha ! Elle lui déposait des bisous sur les lèvres, j’en avais les tripes retournées, je pouvais plus soutenir tant d’atrocité, je filai pleurnichant comme une gonzesse me tapir dans un coin enfoui de bétons, un endroit où on risquait pas de griller ma faiblesse sentimentale. Or deux amoureux choisirent le même coin pour sans doute exécuter leurs cochonneries, j’étais bien trop affairé à ma douleur que pour de suite détecter leur présence, et c’est comme sorti de la torpeur du dormeur qui rêve que je repérai ce " oh, il doit être fort triste " d’une voix féminine toute délicate et retenue. Faut dire, j’avais comme un sixième sens dès qu’il était question de ma viande, méfiant et paranoïde j’étais un fauve aux aguets. Enragé je leur fis voir si j’étais à plaindre ! Je rançonnai son amoureux non sans lui décrocher une droite terrible au menton, même, il mit vingt bonnes secondes à retrouver son équilibre mental, la fille faisait des litanies de morve et de suppliques. Imperturbable je me contentai d’encaisser le flouze, voilà tout.
Je rentrai au bercail, on n’était plus tranquille nulle part, trop de sales têtes, trop de visages heureux et trop de mêle-tout. À la maison mon alcoolo de père c’était pas gagné d’avance, mais quand il aurait suffisamment ingurgité il cesserait d’emmerder et irait roupiller dans son fauteuil dégueulasse. Quant à maman elle était trop prise à l’attention des voies impénétrables du Seigneur.
Je tirai les tentures proprement. Elles ne devraient plus jamais quitter cette position d’enfermement alumineux. Je m’installai alors accroupi entre mon placard et mon banc d’étudiant improbable, je me mis à pleurer rageusement d’abord, désespéré ensuite, et ainsi tapi dans l’ombre et le gouffre jusqu’au bout de la longue nuit profonde.
Là que je commençai à plus jamais voir le jour, j’ai laissé l’obscurité secrète envahir mon âme et mon corps, j’ai offert ma dépouille aux chacals du spleen et de l’ennui, j’étais terne et intouchable, une entité cadavérique et malicieuse.
J’avais trop mal de souffrir sa présence, même à cent mètres, du moment que son image fût accessible mon cœur se déchirait, rien qu’en imaginaire je lancinais déjà au supplice, j’osais plus aventurer le quartier de peur qu’elle me donne le coup de grâce.
La petite fée crut que j’étais un monstre de froideur. C’était presque ça en fait, j’étais juste un monstre tout court.
Ce fut par de telles affres que la poésie s’imposa spontanément à moi. En voici un extrait :

Ô ma tendre mon pioupiou,
Je t’aime !
Je t’aime !
J’aimerais lécher ton minou.

Je subissais des fantasmes concupiscents des enfers, j’avais la dalle de Belzébuth, j’avais très, très envie de pénétrer le rectum de ma dulcinée, la prendre comme personne la posséderait, la salir pour qu’elle appartienne dorénavant à mon monde, la faire mienne à jamais, lui faire avaler mon sperme chaud, la baiser à l’infini pour qu’elle se soumette à l’éternité de mon être, qu’elle me suce soumise et effarée, comme une petite biche apeurée dans le bois clair-obscur d’un couple impossible. C’est dans cet esprit que, sur le dos confortable, je masturbai mon petit membre délictueux ; au moment de l’éjaculation imminente je ramenai mes membres inférieures vers mon tronc, de sorte que plié en deux le sexe fît face au visage ; le nectar flatta ma langue et mes amygdales, je voulais goûter au cadeau qu’elle subirait, et vers le troisième jet environ ma mère entra subrepticement, dans mon élan érotomane j’avais omis de verrouiller la porte de ma chambre épurée et miteuse.
" Oh ciel mon Dieu ! " et elle avait remis d’urgence mon lieu dans son état initial hermétique. " Seigneur pardonne-nous nos offenses " et bla-bla-bla, avait-elle probablement plaidé auprès des hautes instances tandis qu’elle fuyait estomaquée nauséeuse vers ses livres saints. À tout le moins plus sains que moi.
Je fus pris d’un fou rire malsain et pernicieux. Je tentai une nouvelle rime :

Dieu est un grand salaud,
Pire qu’un con de bedeau,
Il garde jalousement l’église,
Du trou et de la gourmandise,

La vie, ça te baise beaucoup.

Je pris l’habitude du réseau. Je ne sortais presque plus et je ne communiquais que par son intermédiaire. Déjà esseulé avant son avènement, je m’amendai de tous contacts autres que ceux virtuels, je rencontrais par le réseau et j’abandonnais par le réseau, et tout un tas d’autres âmes paumées procédaient de même. Nous formions une sous-catégorie environ humaine, plus ou moins vague et diffuse, des liens se formaient et des entités malades s’entrecroisaient à volonté de vice et de mal-être, nous partagions nos boursouflures et leur mise en commun transcendait la profondeur corrosive des échecs de la nature que nous incarnions. On suintait de partout la névrose et la décadence. Entre maudits on savait se sourire, d’une certaine façon, même si à la vérité ce monde dénué de chair et de sang était bien plus cruel que n’importe laquelle des sociétés non virtuelles, il était comme on pouvait s’y attendre, détaché et souvent indifférent, un monstre qui engloutissait pour n’en recracher que la sève putride et assassine. Chaque membre vampé au réseau était libre d’infamie et de trahison, aucune sanction vraiment contraignante, que celle de perdre votre amitié, la bonne blague ! Nous l’ignorions en ce temps-là, mais nous étions les précurseurs d’une génération nouvelle de mutants impropres à la vie concrète de l’animal, nous annoncions une créature abstraite nouvelle et comme jamais nuisible.
La météo ingrate devenait une tempête furieuse, mais j’en jouissais de cette férocité des éléments, j’étais ballotté d’un pavé à l’autre, trempé aux oreilles, je sentais le liquide glisser froid le long de me tempes, des chevilles, des genoux, le dos, la panse le nez les bras! je ruisselais, et l’ivresse insoutenable reprenait de plus belle, comme un arc-en-ciel de gris qui se débobine dans tes neurones, avec le paysage qui délavait à outrance c’étaient les mémoires assassines qui mélangeaient pareil, elles accompagnaient la nature ambiante, tout fuyait sens dessus dessous, pute édentée, beau gosse et dulcinée, profs moqueurs, mon père saoul déchu, maman dévote, Dieu qui ricane, la terre qui tourne nonchalante, les sales marmots de la maternelle, les coups vaches des machos de la cité, les humiliations, les bagarres perdues, les claques en public, et rien répondre, baisser le regard, oui, on finissait par baisser le regard, mais tous! un jour courberaient l’échine, je jubilais à la perspective de nos cadavres identiques, tous! voués d’un même et commun destin fraternel, la pourriture comme développement et la poussière en apothéose. On verrait bien ce qu’ils frimeraient encore les caïds dans leur Mercedes coupées sport, on verrait bien qui de la mort ou de leur orgueil buté l’emporterait, on verrait ça, et ce serait le plus beau spectacle jamais regardable, une merveille de justice et de sérénité, tout retournerait enfin à sa place, pas une parole plus haute que l’autre, terminées les attitudes déplacées et crâneuses, au cercueil les grands de ce monde, au linceul les opprimés de cette terre boueuse, tous ensemble unis dans le néant. Amen.
Je ne sentais plus ma chair, mon délire me dominait, et c’est possédé que j’arrivai enfin à destination. Papa ronflait dans sa bière et maman préparait un quelconque plat délicieux. Sans doute des pâtes en boîte de chez Colruyt. On annonça un quatrième attentat, cette fois à la pudeur ; c’était admirable comme les forces en ce monde savent s’équilibrer, un coup de bite par ci, un coup de hache par là, l’homme faisait belle harmonie. Sur ces belles pensées je m’engonçai dans mon sommeil délirant.
Quelques jours plus tard mon amoureuse interdite partit faire ménage dans les beaux quartiers de Namur, une ville plus décente que la nôtre. J’ai beaucoup pleuré, je m’en souviens. Ce qui m’interpella d’ailleurs, fut que j’étais nettement plus triste que pour le décès de grand-mère, la seule aïeule qui eût vécu de mon vivant, grand-mère au caractère certes impossible, mais plus triste aussi que lors du décès d’un ancien camarade de jeu, qu’était devenu une petite frappe du quartier, coupé en deux alors qu’il jouait à sauter d’une rame de métro à l’autre, pour faire chier les contrôleurs et pour impressionner les canons super maquillées. Il avait beaucoup impressionné, en effet. À l’époque on était liés, mais je m’en rendais compte, sa mort n’était qu’un fait divers dans ma vie, cinq lignes de faits sur le rouleau de mon existence, pas plus. Fallait que la vie prenne le dessus sur la mort, pour ça qu’on oubliait vite fait les macchabées, mais dès que la fatalité touchait à votre bien-être égoïste les pires cruautés vous déchiraient le bas-ventre. La souffrance était vraiment une fantaisie chez le singe avancé.
J’ai alors consciencieusement ramené mon lieu de vie au seul réseau, je débranchais même plus la machine, au cas où je réveillerais en sursaut la nuit, je vivais dans un monde parallèle qui chaque jour me déstructurait un peu plus, il éloignait votre sociabilité de pixel en pixel, après un an non stop vous étiez un cas grave pratiquement irrécupérable de votre volonté propre. Une intervention était nécessaire. Maman priait beaucoup, mais ce ne fut pas d’intervention divine qu’il fut question. Au contraire, le réseau sut répondre à mon vide. Il savait toujours répondre à vos vides, il comblait chacun de ses esclaves, sa miséricorde était sans partage.

Ecrit par Jokeromega, le Mercredi 8 Février 2006, 23:28 dans la rubrique "Chantier fermé".