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Ces pensées qui abîment, Agence cybernétique de songerie adulte

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Les créatures

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Pour ce genre de délit mineur, la première audience aurait lieu dans six mois, peut-être. Heureusement, la justice s’était faite refaire la face, un bon coup de privatisation et ça repart. Dans de telles conditions, en tant que francs payeurs fortunés, nous passerions dans trois semaines, le comble ! Mon propre fric pour m’enfourcher ! Parce que, moi, si le sort du parcours tenait qu’à moi, jamais payé jamais jugé ! Mais Amandine, elle ! hein, elle... Vite réprimer ces brutes, faire faire sonner le verdict à Marianne (qui n’avait plus rien de Marianne, soi dit en passant). Verdict qui liquiderait définitivement toute possibilité d’arrangement à l’amiable avec Elise, moi, Amandine, et sa gosse (de merde). Alors que, la bastonnade, c’était du pipi de chat, pas de quoi égorger la dinde, je m’en foutais des bleus ! Je m’en carrais des injures ! Le harcèlement j’étais habitué, la cité avait harcelé ma jeunesse et ma conscience avait racketté mon bonheur, tout ça, je maîtrisais ! Mais la vomisseuse écervelée, ah ça non, c’était plus que moi. Évidemment, je n’avais plus rien à dire depuis longtemps. Parfois j’agissais, une initiative disait-on à la belle époque – si loin déjà, un mirage – et nul critique ne manquait de me la faire amèrement regretter, quoique c’était drôle de tous les voir s’animer, s’infurier, se lamenter de mes audaces agaçantes, mais on lassait vite, de ça, de tout, de rien, on corrodait de manière autonome, c’est vrai, oui, on usait tout seul à vrai dire, et les autres étaient là pour donner un coup de pouce, éventuellement un coup de grâce, la grâce en moins.
J’étais foncedé, l’horloge biologique interne délirait, je tournais à volonté, non stop, chaque soir se prolongeait d’une heure du précédent, parfois deux, si bien qu’après quatre ou cinq soirs je couchais vers les quatre heures matinales comme ça, un peu zombie, un peu capiteux, et si la nuit ne portait pas plus conseil que le jour, elle permettait un peu de calme sonore, et visuel, et je contemplais à présent l’adolescente morbide zigzaguer entre les ombres nocturnes, esquivant des pans entiers de lumière douce tamisée, toujours attirée aux perspectives engouffrées, elle aimait nier l’existence ; et dormir le jour, parfois, quand l’armada d’anxiolytiques avait raison de son obstination butée, opiniâtre, tyrannique. Si j’allais border mes draps dans la fourchette des minuit quatre heures trente cinq heures, je pouvais somnoler jusqu’à huit ou même qui sait ! neuf heures d’affilée, entrecoupées d’à peine deux ou trois réveils, retombés bien vite dans l’étourdissement abruti. En d’autres termes, étant donné le pas horlogique qui rythmait d’heure en heure supplémentaire ma saison soporifique quotidienne, je dormais bien à-peu-près six fois tous les vingt-quatre jours, ce qui tout de même représentait un quart de ma production litière. Le reste du temps, dix-huit jours straight donc, j’assoupissais entre deux et quatre heures pleines, parfois moins, parfois plus, parfois en deux ou trois coups, jalonnés de phases intermédiaires courtes, ou pas, la nuit confondant le jour et les dates mélangeants comme une soupe impropre à la consommation, je la vomissais cette cadence, puis fallait tout lécher du dégueulis, goutte à goutte, qu’il n’en restât fifrelin ! La nausée dans le nez, les yeux, et tout l’os frontal, et la gorge m’étreignait, rugueuse et aride, avec des palpitations inopinées, soudaines, douces ou violentes, selon les hasards improbables, je nageais dans la semoule, moi aussi je traînais ma silhouette, un peu en retrait du démon femelle, tantôt livides tantôt remontés, terrifiants, volcaniques, exultants ! je la croisais et son regard haineux m’indifférait au plus haut point, j’étais passif dans mon délire hyperactif, une sorte de délire faible et féroce, mon corps s’évanouissait et ma tête bourdonnait comme un moteur d’Airbus A380, la torpeur prenait au bide, j’affalais quelque part, au gré, comme ça, et je déraillais plein tube, mi éveillé mi détraqué, puis je reprenais la route, je traçais des huit dans la case, c’était glauque, moi j’en foutais, mais même dans ma dépendance hypnotique je comprenais bien qu’alentour on se posait des questions au sujet... à la bonne heure ! moi aussi je participais, dorénavant, à la psychose familiale instaurée jadis. Au fond, le mal me plaisait, j’y dorlotais pépère, flanqué, détroussé de ma volonté, en loques de moi-même. Et la chimère se tailladait, à volonté, à profusion, gratuitement, le sang perlait, progressif, d’une lenteur sûre, belle, écarlate, elle gerbait beaucoup, aussi, dès qu’elle avait un moment, et elle goinfrait à ras bord, des orgies alimentaires longues et secrètes, mais pas toujours, il lui arrivait de se livrer au su et vu de tous, la procession y perdait en originalité, je le déplorais, mais c’était comme ça. Elle coupait, un point c’est tout, et on y couperait pas !
Amandine soufflait beaucoup, les bronches clopin-clopantes, des quintes de toux, toujours et encore, pleine nuit, la mort en suspens, elle remplissait le silence de la nuit, je voyais des estompes étranges, puis des animaux furtifs, et des bruissements imperceptibles, avec son tohu-bohu pulmonaire en arrière fond, comme une brume, son tintamarre, et une autre brume, les chuchotis de la nuit, quelque part, où, quand, pourquoi ! pas savoir, juste en latence, parfois je levais à la cuisine voir quoi becter, et je revenais les mains vides, puis, arrivé au seuil du lit, je portais la main vide à ma bouche gourmande, et je réalisais alors mon estourbine, je retournais au charbon et encore j’abordais le plumard bras ballants, étourdis, comateux, et sans me démonter je répliquais à l’exact la manœuvre, jusqu’à gain de cause, dans ma calme frénésie, en harmonie d’un monde autre, un monde mien, un monde malade.
Papa râlait fort la nuit, et le jour aussi, mais plus soutenu de nuit. Son sommeil servait à empêcher celui des autres, c’était évidence. Et cette chose mi humaine mi quelque chose, tout de noir vêtue, tapissait d’un coin l’autre, les tissus amples de sa tenue funeste lui conférait ce je ne sais quoi d’agréable, j’aimais beaucoup ce malaise qu’elle incarnait, c’était de la dope névrotique, et j’étais le roi des camés, shooté toute une vie au malheur, ça s’invente pas.
Rha, rha, rhaaa ! … Le papy faisait de la résistance, RIKPU ! ! Reniflette et cramolard, la technique était connue et maîtrisée. Impeccable. J’implorais la nuit de m’endormir à jamais, pas mourir ! non, juste reposer, tranquille, débarrassé, mais vivant, pas mort, ah non ! j’effrayais bien trop de la fin annoncée de ma conscience, j’horrifiais du fait de la vie, garnie de hasards hostiles et ponctuée de certitude funèbre, un processus abrupt et promis, jusqu’à la lie... la lie... la lie... et la vomisseuse vomissait, et l’asthmatique râlait aux martyrs, le vieux vieillissait d’avantage, comme si ce pût ! et j’allais d’un coaltar l’autre, dans les miroirs accidentels qu’étaient les vitrines des belles boiseries chamarrants avec style notre grand living-room de jour et découpants avec mystique sa pénombre de nuit, dans ces vitreries des reflets critiques s’esquissaient un instant, et déjà formaient de nouvelles formes mystérieuses, évanescentes dans la nuit lourde, dans le secret de l’insomniaque et l’oubli du somnambule. Croquis livides qui miroitaient dans une gamme de pastels hâves, ternes, répandus. L’incompréhension se déversait de tout mon corps dans chaque pièce que j’encadrais, et l’autre fantôme sur mes pas, quelque part, tapie, à la poursuite de mon cadavre, je savais plus si je la rêvais ou pas, parfois je laissais par la fenêtre une lumière lunaire venir visiter l’antre de nos cachotteries, et alors la silhouette du fantôme s’évanouissait ou au contraire le portrait de Kim prenait vie le temps d’une seconde éclairée, longue, lente, figée, et je laissais la tenture refermer la marche lumineuse, et la silhouette fondre à nouveau dans la profondeur du puits béant de la nuit. On jouait aux ténèbres, et les ténèbres chaque soir venaient emporter à jamais, le temps d’un délire infini, et écrasé par le sommeil perdu le jour à son tour faisait noctambule, il baillait nos esprits engourdis et les pensées alourdissaient dans la vase, l’apathie, l’indifférence obstinée, il ne fallût surtout pas déranger, sinon les corps éprouvés cabraient de toute leur fatigue accumulée et l’esprit éreinté frondait comme l’animal agonisant, non, il était de bon aloi laisser nos chairs dériver d’une heure à l’autre, dans l’attente de la nuit venue, la nuit promise, la nuit toujours, éternelle, omniprésente, infinie. Le vieux était au bout du rouleau, je lui donnais une semaine grand maximum, et j’étais généreux, il avait été mon père, après tout. Tout notre cirque allumé l’effleurait même plus, il coulait dans son trou déjà, encore une ou deux pelletées et la profondeur enterrée serait conforme. Il finirait un lange au cul et la morve au nez, la bouche entrouverte indolemment, et la tête inclinée inutilement. Pourtant ! Amandine apprit le lancement test d’un nouveau médicament pour vieux débiles (le nom était technique et c’était le cadet de mes soucis, plus tôt parti plus tôt merci !), on payait peu le cobaye volontaire mais on payait, et vu la perte sèche que représentait cette carcasse non subsidiée c’était pas de refus. Importé d’Amérique, ce stupéfiant était fort contesté, mais, au point où il en était, de toute façon, dans le pire des cas, il aurait le coup de grâce dans un dernier shoot enivrant, ce serait une belle mort qui trancherait avec une fin jusque là pathétique. La substance avait été baptisée Dynamite. Produite par les laboratoires de la Secte Technologique, " Pour se rapprocher de Dieu, un paradis rien qu’à vous ", elle avait fait un tabac outre-Atlantique, les tests avaient été brefs et le bouche à oreille avait carrément saturé le réseau, deuxième plus haut débit simultané collectif de données depuis l’attentat nucléaire de New-York.
Dynamite... elle portait bien son nom, la première semaine on devait doser fort léger pour sortir progressivement la plante de son pot, mais déjà ses yeux avaient étincelé comme la comète de Halley, ses petites pattes avaient trembloté, lèvres écumantes (encore un peu gaga, effectivement), l’ancêtre était sorti de sa torpeur comme la fleur sort au jour, avec le côté poudre au nez en supplément. La vieillesse l’avait comme pour beaucoup ramené en enfance, pour ensuite le conduire au stade poupin, encore un peu on en faisait un fœtus, et, à tout dire, atterré dans le même moelleux depuis six mois, il était pas loin de ressembler à un ovule fécondé, les jours de grand abattement ! La Dynamite lui rendit son honneur et sa dignité, un bout de sa jeunesse retrouvée, et la libido qui va avec... Il bandait comme un cochon.
Dans dix jours s’ouvrait le procès. J’étais fort maussade, triste échéance, le compte à rebours me mettait de grande mauvaise humeur, pas à prendre avec des pincettes, je grognais comme un buffle, et le petit père qui dansait la samba ! son bonheur m’exaspérait, foutre ! je regrettais la vieille bique que j’avais connue, à présent je devais supporter un kid méconnaissable de près de soixante-dix ans, la grâce juvénile en moins. Il était resté moche, peut-être même d’avantage, la drogue enfonçant le visage dans son crâne, il était resté puant, il ne s’était jamais lavé, par principe du saligaud naturel, il était resté vulgaire, il ne changerait plus, mais il pouvait encore empirer. Comme avant ; à ceci près qu’il avait l’énergie de faire rayonner ses trois vertus, dorénavant.

Ecrit par Jokeromega, le Dimanche 26 Mars 2006, 08:04 dans la rubrique "Chantier fermé".


Commentaires :

  parasitemort
26-03-06
à 21:17

whaou

  Jokeromega
26-03-06
à 21:18

Re:

Miaou (j'en redemande, merchi!)