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Un CORPS, on avait un corps...

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Tout à l’heure très bientôt je rentrerais dans le sas de compression. Je me ferais dévorer par l’ambiance impossible.
Pour l’heure les stations défilaient métronomiquement. Abesses, Pigalle, Saint-Georges ; des blancs des noirs des jaunes ; peut-être des français dans le tas... mais, au fait, c’était quoi un français ? Un gaulois ? Un romain du nord ? Un belge du sud ? Des moustaches une baguette un képi ? Plutôt Paris plutôt Marseille ? Lille peut-être ? Allez... Lyon. Non ? Cannes ? Et Monaco alors ? On en faisait quoi de Monaco ? Ah, c’est vrai, on en faisait sa résidence fiscale. Et la Corse tiens... Ah non, vieux jeu la Corse, Ben Laden c’était plus fort. Ah, non... lui non plus, converti, américanisé, depuis le début d’ailleurs, médias, showbiz tout ça, authentique divertisseur ce grand barbu malingre. Le wagon fonçait sans encombre, aucun suicide ce soir. Pas la bonne ligne, sans doute. Ici, c’était la ligne en suspens. Toutefois, au bout du tunnel ce n’était pas une lumière blanche aveuglante, mais le trou noir de mon existence. Ah... j’avais fini par exister, alors ? Peut-être, pas certain. À discuter pour le moins. Une occurrence, une comme une autre. J’étais, je crois ; était-ce suffisant pour exister ? Probablement... mais dans quelle mesure, telle était la question. " Un peu " j’aurais dit. J’existais un peu. Pas beaucoup plus, juste ça. Bien plus déjà que l’homme moyen, oh oui, bien plus, j’étais nanti, pas à dire. L’homme moyen... plus mon problème, et depuis... oh depuis... oh oui... oh que oui... Mairie d’Issy, terminus. J’avais été au bout des possibilités matérielles de cette ligne. Il m’en restait à faire de même. Aller au bout. Au terminus. Au final. Pensais-je... " Et qu’on en finisse une bonne fois pour toute ! " rageais-je intérieurement. À présent je n’attendais plus qu’une chose une seule, la délivrance, le procès, un verdict, et basta. Plus que huit jours, c’était bien ça ? Huit jours ? Ou neuf ? Sept peut-être ? Importe, ça se terminait, assurément, et c’était tout qu’à savoir... ça concluait.
En fait, j’étais assez loin de résidence, je ne savais au juste, trop habitué à me faire assister, mais le coin ne me disait rien, et donc le coin ne pouvait pas constituer les alentours voisins, seuls territoires que j’aventurais vraiment, parfois, en désespoir de cause, pour dire de... pour dire de sortir ma tête, mettre les poumons à l’air frais pollué, prendre le soleil brûlant, prendre le plus d’UV possibles, prendre un peu la température, aussi... on ne savait jamais, un nouvel élan, un nouveau roman, une grande œuvre enfin. Mais non, rien n’était venu que les mêmes têtes, les mêmes habits, les mêmes disgrâces, les mêmes cadavres recrachés des bouches de métro impropres, les mêmes lignes de bus bondées de quidams, les mêmes automobiles fastueuses, les mêmes pigeons débiles, quelques pitbulls, une jupe trop courte, des sifflements, elle rougit, je m’en fous, je vais ailleurs, ils pourraient pas m’y suivre...
De plus en plus d’hologrammes, les prix avaient chuté libres, plus réfrénables, partout, une invasion, armada de volumes, partout, des formes, des thèmes, des incitations à la consommation, au vote, au parti, au sexe, au fric, aux livres, oui ! encore ! ils avaient survécu, la bibliographie de la Star Academy en douze volumes compacts, les mémoires de la fille de Loana ( elle avait seize ans, bientôt dix-sept), le programme politique du PCF (oui, aussi invraisemblable cela parût (et fût)ils avaient survécu, eux aussi), oui, des livres... électroniques, écran souple repliable, disque dur mille Gigas, un centimètre cube, ça tenait la route comme projet. Une voiture passa, modèle Mao Tsé-Toung, électronique made in Beijing, style made in Hongkong, aérodynamique coréenne (joint venture), plaque d’immatriculation chinoise (on avait privatisé le code de la route). Une autre voiture passa. Modèle Kuomintang, made in Taiwan, la concurrence... Et une troisième, une veille Peugeot toute pourrie. On aurait mieux fait voter Oui à l’Europe. Une Europe libérale valût mieux qu’une France chinoise.
Comment n’avions-nous pas compris que seule une Europe forte, unie, pouvait endiguer la détérioration constante de notre qualité de vie ? Comment ! Si seulement...
Il fallût nous unir, nous retrouver. Et au plus vite. Il fallût que l’européen d’extrême occident comprît la nécessité de niveler les salaires moyens d’Europe, il fallût qu’il acceptât de serrer la ceinture pendant dix, quinze ! vingt ans ! pour ensuite bénéficier d’une Europe aux finances assainies, aux niveaux de vie proches d’Irlande en Pologne, de Suède en Grèce, une Europe d’abord libérale, parce qu’il fallait bien appâter le client, donner sa carotte à l’âne, que le mulet capitaliste fût en confiance, fallût qu’il eût son terrain de jeu, sa tétine, son gruyère, son bonheur ! Et alors, alors ! vers les 2020 comme ça, nous eussions été grands, nous eussions été forts, nous eussions été un continent, le number one, l’incontournable, le big boss, le décideur, LE décideur. Nul grand groupe.. ah les grands groupes.. nul grand groupe pût tenir tête ! nul ! Alors, seulement alors nous eussions pu mettre en place une politique sociale digne, conséquente, à la française. Parce que pour mettre une politique sociale en place, il fallût déjà posséder une politique, posséder ce qu’on nommait autre fois et à juste titre " le pouvoir politique ", mais le pouvoir c’était le dollar désormais (et pas l’euro), nos politiques étaient des hommes fantoches, des amuseurs, des entertaineurs, des showmen qui faisaient leur one man show pour faire croire à leur légitimité, pour faire croire qu’ils décidaient, pour faire croire qu’ils dirigeaient, alors qu’ils subissaient, alors qu’ils frottaient la manche aux grands groupes pour recevoir le susucre, alors qu’ils tremblaient face aux grands patrons, tandis que le peuple faisait tourner le carrousel des guignols de Matignon, tandis que les banlieues cramaient, tandis que la France sombrait, peu à peu, comme un bon vieux toutou qui se retire en silence, piteux, honteux, crasseux. Les politiques c’était comme la royauté : du prestige... et rien à dire. Enfin si, ils disaient, mais plus personne écoutait, je veux dire, d’écouter vraiment, on les écoutait, mais pour de rire, pour passer un agréable moment en famille, une bonne tranche de rigolade et puis retour à l’usine empocher son licenciement, c’était ça la France, un bourbier évitable dont on avait su préserver chaque once de merde grâce à trente ans de politique hypocrite et lâche. La gauche avait jamais su avouer que ses idéaux étaient utopiques, u-t-o-p-i-q-u-e-s, elle avait nié l’évidence, arc-boutée à un électorat à qui elle bourrait le mou pour mieux enfoncer le clou, elle crucifiait la compétence, pourchassait l’efficacité, calomniait l’esprit d’entreprise, elle préférait décapiter un homme de droite plutôt qu’avouer qu’elle était bien obligée de mettre de la droite dans sa gauche. Du coup, elle s’empêtrait chaque jour un peu plus dans la dupe et le report à plus tard, le " on tient tant que ça peut ", " tant que ça passe ", " tant que les couleuvres digèrent "... elle préférait montrer du doigt plutôt que mettre le doigt dessus, dessus le problème ; non, mademoiselle jouait les belles plantes ; elle te faisait belle belle ; et elle te plantait dans le dos. Son truc à la gauche, c’était raconter de jolies histoires aux enfants (de la nation), raconter, raconter, raconter... et quand les histoires ça marchait plus, quand vraiment le ressort avait été usé, et usé, et usé, et usé... quand tous les recours mensongers avaient été épuisés, alors elle invoquait le vilain capitaliste de droite assoiffé d’argent et de sang. Pourtant, le plus libéral des hommes de droite français fût passé pour communiste chez le plus socialiste des partis étasuniens " sérieux ", c’est-à-dire qui compte, pas négligeable, donc le parti démocrate (historiquement esclavagiste, soit dit en passant). Pourtant, pourtant, pourtant, pourtant…
Je me diluais dans des idées qui pourtant me concernaient plus depuis longtemps... la France, l’Europe, la politique, les théories, tout ce bric-à-brac, toute cette brocante, cette foire, tous ces divertissements, toute cette diversion, oui, diversion, diversion, diversion... OUI... on faisait de la politique par diversion, celui qui avait des convictions ne valait pas mieux qu’un bedeau de cathédrale, oui, on faisait la politique par diversion, pour oublier qu’on allait bientôt mourir. Voilà tout.
Mais, les convictions faisaient-elles si méprisables que cela, à bien y réfléchir ? Ne fallait-il pas au contraire des convictions afin survivre, se défendre de la nature hostile, se défendre des natures hostiles, tous ces gens, islamistes, anarchistes, communistes, tout ce merdier sanguinaire... ? Les convictions, c’était pas très philosophique (moi je trouvais), mais c’était très nécessaire à la survie charnelle. On avait un corps ; il avait besoin de décisions. Il fallait trancher à la fin, sinon le corps finissait mal, en friche, dans le doute, abattu, déprimé, suicidaire. C’est peut-être pour ça que Bush fils avait régné sur le début de notre millénaire, pourtant si (dés)informé, si moderne, si technologique. Parce qu’il avait des convictions, et son visage emplissait de confiance messianique, ses yeux te disaient explicitement " je sais comment faire ", ne pleure plus Amérique, ne pleure plus homme d’occident, " je suis là, je suis ton pilier, on va retourner aux fondements ", les fondements, les fondements, les fondements... fondamental ! comment n’était-ce pas apparu plus limpide à la face des contemporains d’alors ! Bush Junior apportait le fondamentalisme nécessaire aux corps. Aux CORPS. Dans un monde où le doute n’était plus permis, mais la règle, la REGLE, dans un tel monde déchiré de matérialisme et de relativisme, les nations raffinées, les nations plus élaborées, les hominiens plus avancés, plus loin dans le gouffre de la connaissance, plus loin dans le vertige du savoir circonspect, ces créatures raffinées au point de l’anxiolytique, au point du non retour, NON RETOUR, ces êtres abandonnés par Dieu, en vérité ces êtres déicides, ces consciences éveillées, élevées au pinacle de leurs découvertes et au firmament des modérations atroces qui en découlaient, modérations qui disaient peut-être à tout, peut-être là où fût un sûrement, peut-être là où fût l’absolu, l’absolu divin, sacré, éternel, ces créatures issues des pixels, des atomes, et des planètes indifférentes, ces créatures avaient atteint un point de saturation intellectuelle difficilement compatible avec un corps. Un CORPS. Junior balayait toute cette troufignolerie d’un revers de la main, visage figé dans la conviction profonde. Profonde. Il avait touché au cœur de l’Amérique profonde, mais pas seulement. Il avait dit non au doute. Il avait dit oui à Dieu, oui à l’homme créature et serviteur de Dieu, oui à l’Amérique originelle (post natifs), oui au choc des civilisations, non à la tempérance, non à la tolérance, il avait dit oui à la survie égoïste. Et il était en bien meilleure santé que n’importe quel président du même âge, alors qu’il était au cœur de la tourmente politique, militaire, et sociologique. Pourquoi ? Parce qu’il avait des c-o-n-v-i-c-t-i-o-n-s. Ça faisait du bien d’avoir les réponses, ça soulageait de la mort. Le paradis retrouvé. Born again.
L’homme pouvait-il vivre sans nuire à l’homme ? Bonne question... j’avais l’impression que soit l’homme était tolérant, nuancé, équitable, écologiste, mais pas trop, conscient, dans le doute, dans la demie mesure, dans la balance, l’équilibre fragile, un peu cynique, un peu désenchanté, un peu maussade, un peu aimant, pas trop, mais quand même, ouvert, à l’écoute, méfiant, mais conciliant, parfois passionné, souvent attristé, déçu, mais pas tant que ça, parce que pour être déçu fallait avoir été convaincu, ce qu’il n’était que très rarement, à l’occasion, un accident, une euphorie, une incartade, une éclipse très momentanée, très passagère, très peu convaincue, somme toute, bref ! soit l’homme pensait beaucoup, en toute méditation de cause, méditation à l’occidentale précisons, méditation épistémologique, sémantique, philologique, etc. et en toute conséquence alors cet homme-là se nuisait très probablement à lui-même. Soit l’homme était sûr de lui. Il nuirait donc aux autres, ceux en travers son chemin. Je ne pus dire qui avait tort qui raison, si tant était que quelqu’un eût raison, mais je pouvais me situer : en-dehors. Voilà bien un malheur, et un privilège ! Quel privilège ! Le privilège d’être en-dehors, pas même " à l’ouest " comme ils disaient, ni dans la brume comme les doux poètes maudits chavirés déchirés lancinants blessés, non, ni tant la tête que ça dans les étoiles, à la Hubert Reeves et consort, astrophysiciens, cosmonautes, tout ça, non, je n’étais pas non plus un grand philosophe, non, même pas ! en tout cas pas dans son sens historien du terme, je connaissais peu ou pas les théorisations ancestrales, ou récentes, ou contemporaines, tant que faire... Oh... j’y étais pas hostile pourtant, non non non ! J’étais fatigué, je crois, c’est tout. Parfois je jetais un coup d’œil dans l’encyclopédie du réseau, Wikipédia, je bouffais de la donnée pendant huit – dix heures, parfois plus, parfois trente heures à l’affilée, enfourchées comme une brochette de connaissances, dans ma fougue capiteuse, je m’éduquais, je découvrais, je défrichais, j’explorais le cerveau de gens crevés depuis lurette, parfois encore vivants, plus pour longtemps, un sursis, puis plus rien. À quoi bon... Mais non, fallait poursuivre, aller, toujours, encore, à plus soif, s’en fourrer le mou jusqu’au fin du fin du fond... Je n’avais pas d’enfants, et je n’en souhaitais plus. Je voulais la vie éternelle, simplement, pas plus. La vie éternelle avec un sentiment de mortalité imminente, pour pimenter l’infini du temps, des gens, des choses... Paris grouillait à présent, je m’étais laissé embarquer par la foule folle, imprévisible, imprégnée d’ivresse et de bonheur précaire, les turcs vendaient de bons kebabs et les roumaines taillaient de bonnes pipes, le monde tournait impeccable. Jamais j’abandonnerais, j’étais bien trop abandonné pour cela. J’allais, titubant, saoul de vie, de mort, de vide... j’allais, bordant les murs chics de la ville, mon veston Armani léchait les vitrines, le vent se faufilait entre les badauds informes, j’allais vers un avenir improbable, un horizon peut-être... Le détecteur me détecta, la porte s’ouvrit sur le domaine, le silence était fort. J’avançai à pas nonchalants. J’étais correctement résigné. Que le malheur fût ! Un divan, je le vis, m’assis, et m’en allai dans le sommeil agité des rêves calfeutrés.

Ecrit par Jokeromega, le Vendredi 7 Avril 2006, 15:46 dans la rubrique "Chantier fermé".


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